Attaquer Kadhafi? Les réticences de l’Etat-major U.S.

Quand intervenir contre Kadhafi ? Une nouvelle fois, comme lors des guerres des Balkans dans les années 90 ou du Darfour en 2004, les autorités américaines se retrouvent confrontées aux dilemmes de l’ingérence « militaro-humanitaire ».

Et une nouvelle fois, la division règne à Washington. Toutes les options sont sur la table : le président Obama a ordonné à l’armée américaine d’être « prête à agir rapidement » en Libye si la situation se détériore.

Les militaires, toutefois, se montrent réticents à l’égard d’un engagement dont ils connaissent les difficultés et les dangers. Comme ils l’avaient fait, d’ailleurs, à la veille de la guerre en Irak, en 2003, lorsqu’ils avaient mis en garde le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld contre les risques d’une occupation militaire improvisée.

Cette fois-ci, le dossier juridique d’une intervention est plus solide que celui qui avait été monté de toutes pièces pour justifier l’attaque contre Saddam Hussein. Il ne s’agit pas de prétexter la présence d’armes de destruction massive, mais bien de répondre à la possibilité d’un scénario catastrophe tel que le prévoit le texte sur la « Responsabilité de protéger » (R2P), adopté en septembre 2005 par l’Assemblée générale des Nations Unies.

Si le colonel Kadhafi s’engage dans une politique de massacres de la population civile, il ne s’expose pas seulement, en effet, à un jugement pour crimes contre l’humanité à la Cour pénale internationale de La Haye (CPI), mais bien, dans le cadre de ce R2P, à une intervention militaire internationale.

Harcelée par les néoconservateurs qui avaient construit l’argumentaire de l’invasion de l’Irak et qui prônent aujourd’hui une action décisive contre le tyran libyen, l’administration Obama apparaît décidée à ne pas se lancer dans une aventure et à consulter ses alliés et les forces rebelles. Elle semble également soucieuse de disposer du blanc seing du  Conseil de sécurité de l’ONU, au sein duquel des pays comme la Russie et la Chine ont exprimé leur refus d’une intervention armée.

Au Département d’Etat, la prudence est de mise. L’impact politique d’une action militaire américaine pourrait être désastreux ou, à tout le moins, imprévisible pour l’image des Etats-Unis dans le monde, en particulier au sein d’un monde arabo-musulman en incandescence. Les diplomates américains craignent également de briser l’unité exceptionnelle qui s’est réalisée le week-end dernier lorsque le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité des sanctions contre Kadhadi et autorisé le recours à la CPI.

Les généraux américains ajoutent des réserves militaires à ces considérations politiques et diplomatiques. « Appelons un chat un chat, constate le secrétaire à la défense Robert Gates. Etablir une zone d’exclusion aérienne revient à attaquer la Libye ». L’amiral Mike Mullen, président du Haut Etat-major, serait lui aussi partisan de la plus grande prudence.

Les avertissements sont si fermes au sein des forces armées et les discussions si intenses au sein de l’administration que le porte-parole de Robert Gates s’est cru obligé de démentir que le Pentagone faisait barrage aux partisans d’une zone d’exclusion aérienne, en particulier à Hillary Clinton, plus proche, semble-t-il, des tenants d’une action militaire « robuste ».

Des organisations de défense des droits de l’Homme ont été régulièrement consultées par la Maison Blanche depuis le début des révolutions arabes. Soucieuses avant tout de protéger les populations civiles contre des massacres indiscriminés, elles ont établi au cours de ces 20 dernières années, marquées par l’épuration ethnique et les génocides, une « pédagogie de l’ingérence »,  fixant les critères à respecter en cas d’intervention.

En 2004, Kenneth Roth, le directeur exécutif de Human Rights Watch, avait établi sept principes essentiels : l’intervention ne peut avoir lieu qu’en cas de violations massives et en cours des droits de l’homme ; elle doit être la dernière option raisonnable pour stopper les tueries ; elle doit poursuivre prioritairement un objectif humanitaire ; les résultats escomptés doivent être supérieurs à ceux qu’entrainerait l’inaction ; elle doit être menée dans le strict respect du droit humanitaire international ; elle doit recevoir idéalement l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies et viser en premier lieu à répondre aux intérêts de la population du pays concerné.

La poursuite des combats, la brutalité du clan Kadhafi, rapprochent la communauté internationale du moment décisif où elle devra évaluer si la situation libyenne répond à ces critères et, ensuite, prendre une décision. En évitant d’être l’otage, comme l’écrivait Vincent Giret dans Libération, « des croisés éternels et des munichois chroniques ».

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4 réponses à Attaquer Kadhafi? Les réticences de l’Etat-major U.S.

  1. L.GILLAIN dit :

    L’incident avec le diplomate anglais et les militaires de son escorte apporte opportunément une démonstration supplémentaire du RISQUE MAJEUR ET EVIDENT de réaliser, par une intervention armée, même “soi-disant” limitée (mais c’est impossible) à l’exclusion aérienne (même demandée par certains lybiens!) l’unité momentannée et factice, mais immédiate et aveugle, que déclencherait comme ailleurs “l’ingérence impériale” d’un appareil militaire déjà discrédité à souhait tant par l’histoire que par la rumeur amplificatrice et mobilisatrice ! Il est des ratés providentiels qui permettent d’en éviter de plus incontrôlables !

  2. Gregorio Jose dit :

    Pourquoi tant de médiatisation sur les droits de l’homme dans certains cas et jamais dans le cas de la Palestine, Israel, USA?
    Pourquoi si peu d’explications sur le pétrole libyen et les sociétés pétrolières?

  3. Bernard dit :

    Doucement les basses ! Si la flotte américaine est près de la Lybie, c’est pour préparer le boulot: inventaire du matériel lybien encore opérationnel ( il en resterait fort peu ), cartographie des forces en présence, etc… . Les USA ne tenteront rien sans mandat de l’ONU, mais seront là avant tout le monde, notamment pour empêcher le retour des chinois sur les sites pétroliers. En attendant, wait and see.

  4. Fontaine dit :

    Il me semble, que si les communiquations de l’armée lybiennes étaient brouillées, ce serait apporter une grande aide à ce peuple en mouvement vers la démocratie, et ceci sans brûler une seule cartouche!
    Bon sang, qu’attendent donc les GRANDES nations du monde??

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