La semaine dernière, alors que toute l’attention des médias se portait sur le procès en appel des Pussy Riot, Tanya Lokshina s’envolait pour Paris. Les jours précédents, la directrice adjointe du bureau moscovite de Human Rights Watch avait été la cible de menaces directes et précises, qui ne laissaient planer aucun doute sur le professionnalisme et la détermination de leurs auteurs.
Dans un pays où au moins vingt journalistes ont été assassinés depuis 2000, ce type d’avertissement ne peut être accueilli comme une mauvaise plaisanterie. Avant d’être abattues, la journaliste Anna Politkovskaïa et la militante des droits humains, Natalya Estemirova, avaient, elles aussi, reçu des « mises en garde » de plus en plus oppressantes.
Spécialiste du Caucase, Tanya Lokshina a pris des risques énormes pour faire la lumière sur les violations des droits humains perpétrés sur les terres sans loi de la Tchétchénie ou de l’Ingouchie. Elle est allée là où la plupart des journalistes n’osent plus se rendre, tant les dangers encourus sont immenses. C’est grâce à elle et à une poignée de militants des droits humains que des informations continuent à nous parvenir, que des personnes accablées par la brutalité des autorités locales s’accrochent à l’ultime espoir de ne pas être totalement abandonnées.
Les barbouzes qui ont filé Tanya Lokshina ont apparemment obtenu sans la moindre difficulté les informations nécessaires à leur campagne d’intimidation. Ils savaient que Tanya était enceinte, ils connaissaient la date prévue de l’accouchement et le sexe du bébé. Ils étaient parfaitement au courant de l’emploi du temps de son mari. Dernièrement, quand celui-ci a décollé de l’aéroport, ils ont envoyé un texto à Tanya, lui disant : « Maintenant, tu es seule ».
La menace est d’autant plus réelle que la plupart des assassinats politiques restent impunis. En 2009 et 2010, nous nous étions rendus à Moscou avec une délégation du Comité de Protection des Journalistes. Nous y avions rencontré les plus hautes autorités judiciaires qui nous avaient promis qu’elles feraient tout en leur pouvoir pour élucider les crimes. Or, six ans après les faits, l’enquête sur le meurtre d’Anna Politkovskaïa patine et aucun de ses commanditaires n’a été inquiété. Les autres dossiers sont pratiquement devenus des « cold cases », perdus dans les dédales de la justice.
Après l’intermède ambigu de Dimitri Medvedev, la « verticale du pouvoir », qu’Anna Politkovskaïa avait rudement dénoncée dans son livre Douloureuse Russie, règne de nouveau au Kremlin, sans remords et sans état d’âme. Un moment bousculé par les manifestations citoyennes, Vladimir Poutine a choisi de répondre par une poussée d’autoritarisme à tous ceux qui contestent son pouvoir. Les journalistes indépendants et les activistes des droits humains sont de nouveau dans la ligne de mire.
Ces derniers mois, cette crispation s’est accompagnée d’une cascade de mesures destinées à discipliner ou à neutraliser l’opposition. Poutine a fait voter des lois liberticides. Il a rétabli la criminalisation de la diffamation que Medvedev avait abolie l’année dernière. Les ONG russes qui reçoivent des fonds internationaux doivent désormais s’inscrire comme « agents étrangers » auprès du ministère de la Justice. Les médias dérangeants sont placés sous la loupe de services fiscaux particulièrement zélés.
La politique menée par le Russie semble surtout dirigée contre Washington, dans la mesure où les attaques contre les ONG ou les militants des droits de l’Homme ont visé en premier lieu leurs donateurs américains, publics ou privés. L’expulsion récente de l’USAID, l’agence américaine de développement, ne laisse aucun doute sur la volonté du Kremlin de défier l’administration Obama. Au moment où Moscou et Washington se toisent sur le dossier syrien, les courtoisies ne sont pas de mise. Une victoire du candidat républicain Mitt Romney ne pourrait d’ailleurs qu’accentuer cette glaciation des relations.
