L’histoire est un sport de combat

« Les journalistes écrivent le premier brouillon de l’Histoire », aimait dire Phil Graham, l’ancien patron du Washington Post. Mais celle-ci, à son tour, écrit de plus en plus notre actualité. Quand le présent est sombre et l’avenir incertain, le passé apparaît souvent comme une bouée de fortune à laquelle s’accrocher. « Aujourd’hui, toute cette énergie consacrée à regarder en arrière n’est là que pour masquer notre incapacité à considérer l’avenir », prévenait pourtant l’écrivain Marc Dugain dans un numéro passionnant de l’hebdomadaire Le 1, titré Qui veut réécrire l’Histoire?.
L’Histoire peut être un refuge, une échappatoire, une diversion, mais elle peut tout autant servir d’arme sournoise dans des combats très contemporains. Elle nous raconte alors souvent des histoires. Adolf Hitler fut l’un des praticiens les plus pernicieux de ce barbouillage, notamment en amplifiant la fable du « coup de poignard dans le dos », qui attribuait aux « Juifs et aux bolcheviques » la responsabilité de la défaite allemande en 1918. Joseph Staline se révéla tout aussi malfaisant lorsqu’il désigna les nazis comme les auteurs du massacre de milliers d’officiers et notables polonais dans la forêt de Katyn en 1940, alors que cette vilénie, comme Moscou le reconnut officiellement cinquante ans plus tard, avait été perpétrée par sa police politique, le NKVD.
En France, la convocation de l’histoire est permanente dans le débat politique. Elle a déterminé l’interprétation que des historiens idéologues, comme François Furet, ou des idéologues historiens, comme Jean-Luc Mélenchon, ont donnée à la Révolution française. Elle a marqué les échanges musclés, à l’époque du Président Sarkozy, sur les « bienfaits de la colonisation ». Elle hante les relations avec l’Algérie, comme l’ont récemment rappelé les débats sur le massacre d’Algériens en octobre 1961 à Paris.
Les thèses d’Eric Zemmour sur le passé de la France et, en particulier, sur le « rôle protecteur des Juifs français » que ce dernier, contre toute évidence, prête au Maréchal Pétain, n’ont fait qu’exacerber cette « bataille des passés ». « Eric Zemmour, écrit l’historien André Loez, contribue à l’affaiblissement général du rapport à la vérité et à ce qui constitue un fait établi ». Le risque est permanent, en effet, de mettre l’histoire au service, non pas de la connaissance, mais d’une idéologie de combat. L’objectif est alors de construire un passé mythifié, en phase avec un public qui demande une « certaine idée de l’Histoire » pour se rassurer ou, moins honorablement, pour définir son identité crispée. Contre ceux qui ne s’inscrivent pas, ou que l’on refuse d’inscrire, dans le grand récit national. De tous temps, cette célébration d’une histoire tribale, communautaire ou nationaliste a servi à exclure les individus mal-pensants et les dissidents, mais aussi des groupes ethniques, religieux ou linguistiques « dissonants ». Un passé falsifié pour forger un avenir plombé. Continuer la lecture

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Ils étouffent la terre et l’information

