Mercredi, les autorités russes se sont empressées de s’excuser du harcèlement policier auquel avaient été soumis, quelques jours plus tôt, des journalistes de la chaîne norvégienne TV2, qui enquêtaient sur les préparatifs des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi. « La police locale a abusé de son autorité », a déclaré en substance le ministère russe des Affaires étrangères, qui a promis des sanctions à l’égard de fonctionnaires trop zélés.
Cet incident, qui avait été dénoncé par Human Rights Watch, témoigne des difficultés des autorités russes à calibrer leur politique à l’égard de la presse internationale, qui commence peu à peu à s’intéresser aux Jeux olympiques d’hiver avant de déferler en février prochain pour couvrir l’événement. Comment « gérer » la presse dans un pays qui figure à la 148ème place du classement international de Reporters sans frontières et où 52 journalistes ont été tués depuis 1992, selon les chiffres du Comité pour la protection des journalistes (CPJ, New York) ?
Jeudi dernier, à Aarhus où se tenait la grande conférence Play The Game, rendez-vous mondial des journalistes, chercheurs et dirigeants sportifs, le directeur exécutif de l’agence de presse officielle Ria/Novosti, Dmitry Tugarin, s’était efforcé de présenter un panorama optimiste des préparatifs et, en particulier, de l’état de sa force de frappe journalistique. « Positivement fiers : la gestion des attentes des médias dans une nation hôte des JO » : le titre de son discours était censé rassurer la presse internationale en lui promettant une offre d’informations abondante, diverse et efficace. Mais les réactions de l’audience indiquèrent qu’il n’avait pas tout à fait convaincu. Il ne répondit pas en tout cas au discours que je venais de prononcer, au nom du CPJ, et qui dressait la liste des atteintes à la liberté de la presse en Russie.
Si certains sportifs martèlent qu’il faut « cesser de mélanger la politique et le sport » et s’agacent des critiques des organisations de défense des droits de l’homme, d’autres ne l’entendent pas de cette oreille. Sensibles aux rapports des ONG, qui font état d’un durcissement du pouvoir, avec la condamnation des Pussy Riots, la re-pénalisation de la diffamation, le ciblage de la “propagande homosexuelle” ou la loi sur les « agents étrangers », ils n’ont pas l’intention de se laisser cornaquer par les forces de sécurité et d’aller à Sochi en promettant de ne parler que de compétitions et de scores.
Certes, le risque d’un attentat terroriste est réel dans cette région située aux portes du Caucase. Un émir islamiste a d’ailleurs menacé de prendre Sochi pour cible. Mais l’argument sécuritaire, qui a été utilisé, en août dernier, pour adopter un décret très restrictif dans toute la ville de Sotchi, sert aussi très opportunément à bannir toute protestation pacifique. Déjà cadenassés par les règles draconiennes du Comité international olympique, les journalistes craignent de ne pas pouvoir circuler librement dans la ville pour y couvrir les sujets qui fâchent les autorités (le surcoût des JO, les évictions de résidents, la corruption, etc.).
La politique de délivrance de visas sera le premier test de l’ouverture ou de la crispation de la Russie en ces temps olympiques. Jusqu’ici, les journalistes internationaux et les correspondants étrangers basés à Moscou ont pu informer sans réelles entraves sur les polémiques qui accompagnent les Jeux. A l’exception d’un journaliste turc, renvoyé chez lui alors qu’il voulait enquêter sur la question du « génocide oublié des Circassien » au 19ème siècle. Et d’un photojournaliste hollandais, Rob Hornstra, qui a été privé de visa, en raison sans doute de son Sochi Project, un web-documentaire sur l’ensemble des « questions qui dérangent » à propos des JO de Sochi.
Vladimir Poutine joue gros dans ce pari risqué de Sotchi. La communauté internationale aussi : l’octroi de méga-événements sportifs à des gouvernements autoritaires semble devenir la norme. Au nom de la diversité du monde, certes, mais aux dépens de sa liberté aussi.