Mais Poutine s’en prend également à l’Europe. Certes, il n’a cure des anciens pays du Pacte de Varsovie dont il connaît les inoxydables sentiments antirusses, mais il est persuadé que la « vieille Europe » n’osera pas lui tenir tête et cherchera par tous les moyens, dépendance énergétique oblige, à éviter une confrontation plus virile. Le maître du Kremlin met ainsi en cause la prétention de l’Union, dotée d’un nouveau Représentant spécial pour les droits humains et désormais lauréate du prix Nobel de la paix, de mener une politique internationale inspirée par les « valeurs européennes » de respect de l’Etat de droit et des libertés.
La Russie est d’autant plus efficace dans cette entreprise de sape qu’elle est quasi-européenne, car elle participe – en toute mauvaise foi, diront ses contempteurs – au Conseil de l’Europe. La Russie agit comme un cheval de Troie au sein de cette institution strasbourgeoise, censée promouvoir le respect des droits humains et de la démocratie parmi ses 47 Etats membres. Elle nargue la Convention européenne des droits de l’Homme et fragilise peu à peu les organes et les procédures du Conseil, en particulier la Cour européenne des droits de l’Homme.
A Moscou, les néo-dissidents ne sont pas loin de penser que plutôt que d’accorder son Prix à une Union européenne trop empêtrée dans ses divisions pour tirer les leçons de l’honneur qui lui a été rendu, le Comité norvégien du Nobel, présidé par le secrétaire général du Conseil de l’Europe Thorbjörn Jagland, aurait peut-être été mieux inspiré de choisir un des leurs. Samedi, la doyenne du mouvement russe des droits de l’Homme, Lioudmila Alexeeva, n’a pas caché sa déception : « J’aurais été très contente que cette distinction soit attribuée à des prisonniers politiques iraniens ou à nos défenseurs des droits de l’homme », a-t-elle déclaré.
En 2006, Tanya Lokshina a reçu le Prix Andrei Sakharov pour le journalisme civique, une des plus prestigieuses distinctions du journalisme russe. Le Parlement européen a lui aussi choisi de baptiser du nom du célèbre dissident soviétique le Prix qu’il accorde chaque année aux « défenseurs de la liberté de l’esprit ». « Notre pays, comme tout Etat moderne, a besoin de profondes réformes démocratiques, de pluralisme politique et idéologique, de protection des droits humains et d’ouverture », déclarait à la fin des années 70 celui qui fut aussi lauréat du prix Nobel de la paix. Même si la Russie d’aujourd’hui n’est pas celle de Brejnev, même si la guerre froide ne sévit pas comme dans les années 1980, ces paroles sont de nouveau d’actualité. Le sort des « nouveaux dissidents » russes appelle à la même solidarité.
En décembre, à Oslo, la personnalité européenne qui prononcera le discours de réception du Prix Nobel aura l’occasion historique de démontrer, en pensant à la Russie de Vladimir Poutine et aux disciples actuels de Sakharov, que l’Europe est à la hauteur du Prix qu’elle reçoit, mais aussi du Prix qu’elle octroie.
Si en Russie on vote des lois liberticides, dont on aime le faire remarquer en Europe, ou étiez vous lorsque Bush à fait voter le Patriot Act et Obama la continuité dans la NDAA. Tant que l’on pensera West is the best on n’avancera pas beaucoup, tant que l’on n’osera pas critiquer ce qui se fait aux States, on restera des esclaves, et cela par votre faute, votre petitesse d’esprit. Ne venez donc pas jouer les redresseurs de torts, vous n’en avez pas la carrure.
merci pour votre réaction mais je vous conseille d’abord de lire mes articles ou livres sur les Etats-Unis et vous devrez je pense réviser votre jugement. La défense des droits humains est impartiale ou elle n’est que manipulation idéologique