Alors que les diplomates paradent à Glasgow, le coquelicot à la boutonnière, un peu partout dans le monde, des militants environnementaux continuent d’être harcelés, arrêtés, assassinés, en toute impunité. L’année dernière, selon l’association Global Witness, 227 d’entre eux au moins ont été tués. Pratiquement dix fois plus que le nombre de journalistes qui, la même année, ont été victimes d’assassinats ciblés. Parmi les pays les plus dangereux: la Colombie, le Mexique et les Philippines.
C’est une vielle histoire. Le meurtre de Chico Mendes, le défenseur brésilien de la forêt amazonienne, date de 1988. L’exécution par la dictature militaire nigériane de Ken Saro-Wiwa, militant hostile à la prédation pétrolière en terre ogoni, remonte à 1995. Depuis lors, le bilan n’a fait que s’alourdir, baromètre d’un monde qui se « modernise » en même temps qu’il s’enlise.
En 1992, à l’issue du Sommet de la terre à Rio de Janeiro, les délégués des Etats avaient établi comme principe essentiel le droit d’informer sur les questions environnementales. Et pourtant, les journalistes qui suivent les sujets liés à l’environnement sont eux aussi dans la ligne de mire. Selon Reporters sans frontières, 21 journalistes environnementaux ont été assassinés au cours des dix dernières années, des centaines d’autres ont été l’objet de violence ou de menaces.
Dans le Wild West du monde, couvrir l’environnement est une mission à hauts risques. Dans son essai sur « la guerre autoritaire contre le journalisme environnemental », paru en 2020, Peter Schwartzstein, du Center for Climate & Security, dépeint une planète sans loi, de l’Iran à la Chine, de l’Egypte à l’Ouzbékistan, où des agents de l’Etat, mais aussi des magistrats aux ordres et des milices privées s’en prennent à la presse en toute impunité. Dans La traque verte. Les dernières heures d’un journaliste en Inde (Actes Sud, 2017), Lionel Astruc décrit implacablement cette guerre contre la nature et le droit d’informer. Continuer la lecture

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« Le journalisme n’est pas une assurance vie », Carl von Ossietzky

Les deux lauréats du Prix Nobel de la Paix 2021, Maria Ressa, directrice de Rappler à Manille, et Dmitri Mouratov, directeur de Novaya Gazeta à Moscou, représentent une profession assiégée. Mais ils incarnent surtout une « certaine idée » du journalisme, libre, indépendant, critique, seul à même, selon la présidente du Comité Nobel Berit Reiss-Andersen, de « protéger contre les abus de pouvoir, les mensonges et la propagande de guerre ».
Cette option pour un journalisme engagé nous renvoie en 1936, lorsque le Prix Nobel de la Paix 1935 fut octroyé au journaliste allemand Carl von Ossietzky, « en raison de son amour ardent pour la liberté de pensée et d’expression et sa contribution précieuse à la cause de la paix ». Tout au long des années 1920, ce journaliste s’était distingué par ses dénonciations de l’ultra-nationalisme et des « revanchards » de la Reichswehr. En 1929, alors qu’il était le rédacteur en chef du magazine pacifiste de gauche Die Weltbühne (La scène mondiale), il osa même aller « un pont trop loin », en publiant des informations sur la reconstitution de la Luftwaffe en violation flagrante du Traité de Versailles.
Condamné en 1932 pour haute trahison, libéré quelques mois plus tard à la suite d’une amnistie, il avait refusé de partir en exil malgré l’imminence d’une victoire nazie. « Le journalisme n’est pas une assurance-vie », disait-il. Dès la prise de pouvoir national-socialiste, une tornade s’abattit sur la presse allemande Des centaines de journaux furent fermés, des dizaines de journalistes furent assassinés, envoyés dans des camps de concentration ou contraints à l’exil. Après cette épuration, il ne resta bientôt plus dans les rédactions que des sténographes du pouvoir qui, par conviction idéologique, peur ou conformisme, se mirent au garde-à-vous.
Carl von Ossietsky fut arrêté en février 1933, au lendemain de l’incendie du Reichstag. Il fut l’un des premiers à être interné dans l’univers concentrationnaire SS, maltraité et soumis au travail forcé. Un diplomate suisse, qui lui avait rendu visite en 1935 au camp d’Esterwegen, évoqua dans son rapport « une créature brisée, pâle comme la mort, avec un oeil gonflé et des dents cassées ». En 1936, soucieux d’améliorer son image avant les J.O. de Berlin, le régime nazi invita deux célèbres correspondants américains au camp de Sonnenburg, où Carl von Ossietzky était détenu. Flanqué de matons, celui-ci leur confia qu’il aimerait recevoir « des livres sur le Moyen Âge en Europe». « Les deux journalistes comprirent très bien son message, note Andrew Nagorski dans Naziland. Et ils regardèrent en silence le prisonnier regagner le nouvel âge des ténèbres». Continuer la lecture

