« Edelweiss, edelweiss, bénis ma patrie pour toujours… ». Vous avez peut-être seriné cet air à Noël, après avoir revu le film La mélodie du bonheur. Suavement douillette et, à première vue, terriblement datée, elle est pourtant d’une rare actualité. Car, que nous dit cette mélodie chantée par la famille du capitaine patriote von Trapp face aux nazis et aux collabos autrichiens à l’époque de l’Anschluss? Sinon que le sort d’une nation menacée par l’extrémisme de droite dépend largement du choix de ses dirigeants et de ses citoyens conservateurs modérés.
L’histoire est encombrée d’exemples où des dictatures d’extrême droite sont arrivées au pouvoir grâce au basculement assumé ou contraint de partis conservateurs jusque-là respectables. Mais il n’y a pas de porosité automatique: De Gaulle et Churchill ont illustré avec éclat ce barrage que le conservatisme traditionnel peut efficacement opposer aux extrémismes de droite.
Comment ne pas penser à l’Amérique d’aujourd’hui? Certes, on n’est pas dans l’Autriche de 1938, comparaison n’est pas raison, mais quand des émeutiers, chauffés à blanc par leur Président, prennent d’assaut le temple de la démocratie à Washington et que des dizaines de millions d’électeurs républicains sont persuadés que Joe Biden est un imposteur, il est impossible de ne pas s’interroger sur la responsabilité du Parti républicain dans cette stupéfiante déglingue des valeurs et des normes.
Quelques hauts responsables du Grand Old Party (GOP) ont sauvé de justesse leur honneur, à l’exemple du vice-président Mike Pence, refusant les injonctions de Donald Trump d’annuler le processus de validation de la victoire de Joe Biden, ou de Liz Cheney, votant la procédure de destitution du Président. Toutefois, après l’invasion du Capitole, 147 députés et sénateurs républicains sur 261 ont encore tenté d’entraver le processus de transition.
« Pourquoi y a-t-il aussi peu de Républicains modérés? », s’interrogeait Lee Drutman en août dernier. L’histoire est longue et compliquée. Pendant les années 1950, sous la présidence paternelle du général Eisenhower, juste après l’épisode ignominieux de la « chasse aux sorcières » menée par le sénateur républicain Joseph McCarthy, le GOP représentait une famille politique conservatrice généralement pondérée, plurielle et prévisible. Toutefois, lors des années 1960, sous la présidence de Richard Nixon, le Parti républicain s’engagea dans une stratégie au long cours visant à récupérer les Blancs du Sud profond hostiles aux mesures de déségrégation raciale imposées par les présidents démocrates Kennedy et Johnson. Ce choix transforma inexorablement le parti d’Abraham Lincoln, qui avait conduit la bataille contre l’esclavagisme, en « parti blanc »: aujourd’hui, un Africain-Américain sur dix seulement vote Républicain.
Dans les années 1980, lors de la Révolution conservatrice inaugurée par le président Ronald Reagan, il devint aussi le « parti chrétien », proche des puissants mouvements évangéliques, mais aussi d’une Eglise catholique sous le charme – ou l’emprise- du Pape Jean-Paul II. A son conservatisme social, il ajouta un conservatisme sociétal inspiré du « nationalisme religieux » qui stipule, comme l’explique la politologue Katherine Stewart, que les Etats-Unis sont « une nation chrétienne appelée à être gouvernée selon une interprétation réactionnaire des valeurs chrétiennes ».
Après Ronald Reagan, le GOP aligna pourtant des candidats présidentiels ancrés dans la tradition républicaine modérée, à l’exemple de George H. W. Bush. Mais en 2008, les fractures apparurent au grand jour, lorsque John McCain, représentant du républicanisme conventionnel, choisit pour co-listière Sarah Palin, l’égérie du Tea Party, une faction populiste radicale agissant au coeur même du GOP, à sa base. Inquiet, le chroniqueur Thomas Friedman n’hésitait pas alors à traiter le Tea Party de « Hezbollah » républicain. Taxés de RINO (Republicans In Name Only), les modérés étaient largement marginalisés ou choisissaient de s’en aller.
L’élection de Donald Trump en 2016 et les 74 millions de voix qu’il a récoltées en 2020 ne sont donc pas une aberration, mais un aboutissement, et d’autres Républicains extrémistes, de Ted Cruz à Josh Hawley, sont aujourd’hui en lice pour le remplacer. Les émeutiers du Capitole ne sont pas non plus des « branquignols » égarés. Ils sont en partie sortis du chaudron maléfique de la droite républicaine la plus querelleuse, où bouillonnent depuis des années les idées illibérales, les thèses complotistes et la nostalgie d’une Amérique qui «était grande parce qu’elle était anglo-saxonne et chrétienne ».
Même si de nombreux Républicains ont condamné la profanation violente du Congrès, il y a une part de continuité entre les factieux du Capitole et des cercles républicains qui se veulent « convenables ». Dans un article sur ces « Washington insiders à l’initiative des rassemblements fougueux qui ont précédé l’émeute », le Washington Post citait en particulier le Council for National Policy, un réseau fondé en 1981, qui a joué un rôle déterminant dans la droitisation du Parti républicain et que la journaliste Anne Nelson, dans son livre Shadow Network, décrit comme « le pivot de la droite radicale », alliance de « théocratie et de ploutocratie ». C’est ce continuum toxique que les « Républicains respectables » vont devoir briser. «La survie d’un conservatisme modéré est indispensable à la stabilité de notre régime politique dans son ensemble », plaidait fin décembre le chroniqueur catholique…et conservateur modéré Andrew Sullivan.
Rien n’est joué pourtant, car tout candidat républicain sait que pour gagner l’investiture de son parti lors des élections primaires, il faut convaincre les militants les plus mobilisés qui sont, aujourd’hui encore, les trumpistes les plus exaltés. Et donc, rien n’est joué non plus pour Joe Biden. Son pari de rassembler une nation déchirée dépendra sans doute de sa capacité à garder sa maîtrise centriste sur son propre parti. Mais il sera tout autant tributaire de ce qui va se passer à droite, au sein d’un Parti républicain confronté au dénouement choquant d’une présidence choquante, que bien peu de ses dirigeants ont eu le courage de dénoncer.
L’auteur
Mes livres
L'éthique de la dissidence. Morale et politique étrangère aux Etats-Unis, Editions Espace de libertés, 2011, 92 pages.
Journalisme international. Un manuel pour étudiants en master de journalisme. Publié chez De Boeck Université, Collection Info Com, 2008, 279 pages
La liberté sinon rien. Mes Amériques de Bastogne à Bagdad, 410 pages, 2008. Un périple dans le siècle américain. Une réflexion sur le rôle des droits de l'homme dans l'histoire des Etats-Unis.
Où va l'Amérique latine?, avec Olivier Dabène, Bernard Duterme etc, 128 pages, 2007.
Et Maintenant le Monde en Bref. Les Médias et le Nouveau Désordre Mondial, 324 pages, 2006
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