La Francophonie au Vietnam : la langue de Voltaire sans les idées de Voltaire

La répression qui s’abat au Vietnam contre des blogueurs et des dissidents – trois blogueurs viennent d’être condamnés ce lundi à de lourdes peines de prison –  risque bien d’embarrasser  les Etats et organisations qui considèrent le Vietnam comme un partenaire respectable.

Le Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le mois prochain à Kinshasa, pourrait ainsi être forcé de se prononcer sur l’un de ses membres. La Charte de la Francophonie élaborée lors du Sommet de 1997 au Vietnam parle solennellement, en effet  « du développement de la démocratie et du soutien à l’Etat de droit et aux droits de l’Homme ».

Un certain nombre d’associations internationales s’apprêtent d’ailleurs, dans les prochains jours, à soulever cette question. Non seulement en raison du lieu choisi pour le Sommet, la République démocratique du Congo, qui n’est pas vraiment un modèle de respect de l’Etat de droit ou de la bonne gouvernance, mais aussi parce que l’OIF comprend un certain nombre de pays qui ne semblent pas avoir lu attentivement la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Le Vietnam, où fut élaborée la Charte de la Francophonie, appartient à cette catégorie de pays membres qui font une différence entre la langue de Voltaire…et les idées de Voltaire.

A suivre les informations qui arrivent au compte-goutte sur les atteintes aux droits humains au Vietnam, le régime, fermement contrôlé par le Parti communiste, n’est pas près, en effet, d’accorder à ses opposants la liberté de pensée et d’expression dont l’auteur de Candide s’était fait le farouche défenseur.

Il l’est d’autant moins qu’il se sent presque intouchable, car il dispose sur la scène internationale de puissants alliés qui ne sont guère tentés de lui faire la leçon. Les Etats-Unis restent discrets, non seulement  en raison de leurs lourdes responsabilités lors de la guerre du Vietnam, mais aussi parce que Hanoï est l’un des contrepoids régionaux face aux ambitions hégémoniques de la Chine.

Le Vietnam est aussi un pays courtisé par des grandes multinationales qui y trouvent une main d’œuvre aussi docile qu’en Chine, mais moins chère encore. Membre depuis 2007 de l’Organisation mondiale du commerce, Hanoï est même candidat au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève.

Quelques questions

Le Sommet de Kinshasa pourrait être l’occasion de préparer le Vietnam à son examen de passage dans la bonne ville de Calvin, en lui demandant des comptes sur les droits fondamentaux dont on feint de croire qu’ils sont une conditions indispensable de la participation aux débats onusiens.

Les délégués francophones pourraient, par exemple, interroger les représentants vietnamiens sur les 14 journalistes emprisonnés, sur le contrôle absolu exercé par le Parti communiste sur toute la presse, sur l’établissement de listes noires de journalistes mal-pensants ou encore sur la censure imposées aux blogueurs, comme le décrivent ici des journalistes de Danlambao, un collectif de blogueur vietnamiens indépendants.

Dans un rapport publié la semaine dernière (La liberté de la presse au Vietnam se referme, alors qye l’économie s’ouvre), le Comité de Protection des Journalistes rappelle également que les journalistes internationaux basés au Vietnam font l’objet d’une surveillance serrée de la part des services de sécurité. Les correspondants étrangers doivent demander l’autorisation du Ministère des affaires étrangères s’ils veulent exercer leur travail en dehors de Hanoï et leur visa doit être renouvelé tous les six mois, une mesure qui favorise inévitablement l’autocensure. Les journalistes qui effectuent un reportage au Vietnam sont par ailleurs obligés de s’offrir les services d’un « minder » (accompagnateur) gouvernemental, facturé 200 euros par jour, un système, note Shawn Crispin du CPJ, « qui restreint la possibilité pour ces reporters d’avoir des interviews candides avec des sources indépendantes ».

Le silence et la nomenklatura

Pourquoi le gouvernement vietnamien impose-t-il autant de restrictions à la presse ? Certains observateurs, ainsi que les partisans d’une politique de dialogue et d’engagement, s’en désolent car ils pensaient que le développement économique et l’intégration au sein d’organisations comme l’OIF amèneraient le Vietnam à peu à peu se décrisper.

Or, en dépit d’une croissance soutenue, le système se braque. Même si quelques libertés sont reconnues à des journalistes locaux pour dénoncer des affaires de corruption, les autorités ont multiplié ces derniers mois les actes répressifs. Ce lundi 24 septembre,trois bloggeurs ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour propagande contre l’Etat par un tribunal d’Ho Chi Minh-Ville (sud). Le plus célèbre des trois, Nguyen Van Hai, a écopé de douze ans d’emprisonnement suivis de cinq années d’assignation à résidence. Ta Phong Tan, ex-policière dont la mère s’était immolée par le feu fin juillet, a été condamnée à dix ans de prison suivis de trois ans de résidence surveillée. Phan Thanh Hai, le seul à avoir plaidé coupable lors de ce procès qui n’a duré que quelques heures lundi matin, a obtenu la peine la plus clémente, quatre ans de prison suivis de trois de résidence surveillée.

En septembre, Nguyen Van Khuong, un journaliste du quotidien Tuoi Tre, avait été condamné à 4 ans de prison parce qu’il avait donné un dessous de table à un officier lors d’une enquête visant à prouver la corruption au sein de la police. En août, deux blogueurs ont également été condamnées à de sévères peines de prison.

Selon des Vietnamologues, qui avouent leur difficulté à percer l’opacité du système, le Parti communiste craint d’être bousculé par une presse qui sortirait des passages cloutés pour enquêter sur des sujets tabous: les divisions au sein du Parti, les conflits fonciers notamment avec l’Eglise catholique, la corruption de la nomenklatura, les sentiments antichinois ou les activités des dissidents politiques ou religieux.