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Contre le « fanatisme de la subordination »

La publication début octobre du rapport Sauvé sur les violences sexuelles au sein de l’Eglise catholique française a provoqué un séisme. 216 000 personnes aujourd’hui majeures ont été abusées par des prêtres ou des religieux depuis 1950 alors qu’elles étaient mineures ; quelque 3 000 clercs se sont comportés en pédocriminels. Et, comme partout ailleurs dans le monde, la gravité et la persistance de ces abus n’ont été rendues possibles que par une longue et insoutenable conspiration du silence.
Aux Etats-Unis, la dénonciation publique de ces crimes date au moins du début des années 1980 et elle a été l’oeuvre d’une poignée de journalistes, souvent catholiques. Jason Berry, du National Catholic Reporter, avait alors publié une enquête accablante, qui lui valut le Prix de l’Association de la presse catholique, mais aussi le courroux de la hiérarchie et la réprobation d’une partie des fidèles. Le journaliste, auteur également d’un des premiers livres consacrés à ce scandale, Lead Us Not Into Temptation (1992), était accusé d’avoir « trahi les siens », alors qu’il se référait aux valeurs de respect et d’humanité inlassablement proclamées urbi et orbi et en chaire de vérité.
En 2004, un autre de ses livres, écrit avec Gerald Renner, Le voeu du silence: l’abus de pouvoir sous la papauté de Jean-Paul II, démontrait que le phénomène n’était pas qu’américain et que la piste remontait jusqu’à Rome. Il dénonçait en particulier la protection accordée à Marcial Maciel Degollado, le fondateur mexicain des Légionnaires du Christ, alors que celui-ci était accusé depuis des années de « comportements inappropriés ». Ici aussi, une poignée de journalistes, mexicains, de La Jornada ou de Proceso, rabroués parfois par leurs collègues plus déférents à l’égard de l’institution ecclésiastique, avaient révélé le scandale et dénoncé l’omerta, « le pacte de type mafieux », comme le qualifiait en 2010 le sociologue Fernando Gonzalez, dont cet homme d’Eglise avait bénéficié au Mexique et au Vatican.
Si l’Eglise catholique avait écouté ces journalistes dérangeants, ses propres lanceurs d’alerte et surtout les victimes, au lieu de les disqualifier, elle ne serait pas aujourd’hui aussi profondément embourbée dans l’infamie. Elle préféra relativiser l’ampleur du phénomène, parler de péché plutôt que de crime, profiter de la passivité des autorités publiques et judiciaires ou se défausser sur « les autres », les évangéliques, Hollywood, les clubs sportifs, « qui, eux aussi, ont fauté ». Quand elle ne prêta pas des intentions indignes à ceux qui, en dévoilant les abus, assumaient leurs responsabilités. Continuer la lecture

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Et revoilà le « monde libre »?

Le lancement du pacte de défense entre les Etats-Unis, l’Australie et le Royaume uni est une étape majeure dans le « pivot » de la politique étrangère américaine. Il vient compléter le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité entre les Etats-Unis, l’Australie, l’Inde et le Japon. Deux initiatives qui visent essentiellement à contenir la montée en puissance et l’expansionnisme de la Chine dans l’Indo-Pacifique.
La rivalité sino-américaine rappelle inévitablement la Guerre froide (1945-1989) par l’importance accordée à la bataille des valeurs et des idées. Les Etats-Unis présentent, en effet, ce face-à-face non seulement comme un choc de puissances économiques et militaires, mais aussi comme l’opposition entre des systèmes politiques radicalement différents. Contrairement à Donald Trump, le Président démocrate postule que la démocratie libérale est un atout de l’influence américaine sur la scène internationale. Sa convocation d’un Sommet des démocraties les 9 et 10 décembre prochains relève de ce story-telling.
L’administration Biden peut-elle, toutefois, prétendre à ce leadership démocratique, alors que, selon Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Jacques Delors, elle est «affaiblie et plus unilatéraliste que jamais? « Croire que l’intérêt américain représente l’intérêt général de l’Occident est une illusion dangereuse », écrivait-elle récemment dans Le Monde.
L’efficacité de cette stratégie dépend aussi de sa cohérence et, en premier lieu, de la réalité de la démocratie dans les pays qui la promeuvent. Or, selon le Democracy Index publié en février par la revue The Economist, seuls 8,5% de la population mondiale vivent dans une « pleine démocratie ». La plupart des vieilles nations libérales sont en crise, minées par l’explosion des inégalités, les crispations identitaires, la méfiance à l’égard des institutions et la montée des extrémismes. Peril, le titre du dernier livre du célèbre journaliste du Washington Post, Bob Woodward, résume parfaitement les risques qui pèsent en particulier sur la démocratie américaine. Continuer la lecture

