Biden et Trump à l’ombre des bénitiers. L’enjeu du vote catholique aux Etats-Unis

De Portland à Kenosha, les Etats-Unis semblent au bord de la crise de nerfs. L’enchainement des violences policières, des protestations pacifiques, et puis des émeutes et des pillages, renvoient inévitablement à la fin des tumultueuses années 1960, lorsque, dans l’atmosphère délétère de l’enlisement militaire au Vietnam, de la montée des contestations radicales et des assassinats de Robert Kennedy et de Martin Luther King, les ghettos noirs explosèrent. Les scènes de violence furent exploitées par le candidat républicain Richard Nixon pour marteler un message de restauration de la Loi et de l’Ordre et gagner les élections en 1968.
Aujourd’hui, chez les Démocrates, cet emballement de la violence est vécu avec la même angoisse qu’à la fin de ces Swinging Sixties. Donald Trump joue sur l’extrémisation de la campagne. Il exploite toutes les fractures de la société, attise les ressentiments et est applaudi par les militants suprématistes blancs. Même s’il a été abandonné par les figures républicaines les plus modérées, il « tient » le Grand Old Party, qu’il a refaçonné à son image, et il a reçu l’appui de nombreux syndicats de police, qui appellent à voter pour sa réélection.
Echaudés par leur ratage de 2016, les pronostiqueurs ont encore plus de mal cette année. La crise du Covid, son impact économique, mais aussi la question des violences policières et de rue ont tout bouleversé. Et, dans la recherche des responsabilités, il est difficile de savoir qui, dans le secret des urnes, sera blâmé. Aujourd’hui, Joe Biden mène dans les sondages, mais les politologues préviennent: si Donald Trump fait le plein de son électorat parmi les évangéliques blancs, qui avaient déjà voté à plus de 80% pour lui en 2016, et surtout s’il se maintient chez les catholiques blancs, dont il avait capté 60% des suffrages, il peut l’emporter.
Pour réussir sa campagne, Joe Biden doit à tout prix éteindre l’incendie au sein de la communauté noire, sans la démobiliser, et des groupes « antifa” (gauche radicale), un « désordre » qui fait objectivement le jeu de son adversaire. L’accroissement de son score au sein de la population blanche en dépend. Et, dans ce contexte, le vote catholique sera crucial, car il pèse lourd dans les Etats pivots de la « ceinture de la rouille », comme la Pennsylvanie, là où Donald Trump avait gagné de justesse en 2016. «L’électorat catholique, jadis acquis aux Démocrates, est à prendre », notait récemment le magazine des jésuites, America.

Foi et identité blanche
De nouveau, les questions identitaires hantent la campagne et elles s’entrecroisent avec les convictions religieuses. Une partie de l’électorat populaire blanc, traditionnellement proche du Parti démocrate, avait voté en 2016 pour Donald Trump, en guerre contre la globalisation et le cosmopolitisme incarnés par Hillary Clinton. Ce vote « populiste » reflétait aussi la peur sourde d’un déclassement, au bénéfice des minorités « non caucasiennes », et le rejet d’un progressisme anti-armes et pro-environnement mettant en cause une certaine idée nostalgique de l’American way of life. S’y ajoute aujourd’hui l’enjeu de la Loi et de l’Ordre, qui recouvre largement la question raciale.
Catholique pratiquant, éduqué dans la doctrine sociale de l’Eglise, bien ancré dans les milieux populaires, Joe Biden devrait tout naturellement accaparer le « vote papiste ». Mais l’équation n’est pas aussi simple qu’en 1960, lorsque John Kennedy devint le premier président catholique de l’histoire américaine. Le catholicisme américain est aujourd’hui profondément divisé: sur les questions éthiques (avortement, mariage pour tous), l’immigration, la justice sociale et l’égalité raciale; et entre les communautés, blanches (irlandais, italiens, etc.) et hispaniques.
Par ses références au bien commun, à l’empathie et à la solidarité, le candidat démocrate a choisi « ses » catholiques, une classe moyenne « morale » et « sociale, outrés par les idées et les comportements du Président. L’intervention d’un adolescent bègue lors de la Convention nationale du Parti démocrate a symbolisé ce choix, face un Donald Trump qui n’a pas pour vertu première la « charité chrétienne ».
Le milliardaire, né presbytérien mais proche de « l’évangélisme de la prospérité », correspond assez mal, tout le monde en convient, aux canons du catholicisme. « Que Trump puisse encore attirer des électeurs catholiques est un véritable scandale », écrivait même le National Catholic Reporter, la revue de la « gauche du Christ ». Mais si un sondage indiquait qu’en mai dernier, 43% seulement des catholiques blancs approuvaient Donald Trump, celui-ci garde de solides partisans, en particulier parmi les catholiques les plus pratiquants, en raison notamment de ses positions sur l’avortement (« pro-choice » en 1999, il est « pro-life » aujourd’hui).

Les évêques de Jean-Paul II
La hiérarchie catholique, encore dominée par « les évêques de Jean-Paul II », dont le très trumpiste cardinal de New York Timothy Dolan, continue à pencher majoritairement du côté conservateur. Elle se reconnaît dans cette faction influente du Grand Old Party menée par William Barr, le ministre de la Justice, proche de l’Opus Dei, qui attribue au Parti démocrate « toutes les pathologies sociales du pays ». Elle n’apprécie guère non plus que Joe Biden, contrairement aux Catholics for Trump, voire aux juges nommés par les Républicains (quatre sur cinq sont catholiques) à la Cour suprême, refuse d’être « l’agent de l’Eglise » au sein des institutions.
L’influence de la hiérarchie sur le vote catholique s’est affaiblie au cours de ces dernières années, en particulier à la suite des scandales de pédophilie qui ont touché l’Eglise, mais aussi des tensions controversées avec le Pape François (lire à ce sujet, Comment l’Amérique veut changer de Pape, Nicolas Senèze, Bayard, 2019), jugé trop « progressiste ». Mais dans un pays où un Américain sur cinq est de foi ou de culture catholiques, l’issue de la campagne pourrait bien se jouer aussi sur ce swing vote, ce vote girouette, à l’ombre des bénitiers.

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