Ces dernières semaines, le candidat républicain à la présidence Mitt Romney s’est donné une image plus pondérée que celle qu’il avait arborée durant la campagne des élections primaires. Mais ce léger recentrage n’a pas dissipé les doutes et les craintes sur ce que seraient effectivement sa présidence et en particulier, sa politique étrangère.
Qui pense le monde pour Mitt Romney ? La question est cruciale, dans la mesure où l’ex-gouverneur du Massachusetts n’a pas d’expérience internationale et qu’il a fréquemment flip-floppé (tergiversé), au gré des débats et des publics auxquels il était confronté. Dans la mesure aussi où les conseillers du Prince ont traditionnellement joué un rôle important dans la définition de la politique extérieure américaine.
A l’époque de John Kennedy, des intellectuels comme Arthur Schlesinger ou Robert McNamara contribuèrent à définir les rapports des Etats-Unis au monde. Dans les années 70, Henry Kissinger exerça un magistère impérial sur Richard Nixon et Gerald Ford. Arès les attentats du 11 septembre, les néoconservateurs forgèrent idéologiquement la riposte américaine, jusqu’à entrainer leur pays dans le nid de guêpes irakien.
Ces derniers mois, les Démocrates n’ont eu de cesse d’agiter l’épouvantail du retour de ces « néocons » au sein de l’équipe de campagne de leur adversaire républicain. Ils ne se sont surtout pas privés de rappeler les obsessions guerrières et interventionnistes de ceux que le professeur de Harvard, Stanley Hoffmann, qualifiait en 2003 « de horde aux idées radicales et farfelues ». Les sondages d’opinion indiquent, en effet, que la grande majorité des Américains, même au sein de l’électorat républicain, sont fatigués des aventures extérieures. Selon la dernière étude du Chicago Council on Global Affairs, publiée début septembre, 70% des Américains s’opposeraient à une frappe contre l’Iran. L’avertissement de l’ancien secrétaire d’Etat John Quincy Adams rôde dans des esprits taraudés par la crise économique : « l’Amérique, écrivait-il en 1821, ne doit pas intervenir en-dehors de ses frontières à la recherche de monstres à détruire. Elle risque de s’enfoncer, sans plus pouvoir s’en extraire, dans des guerres marquées par l’intérêt et l’intrigue, l’avarice individuelle, l’envie et l’ambition, qui usurpent l’étendard de la liberté ».
Certes, l’entourage « international » de Mitt Romney est un peu plus bigarré que ce qu’en disent les Démocrates. On y retrouve, en effet, des personnalités qui se réclament d’une école plus classique de politique étrangère, davantage attachée à la Realpolitik qu’aux croisades idéologiques. Robert Zoellick, l’ancien président de la Banque mondiale, qui dirige l’équipe de sécurité nationale de Mitt Romney, peut avoir des paroles musclées, mais il appartient à la tradition « réaliste » des anciens hauts responsables de l’administration Bush père (1989-1993). L’ex-secrétaire d’Etat Condoleezza Rice fait aussi partie de cet Establishment républicain de bon ton. Bien qu’elle ait cautionné les dérives de Georges Bush, elle professe des idées plus traditionnelles que celles avancées par les néoconservateurs.
Il n’en reste pas moins que ces derniers ont reconquis d’importantes positions au sein de la campagne républicaine et qu’ils espèrent bien imprimer leur marque sur une future présidence Romney. Comme le note Ari Berman, dans l’hebdomadaire de gauche The Nation, un nombre significatif d’anciens faucons de l’administration Bush ont rejoint l’entourage du candidat républicain. Parmi eux, Paula Dobriansky, Eliot Cohen, Dan Senor, Eric Edelman, très liés à l’aventure irakienne, ainsi que l’ancien ambassadeur à l’ONU, John Bolton, porte-drapeau tonitruant de l’unilatéralisme « décomplexé ».
Bien implantés au sein du réseau des think tanks de Washington, ces hussards de l’Amérique impériale rêvent clairement d’une deuxième chance et ils n’ont nuancé aucun de leurs postulats. Leurs adversaires craignent surtout leur radicalité et leur partialité. Les néoconservateurs, avertissent-ils, promeuvent une attaque militaire « prématurée » contre l’Iran, sans entendre les mises en garde des plus hauts responsables militaires américains et israéliens. Ils prônent un alignement sans réserve sur la droite israélienne la plus intransigeante, sans écouter un seul instant ceux qui, au sein de la communauté juive américaine, défendent un réel processus de paix.
Les néoconservateurs réintroduisent également une contradiction essentielle qui rongea la crédibilité américaine lors de l’administration Bush. Disciples de l’ancienne égérie de Ronald Reagan, Jeane Kirkpatrick, et de sa doctrine du « deux poids deux mesures », complaisants à l’égard des alliés, intransigeants à l’égard des adversaires, ils ne rechignent pas à violer des normes fondamentales du droit international et des droits humains, au nom d’une conception partiale de la liberté et des « valeurs de l’Amérique ».
Dans les milieux plus modérés de l’Establishment américain, les néoconservateurs inquiètent parce qu’ils sont constamment tentés par l’hubris et l’aventure. Sceptiques à l’égard du « soft power », fascinés par la « culture du guerrier », ils ne sont pas loin de penser que tout problème peut être résolu par la puissance des armes. S’ils plaident pour un renforcement des capacités du Pentagone, c’est aussi pour mener une politique extérieure qui permette à l’Amérique de s’exempter des « lâchetés munichoises » de la diplomatie multilatérale et d’échapper aux réserves de ses alliés. Alors que l’Amérique aura plus que jamais besoin d’alliés.
Ils agacent aussi parce qu’ils refusent de reconnaître les nouveaux rapports de force mondiaux qui ont relativisé l’omnipotence américaine. Leur attachement à l’exceptionnalisme américain, cette doctrine qui prétend accorder aux Etats-Unis le destin de diriger le monde, les conduit à sous-estimer les réaménagements économiques, culturels et géopolitiques globaux, au risque de préconiser des politiques irréalistes et risquées.
Les néoconservateurs se désintéressent également de la dégradation de la cohésion sociale américaine sous le poids de la crise et de l’explosion des inégalités. Ils ne consacrent dès lors que peu de temps à imaginer une réforme sérieuse des institutions et des politiques qui ont provoqué la crise économique actuelle et fortement affaibli le monde occidental.
Pour une partie significative de l’establishment américain, si Mitt Romney l’emporte et souhaite mener une politique responsable face à un monde qui ne se réduit pas aux dogmes néoconservateurs, il devra très vite se libérer de l’emprise de ses encombrants compagnons de route. Quant à Barack Obama, qui, tout au long de la campagne, a dû se protéger de leur capacité d’intimidation médiatique, il n’aura plus d’excuse si les électeurs lui accordent un second mandat.
Dans ce monde complexe, inquiet et constamment au bord de la crise de nerfs, les Etats-Unis ont plus que jamais besoin d’une politique étrangère résolue et courageuse, mais aussi réaliste et raisonnée. Une politique qui se méfie des emportements et des simplismes et qui, surtout, se garde de jouer à la roulette russe.