Dans les années 60 et 70, Walter Cronkite était « the most trusted man in America », « l’homme en qui l’Amérique avait le plus confiance ». Présentateur du journal télévisé de la chaîne CBS News, alors au faîte de sa gloire, il avait été, lors de la Seconde Guerre mondiale, correspondant de guerre en Europe, aux côtés de l’armée américaine. Il couvrit notamment la bataille des Ardennes, en 1944.
En 1968, au retour d’un reportage au Vietnam, un conflit qu’il avait couvert avec une impartialité rigoureuse, il déclara que la guerre ne pouvait pas être gagnée, ce qui amena le président Lyndon Johnson à déclarer : « si j’ai perdu Walter Cronkite, j’ai perdu l’Amérique ».
Patriote insoupçonnable, démocrate convaincu, soucieux de trouver un équilibre entre la liberté d’informer et le devoir de protéger les intérêts de la nation, Walter Cronkite a défini sa conception du journalisme de guerre dans une interview publiée en 2003 dans le livre Reporting America at War. Ce texte apporte un complément éclairant à ma chronique publiée ce mercredi sous le titre Mali, la presse en déroute.
« Je crois qu’il faut une censure en temps de guerre, écrivait-il. J’y crois fermement. Mais en exerçant cette censure, les militaires devraient définitivement répondre à une juridiction d’appel civil, des individus qui comprendraient le droit des gens de savoir.
Dans une situation de guerre, le gouvernement américain demande à son peuple l’engagement le plus intime. C’est notre guerre, nos troupes, nos jeunes. Nous devons connaître dans le détail comment ils agissent en notre nom, quand ils agissent bien et quand ils agissent mal. Et d’ailleurs surtout quand ils agissent mal.”
“Les correspondants de guerre devraient toujours être avec les troupes, ajoutait-il, partout où elles sont, dans les airs, sur la terre ferme, sous la mer, partout. Les correspondants doivent être là pour informer. Leurs dépêches devraient passer par les procédures de la censure afin qu’aucun secret militaire ne soit donné à l’ennemi. Mais leur reportage servira à l’histoire. Peut-être ne sera-t-il pas diffusé tout de suite en raison de la censure, ou seulement le lendemain, ou des mois plus tard. Mais il sera diffusé tôt ou tard, un an après et il sera disponible dix ans plus tard. Nous ne disposons pas de film indépendant sur la guerre du Golfe de 1991, parce que nos correspondants n’ont pas eu l’autorisation d’aller au front avec les troupes. Ils auraient dû pouvoir s’y rendre. Les films qu’ils auraient réalisés auraient été envoyés à la censure et s’ils ne pouvaient pas être diffusés immédiatement, au moins ils l’auraient été plus tard, pour l’histoire. Cette histoire est perdue pour nous. C’est un crime contre la démocratie. »
“J’espère que les démocraties comprendront que les citoyens doivent savoir ce que leurs jeunes font en leur nom, concluait-il. Quand nous étions en Allemagne après la fin de guerre, des Allemands aux joues roses s’approchaient de nous, les larmes aux yeux, et nous juraient qu’ils ne savaient pas ce qu’il se passait sous Hitler. C’était de leur faute. Ils devaient assumer la responsabilité parce qu’ils avaient approuvé la censure que Hitler avait introduite. Une fois qu’ils approuvèrent cette censure et que les gens furent privés du droit de savoir, ils devinrent aussi coupable que les exécutants”. A méditer…