La Chine s’est lancée depuis quelques années dans un développement impressionnant de sa présence médiatique internationale. Regardez-bien les images de votre téléviseur et vous y verrez de plus souvent surgir un micro au logo de CCTV, la chaîne d’information chinoise. Notez les sources des dépêches dans nombre de journaux africains et vous y découvrirez la signature de l’agence Xinhua. Partout, dans le monde, la Chine multiplie les projets médiatiques. Elle forme de plus en plus de journalistes d’Afrique ou d’Asie centrale. Pékin a aussi accueilli en octobre dernier une nouvelle édition du World Media Summit, où se sont retrouvés les plus hauts dirigeants des plus grands médias occidentaux, comme la BBC, Reuters ou le New York Times.
Alors, la Chine serait-elle en passe d’adopter ce qui constitue théoriquement le fondement d’une entreprise médiatique : la liberté de la presse ? Pas vraiment. Même si les journalistes chinois d’aujourd’hui n’ont pas grand-chose à voir avec les propagandistes guindés de l’époque maoïste, même si certains d’entre eux font courageusement un travail remarquable, ils sont strictement cadrés. Tout “dérapage” coûte cher. Cette obsession du contrôle s’étend désormais à la presse internationale.
Ces dernières semaines, une série d’incidents ont donné une idée des crispations chinoises. Paul Mooney, l’un des spécialistes les plus renommés de la Chine, s’est ainsi vu refuser le renouvellement de son visa, alors qu’il était parrainé par la prestigieuse et influente agence Thomson Reuters. L’année dernière, Melissa Chan, la correspondante de al-Jazeera English, avait connu le même sort. Selon les associations de défense de la liberté de la presse, leur couverture des questions de droits de l’homme, du Xinjiang ou du Tibet n’aurait pas été jugée « objective » par les autorité chinoises.
“L’atmosphère est la pire que j’ai connue depuis le début des années 1990“, estime Paul Mooney, alors que la Chine cherche à se présenter sous le signe d’un pays qui se libéralise. Dans une longue interview accordée à Bob Dietz, responsable Asie du Comité de protection des journalistes (CPJ, New York), le vétéran de la Chine, ancien d’Asiaweek et du South China Morning Post, décrit les harcèlements, les filatures, les contrôles et les intimidations qui sont le lot de nombre de correspondants étrangers.
L'”affaire” Bloomberg News
La crainte de rétorsions chinoises pourrait également expliquer la suspension par Bloomberg News d’une enquête d’une de ses équipes en Chine. Bien que l’information reste encore assez imprécise, le rédacteur en chef de Bloomberg News, Matthew Winkler, aurait bloqué ou différé la publication d’un dossier sur les liens financiers entre un milliardaire rouge et des hauts dirigeants du Parti communiste chinois. L’un des journalistes à l’origine de cette investigation, Michael Forsythe, aurait été suspendu voire licencié. Selon des indiscrétions, Matthew Winkler aurait signalé qu’il craignait les représailles de Pékin et en particulier l’expulsion de ses correspondants.
L’année dernière, Bloomberg News avait déjà publié une enquête de ce type et qui avait été suivie de rétorsions, dont la diminution des achats du fameux et très lucratif terminal financier Bloomberg et le blocage de son site. Le New York Times, qui avait lui aussi publié des révélations embarrassantes sur la nomenklatura chinoise – une enquête célébrée par le Prix Pulitzer -, a également subi les foudres des autorités qui, selon The Economist, ont bloqué son site et gelé le nombre de ses collaborateurs en Chine.
La peur de l’info-boomerang
Pékin n’apprécie guère que des médias prestigieux écornent son image sur la scène internationale, mais elle craint encore davantage que les citoyens chinois ne prennent connaissance par le biais d’Internet des informations diffusées à l’étranger sur des sujets considérés comme hors limites par les médias nationaux.
Au lieu d’expulser bruyamment des correspondants étrangers, la Chine a choisi des voies plus administratives et moins visibles, comme le refus de renouveler des visas. Elle cherche aussi à frapper au portefeuille les grands groupes médias qui ambitionnent tous d’être présents en Chine, la deuxième puissance économique mondiale.
« Au moment où les médias d’information voient leur business model sous pression, écrit Evan Osnos dans The New Yorker, il n’est guère tentant pour eux de prendre des risques ». « Mais, ajoutait-il, en tant que correspondants étrangers, nous avons toujours eu pour tâche de parler des événements dont les journalistes locaux ne pouvaient pas parler. Si la Chine refuse l’entrée à des correspondants étrangers à cause de la qualité de leur travail, leurs collègues ont la responsabilité de rapporter ce fait avec autant de diligence qu’ils ont couvert les progrès de la Chine ».
L’enjeu de ce bras de fer entre la presse internationale et les autorités chinoises est immense. Il porte sur le droit d’informer correctement et sérieusement sur les rapports de force, les débats politiques, les choix économiques et les contestations sociales au sein d’un pays qui, de plus en plus, détermine le sort du reste du monde.