Lors de sa stupéfiante campagne, Donald Trump n’a pas raté une occasion de s’en prendre à des médias qui, pourtant, ont bâti sa notoriété et contribué à sa fortune. Impérial, le milliardaire new-yorkais parque les reporters dans un coin de ses meetings et son service d’ordre veille, par la force s’il le faut, à ce qu’aucun d’entre eux ne sorte des rangs. Irascible, il a éjecté d’une de ses conférences de presse Jorge Ramos, l’un des journalistes hispaniques les plus influents du pays, et traité de « bimbo » Megyn Kelly, une présentatrice vedette de la chaîne conservatrice Fox News. Et il a même menacé, une fois au pouvoir, de durcir les lois sur la diffamation et d’en user sans retenue contre les journalistes.
Les attaques contre les grands médias « libéraux » font partie de la tradition conservatrice américaine. L’histoire du journalisme a ainsi retenu la phrase du vice-président républicain Spiro Agnew, à l’époque de Richard Nixon, traitant les journalistes de « nababs bavards du négativisme ». Ou encore l’un des slogans républicains de 2004: « Ennuyez la presse. Réélisez Bush ». Pour la droite de la droite américaine, la « presse dominante » est une imposture, un abus de pouvoir, un corps étranger. Ainsi, le New York Times, le journal de l’Establishment libéral, a été régulièrement accusé de trahison, comme lorsqu’il décida, en 1971, de rendre publics les Dossiers du Pentagone dévoilant les « non-dits» de l’intervention au Vietnam ou, en 2010, de publier les dépêches confidentielles du Département d’Etat révélées par Wikileaks.
En cette année électorale si particulière, l’attaque contre les grands médias a pris une connotation nationaliste et populiste exacerbée, en phase avec cette partie de l’Amérique populaire, blanche, nativiste et xénophobe qui accourt aux meetings de Donald Trump. Pour Joe Six Pack et Plain Jane, symboles de l’ « Amérique moyenne », la grande presse, qui appelle à l’ouverture, à la diversité, à la modération et à la raison, appartient au même monde prétentieux que cette caste cosmopolite honnie qui a favorisé les délocalisations, ouvert largement les frontières aux migrations et brisé « leur » rêve américain. Lorsque leur héros montre du doigt les « journaleux » entassés dans le carré qui leur a été assigné, ils sifflent et huent, comme la plèbe jadis appelait à la guillotine.
Il est vrai que les titres de référence comme le New York Times ou le Washington Post n’ont pas épargné Trump, ni dans leurs enquêtes ni dans leurs éditoriaux. Une cohorte de chroniqueurs influents l’ont aussi pris à partie, mettant en garde l’opinion contre un personnage jugé impétueux, dangereux, « mussolinien ». Mais ces critiques « intellectuelles » n’ont fait que renforcer le candidat républicain au sein de « son » public journalistophobe.
Le populisme médiatique
De toutes façons, Trump n’a que faire de la presse de référence. Les réseaux sociaux et les sites Internet lui ont offert une force de frappe incommensurable. De surcroît, les médias audiovisuels, incapables de résister à leurs réflexes, lui consacrent un espace disproportionné, relayant bruyamment chacune de ses provocations, répétant à l’infini ses phrases les plus outrancières, le plaçant en fait au centre du jeu, sous les projecteurs.
Plus fondamentalement encore, Donald Trump a profité de la montée en puissance, ces trente dernières années, de médias courtisant sans vergogne l’ignorance et l’exaspération d’une partie de l’opinion. L’empereur du talk show, le bouillant Rush Limbaugh, et les animateurs hyper-agressifs et hyper-partisans de Fox News ont contribué à créer une atmosphère toxique, fondée sur la mauvaise foi et la virulence, qui détermine largement la manière dont une partie de l’opinion aborde le show politique.
« Fox a contribué à créer une éco-système médiatique conservateur qui diffuse de fausses narrations, attise le ressentiment et cultive l’indifférence à l’égard de la vérité », notait Sean Illing dans Salon. Les spin doctors des factions les plus extrémistes du Parti républicain ont fait le reste. Exploitant les instincts les plus troubles, cherchant systématiquement à polariser et à cliver, la machine de bruit du Tea Party a gravement dégradé le discours public. C’est dans cette bulle de rancoeur et d’agressivité que vivent aujourd’hui une bonne partie des électeurs républicains. Au grand dam des notables et apprentis-sorciers du Grand Old Party, dépassés par une créature qu’ils ont contribué à créer.
L’Amérique paie aujourd’hui des décennies de populisme médiatique. L’abandon sous Ronald Reagan des règles d’équité et de pluralité qui cadraient jusque-là les chaînes de télévision, l’extrême commercialisation de l’information, la télé poubelle, la télé-réalité, les débats pugilats, les buzz et les trolls, « le torrent d’images et de sons, comme l’écrit Todd Gitlin, qui envahit nos vies », ont façonné un public mésinformé, désorienté, camé aux stimuli médiatiques du spectaculaire et du dérisoire. Dans ce monde de phrases fielleuses et de rires gras, la vérité n’est plus une référence. Et Donald Trump peut aujourd’hui dire n’importe quoi en toute impunité.
« La crise de la démocratie occidentale reflète une crise dans le journalisme », avertissait le grand chroniqueur américain Walter Lippmann en 1920. La campagne électorale de 2016 est venue confirmer son adage. Du chaudron médiatique, porté à l’incandescence par des alchimistes exaltés, est sorti celui que certains appellent, sans rire, Frankentrump.
Ne plaignons pas trop les américains car les européens ont Orban ,Kashinsky, l’autriche la slovaquie et le ramping de l’europe devant le nouveau calife Erdoga