La participation du Vietnam à l’Organisation internationale de la Francophonie est comprise par le régime comme un élément de sa respectabilité internationale. Mais le souci des pays démocratiques francophones d’interpeller Hanoï à propos de son respect de la Charte francophone déterminera à son tour leur propre respectabilité, en démontrant leur attachement à une Charte francophone qui fait des droits humains une des aspirations identitaires essentielles de l’Organisation internationale de la Francophonie.

Ce contenu a été publié dans afrique, Analyse, droits de l'homme, France, Journalistes, Relations internationales, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à La Francophonie au Vietnam : la langue de Voltaire sans les idées de Voltaire

  1. Simon Lauby dit :

    Dans le cadre de mon travail dans l’agro-alimentaire, j’ai vécu 2 ans au Vietnam. On m’avait dit que c’était un pays Francophone, avec plus de 575 000 locuteurs. parfaits, le délire étant poussé à plusieurs millions de Vietnamiens Francophones. au départ, avant le grand saut à Orly, j’y croyait vraiment.
    à mon grand regret, sur place, mes interlocuteurs me répondaient toujours en Anglais. Réunion en Anglais, shopping en Anglais, etc… Quand c’était en Vietnamien, on me traduisait en Anglais. J’arrivais toujours à trouver un traducteur en Anglais, jamais en Français. souvent, des jeunes dans les familles m’aidaient, et intervenaient en… Anglais ! Franchement, je me demande ou certains voient des Francophones… Pourtant, j’ai cherché ! Par contre, j’ai trouvé des Anglophones partout, et surtout chez les plus jeunes. Un jour, on m’a présenté un couple de vieux Vietnamiens, considérés comme “Francophones”…Mais ils ne parlaient, hélas ! pas du tout le Français ! il faut arrêter le délire, et surtout les subventions à un pays qui se dit Francophone, (surtout à l’OIF) et qui est plutôt Anglophone ! Ouvrez les yeux ! ou allez sur place, sur le terrain !
    Certes, la majorité des Vietnamiens trop pauvres ne parlent que vietnamien, ou une langue ethnique, mais la minorité qui parle une langue étrangère parle dans son écrasante majorité l’Anglais, ensuite, le Chinois, dans ses différents dialectes, et enfin, je me demande qui reste pour parler Français ! La honte ! : j’ai trouvé quelques Vietnamiens qui parlaient Allemand ou Russe ! réveillez-vous, ce Vietnam n’est plus le pays tropical de Papa ! le Vietnam est bel et bien entré dans la mondialisation !

  2. Jean Duret dit :

    Pour le Cambodge et le Laos, c’est pareil, hors les langues locales, tout est en Anglais. Au Cambodge et à Phnom-Penh, ça en est à un tel niveau qu’on se demande qui peut bien parler Français là bas, il suffit d’être sur place. c’est dur pour un expatrié au début. faut se mettre à l’Anglais. On a du mal à croire que les Français sont restés là presque 100 ans.
    ça me fait penser à des Cambodgiens qui me parlaient à Battambang en 2001 qu’ils s’étaient amusés à regarder la TV Française, ils avaient vus “Loft Story”, et ils m’avaient dit : ” c’est ça la France ? des jeunes branleurs qui font la fête et qui jouent dans des piscines ? Ton pays, il décroche, c’est normal qu’on ne veut plus te parler dans ta langue ici. Les Américains, et les Chinois, eux ils bossent et assurent, c’est vers eux qu’on regarde maintenant !” à l’époque, ils avaient même heurtés un consul Français avec ça, dans une autre ville. ça avait fait scandale à l’époque. Tous les Français du Cambodge étaient assimilés à “Loft story ” ou presque .Regardez les timbres, depuis 2001, ils ne sont plus en Français, mais en Anglais ! La France ne fait plus rêver.

  3. André Debourg dit :

    Vous avez raison. à l’époque, moi qui me trouvait au Cambodge en 2001, j’ai subi ces brimades. 2001 est en effet à bien des égards une année noire pour la culture Française au Cambodge. Ce n’était en effet pas très intelligent de diffuser “Loft story” à l’étranger, et vu au Cambodge. Là bas, certains voyaient les Français comme des moins que riens. La Presse Cambodgienne en faisait largement écho. Il faut savoir que les Cambodgiens sont de gros travailleurs, et qu’ils travaillent dans des usines plus que 60 heures en moyennes dans la semaine, et qu’ils vivent par le travail, avec une paye entre 200 et 250 euros par mois( pour au moins 60h).
    Sinon, la high class et les foyers favorisés parlaient l’Anglais bien avant 2001. Je pense que ça à commencé à partir de 1987.

  4. André Spielaun dit :

    Ayant vécu 12 ans au Vietnam pour le compte de mon emploi à LVMH, je confirme que le Vietnam n’a rien à faire dans l’OIF. Pourtant, au début de mon installation au Vietnam je croyais que j’allais me débrouiller en Français : pas du tout !
    J’ai pourtant sillonné ce pays de Hanoï à Saïgon-Ho-chi minh, et toujours, mes rencontres de travail étaient en Anglais, et des fois un traducteur me traduisait en Anglais le Vietnamien. J’ai même voyagé au Laos et au Cambodge, situations quasi-identiques ! Dans mon quotidien, ma vie de tous les jours, c’était l’Anglais. Dans le sud, vous avez même un mélange d’Anglais et de Vietnamien, presque un créole ! la langue Française est morte en Indochine, il faut juste aller sur place !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *