Les élections qui viennent de se dérouler en Russie démontrent une nouvelle fois que l’instrument censé conduire à la démocratie peut être aussi celui qui l’en éloigne. L’appel à la volonté populaire risque bien de servir de caution au renforcement d’un pouvoir arbitraire.
Elections, piège à cons ? Le slogan qui avait fleuri dans les milieux gauchistes en Mai 68 est repris aujourd’hui par de doctes analystes. Et l’interrogation surgit : au final, les élections seraient-elles contre la démocratie ?
Si l’on définit celle-ci autrement que par une formule arithmétique consacrant le règne de la majorité, force est de reconnaître que nombre de scrutins ont régulièrement débouché sur la victoire de partis hostiles aux valeurs habituellement associées à la démocratie, et notamment le respect des droits humains et la protection des minorités.
De la victoire du Hamas en Palestine au raz-de-marée islamiste en Egypte, les élections ont eu l’art, ces dernières années, de consacrer des mouvements qui marquent ou annoncent un recul par rapport aux valeurs de pluralisme, d’ouverture et de liberté qui définissent une vraie démocratie.
Ce syndrome frappe même au sein de l’Union européenne : en Hongrie, la population a massivement et librement voté pour un parti, le Fidesz, qui, aujourd’hui au pouvoir, revient sur des acquis démocratiques que l’on croyait intangibles. Et dans plusieurs autres pays européens, des électeurs normalisent et banalisent des formations politiques qui remettent en cause des valeurs fondamentales de l’Union.
Les critiques lancées à l’encontre des élections donnent une idée du désenchantement à l’égard d’un « outil » qui avait été présenté, lors du « printemps démocratique » des années 1990, comme le sésame de la démocratie. Si, dans certains pays, des élections libres ont effectivement donné un choix à la population et renforcé la légitimité des gouvernants, elles ont contribué, dans d’autres, à calcifier des divisions communautaires, mettant en péril la cohésion de la société.
Lorsqu’elles ont été accompagnées de fraudes, elles ont privé les vainqueurs de la caution démocratique que l’on attend du verdict des urnes. Ces élections truquées deviennent alors le déclencheur de protestations et de troubles, qui provoquent le plus souvent une crispation autoritaire du pouvoir, comme ce fut le cas en Iran en 2009, avec les manifestations du « mouvement vert » suivies de sa brutale répression.
La fraude électorale, toutefois, ne se résume pas au vote des morts, au tripatouillage des bulletins ou à l’alchimie des compteurs de voix. Au bourrage des urnes peut s’ajouter le bourrage de crâne et celui-ci est bien moins facile à démontrer, quand on est un observateur électoral, qu’un tour de passe-passe des dépouilleurs de bulletins.
Or, en Russie, il y a bien eu un « bourrage de crâne », dans la mesure où, tout au long des années Poutine, les candidats officiels ont pu bénéficier non seulement de la propagande d’Etat, mais aussi de la mise au pas des médias.
Dès son arrivée à la présidence en 2000, Vladimir Poutine a tenu à imposer à la presse son modèle de la « verticale du pouvoir ». La plupart des grands médias ont été accaparés par ses hommes de confiance. Les journalistes dérangeants ont été écartés ou muselés. Et même si les autorités récusent toute responsabilité dans la vingtaine d’assassinats de journalistes qui ont endeuillé la Russie depuis « l’ère Poutine », ces crimes, commis en toute impunité, ont eu pour effet d’intimider une grande partie de la profession.
Certes, la Russie n’est pas totalement verrouillée. Il reste de-ci de-là quelques îlots d’impertinence et de liberté, à l’image de Novaya Gazeta où travaillait Anna Politkovskaia, assassinée en 2006, la radio Echo de Moscou et des sites internet d’opposition ou indépendants. Certes, des Russes ont démontré, notamment durant les manifestations qui avaient suivi les élections législatives de l’an dernier, qu’ils pouvaient se libérer de la propagande officielle. Mais la « machine de bruit » contrôlée par le Kremlin écrase sous des milliers de décibels les « colibris » de la contestation.
