Elle s’appelle Consuelo de Saint-Exupéry, née Suncin Sandoval le 16 avril 1901, dans la ville d’Armenia au Salvador. Elle a étudié à San Francisco et Mexico, travaillé comme journaliste au Mexique, rencontré Maurice Maeterlinck à Paris. En 1931, elle a épousé Antoine de Saint-Exupéry, lorsqu’il volait pour l’Aéropostale, qui reliait la France à l’Argentine. Elle a inspiré une chanson qui parle de son angoisse, quand son aimé « s’envolait dans la nuit par-dessus la terre et l’eau ». « Elle pleure, elle pleure quand son amour traverse l’Atlantique-Sud dans un petit avion de fer dans les orages et les éclairs », chantent Alain Souchon et Laurent Voulzy. Après la défaite de juin 40, elle s’est retrouvée à la villa Air-Bel, à Marseille, aux côtés de Varian Fry, le premier Américain sacré Juste parmi les Nations, l’homme qui sauva des centaines d’intellectuels et artistes anti-nazis, dont Hannah Arendt, Stéphane Hessel et Marc Chagall. En 1941, elle a rejoint la résistance dans le Luberon, rencontré André Breton et Max Ernst. Réfugiée aux Etats-Unis, elle a accueilli dans« la maison du Petit Prince », à Long Island, les exilés Jean Gabin, Marlène Dietrich, Denis de Rougemont. Non, son pays à elle n’est pas un trou à m…
Il s’appelle Mgr Oscar Arnulfo Romero. Il est né le 15 aout 1917 à Ciudad Barrios au Salvador. Il a été assassiné le 24 mars 1980 par les escadrons de la mort, alors qu’il célébrait la messe dans la chapelle de l’hôpital de la Divine Providence, à San Salvador. Il a été catholique conservateur, avant de s’indigner de l’injustice sociale et de la brutalité de la dictature militaire. Archevêque, il défendait les droits humains, les petits paysans, les habitants des bidonvilles. En février 1980, l’Université catholique de Louvain lui a octroyé le titre de Docteur Honoris Causa. Mais dans son pays, « ils » ont dit qu’il était communiste, qu’il était comme une pastèque, « verte à l’extérieur, rouge à l’intérieur ». Ils ? Des militaires, des oligarques, membres des fameuses « Quatorze familles » qui, depuis toujours, régentent le pays. Depuis 1998, sa statue figure dans la série des dix martyrs de l’abbaye de Westminster, entre celles des pasteurs protestants Martin Luther King et Dietrich Bonhoeffer. Le pape Jean-Paul II, aveuglé par son anticommunisme, l’avait boudé. Les Pape Benoit XVI et François ont oeuvré à sa béatification, le qualifiant de « prophète de l’espérance ». Non, son Salvador à lui n’est pas un trou à m…
Il s’appelle Oscar Martinez, né en 1980 à San Salvador. Il est journaliste à El Faro, l’un des premiers médias en-ligne d’Amérique latine. En 2016, il a été lauréat du Prix international de la liberté de la presse du Comité de protection des journalistes (New York), du Prix de la Fondation Gabriel Garcia Marquez et du Prix Maria Moors Cabot de l’Université de Columbia. Membre de l’équipe d’investigation Sala Negra, il a enquêté avec une audace incroyable non seulement sur la violence des maras, ces gangs nés aux Etats-Unis dans les années 1980 parmi les migrants salvadoriens et renvoyés au Salvador dans les années 1990, mais aussi sur les exécutions extra-judiciaires commises par les forces de sécurité. Il est l’auteur de La Bestia, un reportage hallucinant sur le périple des migrants d’Amérique centrale qui traversent le Mexique livré à la loi des cartels de la drogue et tentent désespérément de gagner les Etats-Unis. Il a aussi écrit Histoire de la Violence, qui révèle comment la criminalité, alimentée par la corruption locale et par l’addiction des camés américains et européens, dévore l’Amérique centrale et le Mexique, happe des femmes dans l’enfer du viol et de la prostitution, piège des enfants dans l’exploitation, la misère et la terreur. Non, son pays à lui n’est pas un trou à m…
Elles s’appellent Grecia ou Ana, ils se nomment Miguel ou Antonio. Chaque jour, au Salvador ou aux Etats-Unis, ils se battent pour offrir un avenir à leurs enfants. Ils travaillent dans les champs, triment dans les cuisines et les entrepôts. Ils ne sont pas complices, mais victimes des gangs latinos qui terrorisent leurs quartiers. Ils cuisinent des pupusas, chantent El Carbonero, dansent au son de la chanchona et de la marimba. Non, leur pays à eux n’est pas un trou à m…, mais bien, comme l’écrivit la poétesse chilienne Gabriela Mistral, « le Petit Poucet de l’Amérique ».
Il s’appelle Donald Trump. Il est né le 14 juin 1946 à New York. Le 11 janvier, selon des témoignages, qu’il conteste, il aurait traité le Salvador de « trou à merde ». Quelques jours plus tôt, la Maison Blanche avait annoncé le renvoi dans leur pays de plus 200.000 Salvadoriens dotés d’un statut de protection temporaire. Beaucoup résident aux Etats-Unis depuis plus de 20 ans. 88% d’entre eux, plus que la moyenne nationale, ont un emploi. Un tiers possèdent une maison. Ils y ont eu des enfants qui, eux, sont de citoyenneté américaine. Si elle n’est pas bloquée par la justice, cette décision, qui s’ajoute à l’annulation d’un programme de protection pour les enfants migrants, va déchirer des familles et accroître le chaos dans ce petit pays d’Amérique centrale confronté à une violence inouïe. Peu importe?
Des économistes évaluent à des dizaines de milliards de dollars la perte pour l’économie américaine. Peu importe. Donald Trump est, selon ses propres mots, «un génie stable ». Il est « quelqu’un qui a beaucoup de coeur ». Son QI est « l’un des plus élevés » et il est l’homme le moins raciste que vous pourriez interviewer ». On l’appelle aussi The Donald et il va « rendre sa grandeur à l’Amérique »…
Note: ce texte a été publié comme “chronique du vendredi” dans Le Soir papier et Le Soir+ le 19 janvier 2018.