La campagne lancée cette semaine par Amnesty International sur les libertés d’expression, d’association et de réunion en Russie a une portée universelle. Non seulement parce que les droits humains sont universels, mais aussi parce que les restrictions apportées aux libertés dans un pays particulier affectent inévitablement les libertés de tous. Dans un monde globalisé, la censure n’a pas de frontières. Elle réduit notre capacité à connaître et comprendre des événements ou des phénomènes qui peuvent à tout moment déterminer notre propre sort.
Les mesures répressives décrétées par les autorités russes à l’encontre de la presse ou d’Internet, que décrit dans le détail le nouveau rapport d’Amnesty, sont particulièrement néfastes dans le contexte actuel de confrontation en Ukraine. Elles empêchent, en effet, l’opinion internationale de disposer des informations nécessaires au suivi d’une crise qui peut à tout moment déborder et qui plombe déjà les relations internationales.
Ajoutées au renforcement de la propagande patriotique, ces mesures contribuent à un unanimisme national qui complique inévitablement la recherche de solutions tempérées et raisonnables. Depuis la reprise en mains de l’ensemble des chaînes de télévision et de l’agence de presse RIA-Novosti, depuis le durcissement des règles imposées aux sites d’information en ligne, l’immense majorité de la population russe ne connaît du monde que ce que le Kremlin veut bien lui dire.
En fait, la dégradation des relations avec la Russie démontre une nouvelle fois que, si les démocraties ne sont pas vaccinées contre le bellicisme, l’autoritarisme interne peut davantage encore déboucher sur l’aventurisme externe. Les politiques extérieures dites réalistes, fondées sur la « normalité » des relations avec des régimes autoritaires, se révèlent souvent illusoires et contreproductives. La violation des droits humains au niveau national est tôt ou tard source d’insécurité internationale.
Le poutinisme s’exporte
L’état des libertés en Russie est un sujet de préoccupation d’autant plus important que le « modèle politique » incarné par Vladimir Poutine, au carrefour du soviétisme et de l’Eurasisme, inspire d’autres gouvernements tentés de copier cette formule bien rodée, fondée sur le nationalisme, le conservatisme et l’autoritarisme. La facilité avec laquelle le Président russe impose ses normes politiques, la faiblesse des protestations citoyennes, offrent un bréviaire aux autocrates partout ailleurs dans le monde.
Ce n’est pas un hasard, en effet, si l’on parle de « Poutinisme » là où des gouvernants, comme le président Erdogan en Turquie ou le président Maduro au Venezuela, confondent leur mandat électoral avec un droit à l’arbitraire et à l’exclusion des opposants et des dissidents, comme si ces derniers étaient par essence illégitimes. Ce n’est pas un hasard si une partie de l’extrême droite européenne, les nationaux-populistes, le Front national de Marine Le Pen, se sentent si bien à Moscou.
Le message d’Anna
Le rapport de forces ne paraît guère favorable aujourd’hui aux partisans des libertés en Russie. D’autant plus que le Kremlin ne se prive pas de qualifier d’ « agents de l’étranger », voire de traîtres, ceux qui contestent son pouvoir. Mais qui défend le mieux l’honneur de la Russie, sinon ces militants et ces citoyens qui sont convaincus que leur pays peut sortir de ses malédictions autoritaires?
Anna Politkovskaia, la journaliste de Novaya Gazeta, fut lâchement assassinée le 7 octobre 2006 parce qu’elle était, comme l’écrit sa traductrice Galia Ackerman, “la conscience d’une Russie honnête qui lançait un défi à notre humanité et nous appelait au secours ». Elle fut lâchement assassinée parce que ses adversaires étaient incapables, intellectuellement et moralement, de répondre à ses dénonciations.
Là où les gouvernants voient de l’ingérence, les associations de défense des droits humains ou de la liberté de la presse évoquent la solidarité. L’argument de la souveraineté nationale est nul et non avenu, en effet, lorsqu’il s’agit de défendre des normes universelles. Des normes auxquelles la Russie a officiellement et volontairement souscrit, comme membre des Nations unies, mais aussi comme membre du Conseil de l’Europe, garant politique de la Convention européenne des droits de l’Homme.
“Si on veut interdire un de vos livres, écrivez-en un autre“, déclarait il y a quelques jours Salman Rushdie lors d’une cérémonie à Mexico. Si on veut vous faire taire, criez“. C’est aussi le sens, universel, global, rebelle, de la campagne d’Amnesty International à propos de la Russie. Speak out for freedom! Là-bas et ici.