« Pour les Japonais vivant près de la centrale de Fukushima, l’information est incompréhensible », déclarait mercredi Jan Vande Putte, de Greenpeace. Et pour cause : l’industrie nucléaire, nous en parlions dans un précédent blog, a la fâcheuse réputation de préférer le secret à la transparence.
Au Japon, cependant, cette caractéristique est renforcée par un système médiatique traditionnel qui pousse la plupart des médias au conformisme et à la docilité.
Les Kisha clubs, qui accréditent les journalistes auprès des institutions – ministères, entreprises, etc. -, servent, en fait, de « normalisateurs » et d’éteignoirs de la pensée critique.
Excluant les journalistes étrangers et les freelance, se limitant le plus souvent à quelques journalistes des médias les plus « convenables », les clubs permettent aux différents pouvoirs de tisser des relations privilégiées et courtoises avec la presse. Celle-ci joue le plus souvent le jeu et renvoie l’ascenseur, en se prêtant aux politiques de communications officielles.
Au cours de ces dernières années, le système a connu une cascade de critiques. En 1998, David Butts, le correspondant de l’agence Bloomberg Business News, avait brisé un tabou en s’invitant à une conférence de presse du premier ministre Hashimoto. Il dut à ce dernier, qui avait compris le risque d’un scandale, de ne pas être éjecté par les «videurs » musclés du club de la presse. En 2002, ce système avait même fait l’objet d’une remontrance de l’Union européenne, qui le jugeait discriminatoire à l’encontre des médias étrangers.
Depuis l’accident nucléaire de Fukushima, les critiques ont repris de l’ampleur car cet accident a mis en exergue non seulement l’imprudence et l’imprévoyance des autorités et de la compagnie Tepco, mais aussi la connivence et les silences de la presse japonaise « la plus respectable ».
La leçon s’impose : seule une presse indépendante, critique, fouineuse et soupçonneuse de tous les pouvoirs joue réellement son rôle, en protégeant l’intérêt public.
Au Japon, les journalistes « dissidents » se mobilisent. Takashi Uesegui est l’un de ces rebelles. Ancien journaliste du New York Times, auteur d’un livre sur L’effondrement du journalisme, il collabore à de nombreux médias mais il s’active surtout sur son site Internet et via Twitter, où il dispose d’une audience de près de 200.000 personnes.
Depuis le début de la catastrophe, Takashi Uesegui soumet le gouvernement et Tepco à un pilonnage sans merci, mettant en doute leurs déclarations et contestant leurs paroles les plus rassurantes. Ses dénonciations et diatribes lui ont valu d’être remercié par TBS Radio où il disposait d’une tribune hebdomadaire.
Chercheuse spécialiste de l’Asie au Committee to Protect Journalists (CPJ), Madeline Earp a donné la parole à une autre voix dissidente, le journaliste freelance Hiro Ugaya. Son témoignage se termine sur une note peu glorieuse pour la grande presse japonaise : « Les grands médias (essentiellement les journaux et la télévision) n’ont pas l’habitude de mettre en doute ce que disent les autorités. Leur esprit n’est pas guidé par la pensée sceptique. En conséquence, ils se comportent comme des sous-traitants de la division des relations publiques du gouvernement. Les conférences de presse du bureau du premier ministre devraient au minimum être ouvertes à la presse étrangère et aux indépendants. Les médias traditionnels se montrent trop coopérants à l’égard des autorités et en particulier des entreprises d’électricité et de leurs lobbyists ».
Une autre journaliste rue elle aussi dans les brancards. Interviewée par le CPJ, Makiko Segawa, de la Shingetsu News Agency, souligne à son tour les relations très cozy qui prévalent entre la grande presse et l’industrie nucléaire. Au risque de passer sous silence des informations et des avertissements essentiels : « En 2007, comme l’a rapporté un ancien journaliste, aucun média traditionnel n’a couvert la requête d’un élu de Fukushima, qui avait demandé à Tepco de construire une digue plus élevée contre la menace d’un tsunami ».
Conscient de la mise en cause croissante de sa politique de communication, le gouvernement japonais a annoncé la mise sur pied d’une commission chargée de faire la police sur Internet “afin d’empêcher les fausses rumeurs”. Comme si les autorités officielles et Tepco étaient l’exemple même de la transparence de l’information…
« On espère que cette mesure visant à contrôler l’information en ligne ne va pas se convertir en une politique de censure à long terme », s’est inquiétée Madeline Earp « Le gouvernement devrait d’abord chercher à protéger les gens sur place, avant de penser aux intérêts de Tepco et à sa propre emprise sur l’information ».
Comme le disait l’inimitable Izzy Stone, « tous les gouvernements mentent mais le désastre menace les pays dont les dirigeants fument le même hachich que celui qu’ils offrent à leur peuple ».
Le jour où l’on dira toute la vérité, rien que la vérité aux citoyens, de quelque pays qu’ils soient, les poules auront des dents depuis longtemps.
Merci de rappeler des évidences?
Chez nous aussi, hélas, la presse est trop conformiste et ne joue plus le rôle de contre pouvoir qui est le sien. De plus en plus, les journaux publient les mêmes communiqués d’agences de presse. De plus la presse est de plus en plus considérée comme un “bien de consommation ordinaire”. Or l’information, c’est tout sauf la course au profit, et l’immédiateté de l’info et la qualité font rarement bon ménage.