Lors de la campagne électorale, selon une note de Human Rights Watch, le pouvoir a même veillé à restreindre la marge de manœuvre concédée à ces rares médias indépendants. A la fin février, la Banque de réserve nationale a bloqué le compte d’Alexandre Lebedev, le principal actionnaire de Novaya Gazeta, et la chaîne de télévision en ligne Dozhd, qui, en décembre dernier, avait retransmis les protestations de l’opposition, a fait l’objet d’inspections financières. Le 4 décembre, le site internet d’Echo de Moscou a « crashé » après avoir subi une attaque massive de pirates informatiques. Le 18 janvier, Vladimir Poutine s’en est même pris frontalement à la radio, l’accusant de diffuser une « diarrhée constante de critiques » à l’encontre du président Medvedev et de lui-même. Finalement, le 14 février, le principal actionnaire de la radio, Gazprom Media, a décidé de remplacer le conseil d’administration, amenant son rédacteur en chef, Alexei Venediktov, à démissionner de son poste d’administrateur.
Ces mesures pourraient paraître excessives, dans la mesure où ces quelques médias critiques ne disposent que d’une audience limitée au sein d’une opinion publique, très patriotique et finalement assez largement poutiniste, qui n’apprécie pas toujours l’image qu’ils donnent de la Russie. Mais ce harcèlement a donné la mesure de la volonté du pouvoir, échaudé par les protestations de l’an dernier, de ne pas se laisser dribbler.
Ce bourrage de crâne n’est évidemment pas une spécificité russe. En Europe occidentale, aussi, la ruse a fonctionné. Bien sûr, comparaison n’est pas raison, l’Italie n’est pas la Russie, mais sous le règne de Silvio Berlusconi, magnat de la télévision privée et publique, l’Italie a démontré que le bourrage de crâne pratiqué par une télévision frivole et docile permet de faire l’économie d’un bourrage des urnes.
Et que dire des Etats-Unis, où, à mille lieues du New York Times et des grands médias pondérés, les pitbulls de Fox News, les télévangélistes et les brailleurs radiophoniques à la Rush Limbaugh alimentent un électorat « de niche », ultra-conservateur, camé aux outrances et à la déraison, dont on perçoit aujourd’hui l’influence néfaste sur la tonalité agressive et simpliste des élections primaires républicaines ?
Les élections restent incontestablement un élément essentiel de la démocratie. Mais, entre « le bourrage des urnes et le bourrage de crâne », il n’est pas vain de méditer la mise en garde du président James Madison, le « père » de la Constitution américaine : « un gouvernement du peuple, si le peuple n’est pas informé ou est privé des moyens de s’informer, n’est rien d’autre que le prologue d’une farce ou d’une tragédie. Ou peut-être des deux. »
Monsieur Marthoz,
Vous dites que : « L’appel à la volonté populaire risque bien de servir de caution au renforcement d’un pouvoir arbitraire », cela semble être une contradiction ? Démocratie est le pouvoir du peuple et ce pouvoir se manifeste à travers du suffrage. Alors, si les gens décident qu’une proposition est celle qui leur convient le plus c’est leur choix et il doit être respecté. Je suis d’accord avec vous que la démocratie a des nouveaux défis et façons de s’exprimer, mais il est clair que c’est ce qu’il y a de mieux pour le moment, sauf si vous avez une meilleure idée.
D’autre part, pour être crédibles il faut commencer par donner l’exemple de démocratie. On ne peut prétendre continuer à jouer le rôle de juges de la démocratie dans le monde en décidant ce qui est démocratique et ce qui ne l’est pas. Imaginons que demain un pays tiers considère qu’il n’y a pas de démocratie en Belgique parce-que cela a pris trop de temps pour former un gouvernement, ou qu’en Italie ou en Grèce les gouvernements ont été substitués par des technocrates. Souvenez-vous qu’en Grèce le gouvernement a été obligé par l’Union européenne à ne pas soumettre l’accord d’austérité au référendum, est-ce que c’est démocratique ? Et aussi souvenez-vous de ce qu’il s’est passé avec les indignés en Espagne et dans d’autres pays européens, la protestation sociale a été étouffée par les gouvernements et les forces de police. L’Europe dans son ensemble n’est plus un référent de démocratie pour le monde. Alors, comment osez-vous critiquer d’autres pays ? La décision erronée de l’Europe de vouloir imposer un genre de démocratie qui n’existe même pas en Europe à causé et continue à causer des guerres, mort et destruction dans le monde.
Sur les médias européens je n’ose même pas parler, il suffit de lire quelques journaux internationaux et les reportages de quelques agences de presse pour savoir quelle est le système politique que ces grosses entreprises médiatiques soutiennent. C’est un bourrage de crâne généralisé en Europe. C’est à cause de cela justement que l’Europe d’aujourd’hui est majoritairement de droite. Qui sont les propriétaires des médias en Europe et quels sont leurs intérêts ? Voici une question à vous poser.
Cordialement,