Les révoltes dans le monde arabe ont mis en exergue le rôle croissant joué par des organisations non gouvernementales dans la collecte et l’interprétation de l’information internationale.
Tout au long de ces événements dramatiques, de Tunis à Tripoli, du Caire à Manama, Human Rights Watch(HRW), Amnesty International, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) ont activé leurs réseaux et fourni, comme autant de grossistes de l’info, des informations aux agences de presse et aux autres médias.
Lundi, dans l’émission Face à l’Info d’Eddy Caekelberghs, Reed Brody, le représentant de Human Rights Watch à Bruxelles, parlait comme le chef de service étranger d’un journal, branché sur ses « correspondants » en Libye ou au Caire.
Comme le note Carroll Bogert, directrice associée de HRW, dans un texte publié début janvier (Qui fait l’actualité?, Rapport mondial 2011), la force de frappe journalistique de ces organisations s’explique en partie par une évolution structurelle au sein des médias. « Une étude récente, écrivait-elle, estime que le nombre d’articles sur l’actualité étrangère auxquels les journaux britanniques ont consacré un espace important a chuté de 80% entre 1979 et 2009. Aux Etats-Unis, plusieurs quotidiens, comme le Boston Globe et Newsday, ont complètement fermé leurs bureaux à l’étranger ». « Au revoir, le monde », titrait il y a quelques années la Columbia Journalism Review, en décrivant la chute de la couverture des questions internationales dans la presse américaine.
Ces ONG, dans une certaine mesure, compensent ce retrait du journalisme, notamment en s’engageant dans des enquêtes au long cours sur des sujets internationaux, comme le trafic d’êtres humains, les ventes d’armes, le pillage des ressources naturelles ou les violations du droit de la guerre.
Leur capacité d’offrir de l’information d’actualité, alors que les agences de presse patinent, dépend également de leur mode de fonctionnement. Comme nous avons pu le vivre lorsque nous étions directeur européen de l’information de HRW entre 1996 et 2006, les chercheurs de ces associations s’intéressent tout d’abord très souvent à des pays situés en dehors de l’actualité. Lorsqu’un événement important y éclate, ils sont souvent les seuls, avec des experts de centres d’études, à pouvoir recueillir des informations et leur donner du sens.
Ces ONG ont développé également une réelle expertise et une réelle audace dans la couverture des situations de conflits. HRW a ainsi mis sur pied une unité spéciale de « chercheurs d’urgence » qui, comme des correspondants de guerre, se retrouvent sur le terrain, là où l’action se déroule, au milieu des troubles et des combats.
Au lieu de se borner à chercher de l’information pour des rapports qui sortiront des mois plus tard, ils informent « en direct » sur les violations des droits humains ou du droit humanitaire international.
Par ailleurs, pour réaliser leurs enquêtes, les chercheurs de ces ONG passent des mois, voire des années, à suivre un pays ou une région. Donnant du temps au temps, ils développent des réseaux d’informateurs dans tous les milieux, au sein du pouvoir mais aussi de la société civile. Cette densité et cette diversité des sources leur donnent très souvent une longueur d’avance sur les agences de presse traditionnelles. Cet atout est d’autant plus grand que les acteurs des révoltes arabes sont souvent des personnes liées au mouvement des droits humains, en contact depuis des années avec les organisations internationales de New York, Londres ou Paris.
De surcroît, ces associations ont été parmi les premières à utiliser toutes les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Facebook, Twitter, les caméras GSM, sont omniprésents au sein de ce nouvel univers de l’info. « HRW envoie des photographes, des vidéographes et des producteurs radio sur le terrain pour travailler avec ses chercheurs, explique Carroll Bogert. Amnesty International est en train de créer une unité d’actualité autonome, dotée de cinq journalistes professionnels ».
Finalement, l’intrusion de ces associations dans le monde des news s’explique aussi par leur attachement à une conception impartiale et rigoureuse de l’information. Même si elles ont un objectif « partisan » -la dénonciation des régimes ou groupes non étatiques autoritaires -, elles appliquent les règles fondamentales du journalisme : la recherche obstinée de l’information dans le brouillard de la guerre et de la propagande, la vérification de son exactitude, la pluralité des sources, l’analyse qui donne un sens à l’actualité.
Elles renouent ainsi avec une forme de journalisme engagé qui a marqué l’histoire du métier, de Zola à Camus. Comme l’écrit Carroll Bogert, “impartial dans la relation des faits, sans être neutre face aux atrocités“.