Pressions “fraternelles” sur la presse égyptienne

Depuis le début des « Révolutions arabes », les analystes se chamaillent sur la manière de qualifier les Frères musulmans. Sont-ils vraiment « modérés » ? Par rapport aux Salafistes, ils le sont sans doute, mais sont-ils capables d’accepter une réelle pluralité et égalité démocratiques ? Où vont-ils se prévaloir de leur appui majoritaire au sein de l’opinion pour imposer une conception restrictive des libertés d’expression et de religion ?

Si l’évolution de l’Egypte se confirme, les «nouvelles démocraties arabes » risquent bien d’être hémiplégiques. Au nom de la légitimité issue des urnes mais aussi de la place dominante réservée à l’Islam, les gouvernements « islamistes modérés » sont en passe d’oublier qu’une réelle démocratie se fonde sur d’autres piliers que l’opinion de la majorité et qu’elle exige en même temps la liberté et l’égalité.

Si la liberté de la presse est l’un des baromètres de la démocratie, les Frères musulmans égyptiens sont en train d’entrer dans une zone de tempêtes. Le gouvernement du Président Morsi et ses alliés ont multiplié, en effet, des mesures qui dénotent une profonde incompréhension du rôle et des prérogatives de la presse dans une société démocratique « modérée ».

Sur les pas de Moubarak

Pour de nombreux analystes “lbéraux”, le nouveau pouvoir agit comme s’il était l’héritier de l’ancien régime Moubarak et de ses mauvaises manières, « peut-être même en pire », préviennent des journalistes indépendants. Il a nommé un ministre de l’information, Salam Abdel Maqsoud, qualifié de « frère musulman extrémiste » par Hazem Abdel Hazim, un partisan de Mohamed El Baradei, leader de l’opposition modérée. Il a utilisé sa domination du Parlement et du Conseil de la Choura, qui a le pouvoir de nommer les directeurs des médias d’Etat, pour s’assurer le contrôle sur un des secteurs les plus influents de l’information et de la communication. Il a aussi persuadé des médias privés de…se priver des services de commentateurs dérangeants, comme Ibrahim Abdel Meguid, très critique des Frères musulmans. De son côté, le procureur du Caire a annoncé que le rédacteur en chef du quotidien indépendant Al-Dustour serait jugé pour avoir « insulté le président Morsi ». Le journaliste, Islam Afifi, ne peut plus quitter le pays et son jugement est prévu pour le 23 août.

Aux pressions officielles s’ajoutent les intimidations orchestrées par des militants du Parti de la Liberté et de la Justice (le parti des Frères musulmans). Le 8 août, trois journalistes ont été attaqués lors d’une manifestation en faveur de Morsi. Même si le parti a condamné ces attaques, un des journalistes visés a porté plainte en accusant ses dirigeants d’être à l’origine des incitations à la violence.

Al-Ghitani inquiet

Les associations nationales et internationales de journalistes tirent la sonnette d’alarme. « On est face à un pas en arrière préoccupant », déclare Rob Mahoney, directeur adjoint du Comite de Protection des Journalistes (New York). De son côté, le syndicat égyptien des journalistes dénonce un système qui cadenasse la liberté de la presse en faveur des Frères musulmans. Il s’étonne en particulier que des journalistes compromis avec l’ancien régime aient été nommés à la tête de médias d’Etat, comme si la servilité était préférée à la compétence et à la liberté.

« Je ne fais pas de différence entre les Salafistes et les Frères musulmans », avait déclaré en janvier dernier le célèbre écrivain Gamal Al-Ghitani. Son jugement avait alors été jugé « à l’emporte-pièce » par ceux qui défendent la thèse de la “modération des Frères”. Aujourd’hui, l’écrivain persiste et signe. « Les médias égyptiens vont devenir encore plus attardés que les médias iraniens », a-t-il prévenu.

Même si les défenseurs de la liberté d’expression refusent de baisser les bras et entendent bien faire entendre raison au gouvernement, ils se demandent si le “printemps égyptien” n’est pas en train de tourner à la canicule pour la liberté de la presse…

 

 

 

 

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2 réponses à Pressions “fraternelles” sur la presse égyptienne

  1. Achernar dit :

    Le problème est dans le titre : “les Frères Musulmans sont-ils vraiment modéré?”. Se poser la question est symptomatique de notre degré d’aveuglement ou de notre bêtise. En Tunisie, en Lybie, et en Egypte, la question de l’égalité, fraternité et liberté ne s’est jamais posée. Il s’agissait de renverser des dictateurs “privés” par une dictature “publique”. Le socle de l’islamisme comme base et fondement de l’Etat est une constante de ces révolutions et partout où les partis religieux sont au pouvoir, la fameuse démocratie est menacée, même en Turquie. Les journalistes ne dénoncent-ils ce fait que quand ils sentent visés et brimés ? Triste égoïsme …

  2. Hebrant dit :

    Un islamiste est un extrémiste musulman: il y aurait des extrémistes modérés? Intéressant…
    Il est clair que beaucoup de printemps arabes vont trourner à la dictature, mais si c’est ce que la majorité veut, pourquoi pas. Dans notre belle Europe, dont nous devons défendre les vraies valeurs becs et ongles, la démocratie a mis un bon siècle à s’installer solidement.
    Patience, cela viendra chez eux aussi, mais pas forcément avec les valeurs européennes à l’identique. pourquoi non?

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