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Afghanistan: Le cimetière de l’information

En 2002, l’Afghanistan était 104ème au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. En 2021, il avait dégringolé à la 122ème place. Et pourtant, au cours de ces vingt années de présence militaire internationale, le secteur des médias était, avec la scolarisation des filles, l’un des rares succès dont pouvaient se targuer ceux qui ambitionnaient de créer une société plus moderne et plus libre.
Le paradoxe n’est qu’apparent. La chute au palmarès de RSF s’explique non seulement par la montée en puissance des Talibans au fil de leur longue marche vers Kaboul, émaillée de violences, mais aussi par le cynisme de gouvernements «démocratiques » afghans de moins en moins empressés d’assurer la protection de journalistes qui enquêtaient sur leur arbitaire et leur corruption. La liberté de la presse a été le « canari dans la mine », annonçant le coup de grisou.
Depuis la Blitzkrieg victorieuse des Talibans, des cohortes de journalistes ont quitté l’Afghanistan, plus de la moitié des médias ont cessé leurs opérations, l’immense majorité des femmes journalistes ont été écartées, des dizaines de reporters ont été brutalisés et emprisonnés, l’auto-censure règne. Symbole de « l’ordre nouveau », le ministre de l’Intérieur appartient au clan Haqqani, un réseau islamiste et mafieux qui, en 2008, avait enlevé le journaliste du New York Times, David Rohde, et son fixeur.
Obstinés, courageux, quelques journalistes locaux, comme ceux d’Etilaat Roz, résistent. Des envoyés spéciaux de la presse internationale sont toujours sur place, mais dans ce « cimetière des Empires », les journalistes apparaissent condamnés aux catacombes. Et le pays risque de pâtir, de nouveau, des routines et des tropismes du journalisme international.
L’information, lorsqu’elle couvre des pays « du bout du monde », a du mal, en effet, à suivre les sujets qui s’éternisent. Les yeux rivés sur « l’actu », elle s’écarte très vite des événements qui, en se répétant, finissent par provoquer lassitude et engourdissement. Elle peine tout autant à repérer et à traiter les indices, la succession de petites secousses ou les empilements de cailloux, qui annoncent les grands éboulements. Continuer la lecture

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Mourir pour Kaboul?

«Comment demander à un homme d’être le dernier à mourir pour une erreur? ». Le 22 avril 1971, cette phrase avait secoué le Sénat américain, lorsqu’un jeune vétéran, John Kerry, était venu témoigner de son tour of duty au Vietnam. Celui qui devint par la suite le secrétaire d’Etat de Barack Obama (et qui est aujourd’hui l’envoyé spécial pour le climat au sein de l’administration Biden) s’était dit écoeuré par les crimes de guerre et la corruption, révolté par les mensonges. Et il avait imploré l’Amérique de mettre fin à son « erreur ».
Cette phrase revient hanter l’Amérique. Alors qu’on lui avait annoncé une sortie honorable de cette guerre sans fin, l’imprévision et l’improvisation de la Maison blanche apparaissent inexplicables, inexcusables. Mais cette focalisation sur l’événement, sur un instant de l’histoire, ne devrait exempter personne à Washington, aucun des quatre Présidents qui se sont succédé depuis 2001, d’une réflexion exigeante, sans faux fuyant, sur les causes profondes de cette débandade.
La commémoration du 20ème anniversaire des attentats du 11 septembre risque bien d’être dominée par les polémiques actuelles, alors que le temps semblait venu de réfléchir rationnellement à vingt ans de guerre contre le terrorisme. L’Amérique risque de sortir de ce charivari avec les mêmes certitudes altières et les mêmes jugements péremptoires, avec les « il n’y a qu’à », qui rendent pérennes le type d’erreurs dont parlait John Kerry à propos du Vietnam.
Les dirigeants apprennent-ils jamais des leçons de l’Histoire? Certains, oui. Dans ses mémoires, Counsel to the President, parues en 1991, l’ancien secrétaire d’Etat à la défense Clark Clifford avait résumé en une formule fulgurante les raisons de la défaite au Vietnam. « Cette guerre, écrivait-il, était fondée sur de fausses prémisses et sur de fausses promesses ». Continuer la lecture

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Vous avez dit: complots?

La lutte contre le conspirationnisme est devenue une des priorités de nombreux gouvernements occidentaux. Qui s’en étonnerait? Des « platistes » aux disciples de QAnon, les croyances les plus ésotériques se répandent comme une rivière en crue sur des sociétés en panne d’avaloirs. La crise du Covid et les doutes qui l’ont accompagnée ont donné aux complotistes une occasion inespérée de se dresser contre la « parole unique des sachants et des dominants ». Au risque de compliquer la mise en oeuvre de politiques efficaces de santé.
Le conspirationnisme a de multiples genèses. C’est « l’opium des imbéciles », tonne Rudy Reichstadt, fondateur de Conspiracy Watch, dans un livre au titre éponyme (Grasset, 2020). Mais sans vouloir chercher des excuses à ce phénomène, d’autres auteurs l’expliquent aussi par le désarroi et le sentiment d’impuissance que de nombreux citoyens ressentent face à la complexité du monde et aux mensonges récurrents des pouvoirs publics ou privés.
Il y a une demande pour le complotisme, comme il y a une demande pour la presse à sensations. Il y a une offre aussi. « C’est l’arme d’une nouvelle guerre asymétrique entre les régimes autoritaires et les démocraties libérales », dénoncent les dirigeants de l’Union européenne ou de l’OTAN, en pointant du doigt la Russie, ses médias d’Etat et ses officines de ré-information. « C’est le kérosène de l’extrémisme violent », préviennent ceux qui ont suivi, interloqués, l’invasion du Capitole à Washington le 6 janvier dernier. Depuis Les Protocoles des sages de Sion, le texte antisémite gribouillé en 1903 par les barbouzes de la police tsariste, on sait que les « histoires » racontées par des faussaires peuvent être meurtrières. Continuer la lecture

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Le mieux n’est jamais certain

Dorothy Thompson était correspondante du New York Post à Berlin dans les années 1930. Elle fut aussi la première journaliste américaine expulsée par le régime nazi, en août 1934, car elle n’avait aucune illusion sur les intentions d’Adolf Hitler, alors que d’autres prônaient l’apaisement et l’accommodement. Son jugement des accords de Munich en 1938 fut sans appel: « ceux qui, parmi nous, connaissent le sort que les autorités nazies réservent aux minorités savent que cet accord débouchera ouvertement sur l’établissement du règne de la terreur, écrivait-elle le 2 octobre 1938 dans le New York Herald Tribune. Cette paix a été fondée sur l’illégalité et elle ne pourra se maintenir que par l’illégalité. Elle a été fondée sur la dictature et elle ne pourra se maintenir que par la dictature. Elle a été fondée sur la trahison et elle ne pourra se maintenir que par la trahison ».
En août 1941, elle publiait dans Harper’s Magazine une chronique dérangeante, titrée Who goes Nazi? (qui deviendra Nazi?), dans laquelle, décrivant des personnes réunies dans un salon, elle distinguait celles qui pourraient ou ne pourraient pas devenir nazies. L’exercice était éminemment subjectif, contestable même, mais quelques mois avant l’entrée en guerre des Etats-Unis, au beau milieu d’une bataille d’opinion sur l’intervention ou la neutralité face à Hitler, elle rappelait à tous que derrière l’apparence de normalité et de civilité pouvait roder la prédisposition humaine à l’inhumanité. Son mari, le Prix Nobel de Littérature Sinclair Lewis, était sur la même ligne: en 1935, il avait publié It Can’t Happen Here (« ça ne peut pas se passer ici »), un roman d’anticipation sur l’émergence d’un leader fasciste américain, un livre qui connut un regain de succès en 2017, après la victoire de Donald Trump.
On n’est pas en 1941, mais la question de Dorothy Thompson n’est pas incongrue aujourd’hui, alors qu’un peu partout des partis, des mouvements et des intellectuels « nationaux-populistes » occupent de plus en plus l’espace politique et médiatique. Qui, parmi les partisans de ces partis, « deviendront nazis », qui seront les Céline et les Brasillach?, se serait sans doute demandée Dorothy Thompson. Continuer la lecture

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Amérique latine. Silence, on tue

Depuis fin avril, les manifestations violentes se succèdent en Colombie et leur visibilité médiatique est renforcée par la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos spectaculaires et dramatiques. Etats-Unis, Union européenne, ONU : les appels à la retenue et au dialogue se multiplient. Inquiètes de leur image internationale, les autorités colombiennes tentent fébrilement de reprendre le contrôle du récit médiatique, en dénonçant « l’infiltration de criminels et de guérilleros parmi les manifestants ». Le ministre de la justice a même évoqué « une conspiration internationale pour discréditer la Colombie ».
Toutefois, cette stratégie de communication patine: le décryptage des vidéos, notamment par les équipes d’investigation visuelle du Washington Post ou du New York Times, montre clairement que la police fait un usage disproportionné de la force. Si deux policiers ont été tués, le plus grand nombre de victimes, plus de 60 personnes selon Human Rights Watch, se trouvent du côté des manifestants. Mis sous pression par son ex-mentor politique, l’ultra-conservateur Alvaro Uribe, et par cette partie de l’opinion qui veut la loi et l’ordre, le président Duque peine à s’interroger sérieusement sur le désespoir et la fracture sociale, encore aggravés par l’impact du Covid 19, qui alimentent ces manifestations.
En fait, la focalisation de la presse internationale sur les affrontements urbains conduit à une représentation partielle de la violence dans ce pays tourmenté, que son plus illustre écrivain, Gabriel Garcia Marquez, avait naguère qualifié d’ « inanalysable ». Loin des caméras et des smart phones, une autre forme de violence, ciblée et coordonnée, fait davantage de victimes encore et, à l’inverse des protestas qui surgissent sur les grandes avenues, elle représente un phénomène structurel et permanent. Quasiment invisible.
En février dernier, Human Rights Watch a publié à ce propos un rapport au titre éloquent, Laissés sans défense, sur les assassinats d’activistes dans les régions isolées de Colombie. Depuis 2016, année de la signature d’un accord de paix entre l’Etat et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), la Colombie est le pays d’Amérique latine où l’on tue le plus de défenseurs des droits humains: plus de 450 déjà. Selon un rapport de la Commission colombienne des juristes, les auteurs présumés de ces assassinats appartiennent à des bandes criminelles, à des guérillas d’extrême gauche, à des groupes paramilitaires d’extrême droite, voire même à la force publique. Ils visent en particulier des dirigeants des communautés africaines et indigènes, des leaders paysans et des syndicalistes, qui jouent un rôle essentiel dans des régions largement abandonnées par l’Etat. Continuer la lecture

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