116 morts au Mexique? Une note de bas de page dans l’actualité

Elle ne touche pas directement l’Europe, elle n’implique pas un risque nucléaire, elle ne met pas face à face l’Occident à l’islam, elle n’a pas pris en otage des touristes ou des journalistes internationaux, elle ne concerne finalement que les Etats-Unis, « si près du Mexique, si loin de Dieu ».

En d’autres termes, en Europe, la guerre de la drogue qui fait rage dans les Etats du nord du Mexique n’intéresse presque personne.

Et pourtant, elle a fait plus de 35.000 victimes depuis décembre 2006, bien plus que les guerres qui sont à la une de l’actualité. Comme ces 116 personnes dont on vient de retrouver les cadavres dans l’Etat de Tamaulipas, près de Matamoros, à la frontière avec les Etats-Unis.

Qui étaient ces victimes ? Pourquoi ont-elles été assassinées ? On n’a pu identifier jusqu’ici qu’un habitant de Matamoros et un migrant guatémaltèque.

La découverte de ces fosses communes rappelle le scénario macabre qui s’était déjà déroulé en août dernier, dans la même région, lorsque plus de 70 migrants, dont 14 femmes, venus d’Amérique centrale, avaient été enlevés, torturés et abattus par les hommes de main des trafiquants de drogue.

Les auteurs de ces atrocités sont désignés du doigt : los Zetas (lettre Z), un cartel de la drogue formé au départ par d’anciens membres d’une unité d’élite de l’armée passés avec armes et bagages du côté du crime.

Le Mexique est sous le choc. Bien sûr, comme le rappelle le gouvernement, l’immense majorité des personnes qui sont victimes de la violence appartiennent aux cartels de la drogue et paient les rivalités entre les gangs qui veulent contrôler le trafic vers les Etats-Unis.

Bien sûr, une grande partie du Mexique n’est pas affectée. Au Yucatan, au sud, dans la région touristique maya, la criminalité ne serait pas plus élevée que celle que l’on enregistre au Canada.

Cependant, les statistiques ne disent pas tout. C’est le Mexique tout entier qui est touché par l’ ensauvagement déclenché par les narcos. De simples citoyens sont eux aussi happés par la violence, comme le fils du poète Javier Sicilia, tué à la fin du mois dernier. Comme les jeunes filles qui continuent d’être enlevées en toute impunité à Ciudad Juarez, la « ville où l’on tue les femmes » (pour reprendre le titre du livre de Marc Fernandez et Jean-Christophe Rampal). Comme les journalistes mexicains placés dans la ligne de tir des narcos : plus de 30 d’entre eux ont été assassinés au cours des 4 dernières années.

Plus fondamentalement encore, la violence liée à la drogue fragilise la transition démocratique mexicaine. Elle attise la corruption et l’arbitraire. Elle renforce aussi le pouvoir de l’armée, appelée au front contre les narcos. Elle sème la frustration et le désespoir au sein de la population.

« Nous en avons assez, s’est écrié le poète Javier Sicilia, dans une lettre publiée dans la revue Proceso, assez du pourrissement qui s’est emparé de la malnommée classe politique, assez de la classe criminelle qui a rompu tous ses codes d’honneur ».

Son appel désespéré a été entendu il y a quelques jours par de simples citoyens qui dans plusieurs villes du Mexique, mais aussi à Paris et Barcelone, ont manifesté contre la violence.

Mais Javier Sicilia aurait pu s’écrier aussi : « nous en avons assez des consommateurs de drogue, des accros à la cocaïne états-uniens et européens, qui alimentent par leurs assuétudes la tragédie qui s’est abattue sur le Mexique et sont co-responsables de nos malheurs et de nos souffrances».

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