Egypte: les “jeunes” de l’administration Obama l’ont emporté sur les traditionalistes

La démission abrupte de Hosni Moubarak n’a pas seulement changé la donne en Egypte. Elle a également bouleversé, pour un temps du moins, les rapports de force au sein de l’Establishment de politique étrangère à Washington. Les conseillers proches du mouvement des droits de l’Homme sont sortis vainqueurs de ce bras de fer qui les opposaient aux tenants d’une conception plus traditionaliste de la diplomatie américaine.

Même si l’administration Obama a toujours eu une longueur d’avance sur une Union européenne complètement dépassée par les événements, elle a semblé à plusieurs reprises confuse et contradictoire. Cette valse-hésitation a reflété de sérieuses divergences entre deux factions qui, depuis l’entrée d’Obama à la Maison Blanche en janvier 2009, rivalisent pour imprimer leur influence sur les grands dossiers de politique étrangère.

D’un côté, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, l’envoyé spécial Frank Wisner et le vice-président Joe Biden, attachés à une conception classique des relations internationales, ont freiné des quatre fers. Même si la secrétaire d’Etat avait dénoncé en janvier dernier au Qatar les régimes autoritaires arabes, elle craignait qu’un « départ brusque de Moubarak » débouche sur une cascade d’événements incontrôlables et affecte gravement les intérêts des Etats-Unis et de leurs alliés, essentiellement Israël et l’Arabie saoudite, dans la région.

De l’autre, des conseillers plus jeunes, compagnons de la campagne présidentielle d’Obama en 2008 : plus sensibles aux questions éthiques dans les relations internationales, proches du mouvement américain des droits humains, ils étaient conscients de l’impact historique du mouvement démocratique égyptien et voulaient que « les Etats-Unis soient cette fois du bon côté de l’histoire en marche ».

Fidèles à sa technique de confronter les points de vue divergents, le président Obama en a subi les conséquences négatives car il a donné l’impression de « flip-flopper », risquant en fin de compte de fâcher tout le monde.

Alors que Frank Wisner et sa « marraine » Hillary Clinton semblaient s’accommoder, au nom du réalisme et de la prudence, du maintien de Moubarak à la tête de l’Etat durant la transition, les « jeunes », très sensibles aux revendications, aux idées et aux pratiques de la « génération Facebook » égyptienne, s’évertuaient à persuader Obama que le départ de Moubarak était inéluctable et qu’il fallait donc accompagner le mouvement, au lieu de sembler l’entraver.

Ces partisans d’une politique plus audacieuse pariaient sur la force des démocrates égyptiens et sur un scénario qui permettrait d’éviter à la fois une dictature militaire et une poussée des Frères musulmans. Il s’agissait, comme l’avait déclaré Viron Vaky, responsable de l’Amérique latine au département d’Etat lors de l’insurrection sandiniste au Nicaragua en 1979 , « non plus de préférer la stabilité à la Révolution, mais de créer la stabilité à partir de la Révolution ».

Selon une enquête détaillée du New York Times , plusieurs personnalités émergent victorieuses de ce bras de fer à Washington : Denis McDonough, directeur adjoint du Conseil de sécurité nationale, Benjamin J. Rhodes, l’auteur du discours sur l’islam que prononça Barack Obama au Caire en juin 2009 ; Samantha Power, lauréate du Prix Pulitzer pour son livre A Problem from Hell (un essai brillant sur l’Amérique face aux génocides du XXème siècle) et ancienne directrice du Carr Centre for Human Rights Policy à l’université de Harvard ; Michael Posner, directeur du Bureau des droits humains au Département d’Etat et ancien directeur de l’association Human Rights First !; John Kerry, président démocrate de la puissante Commission des affaires étrangères au Sénat.

La Maison Blanche a également eu soin d’entendre l’opinion d’experts extérieurs au gouvernement, en particulier au sein de la « communauté américaine des droits humains », qui, ces dernières années, avaient mis en garde Washington contre les dangers d’un appui aveugle à des régimes autoritaires discrédités. Ainsi, Tom Malinowski, directeur du bureau de Washington de l’organisation Human Rights Watch et ancien conseiller de l’administration Clinton, a été régulièrement consulté par l’administration.

On rêverait que l’Union européenne (en particulier Catherine Ashton) et certains de ses Etats-membres accordent autant d’intérêt aux voix divergentes afin d’affiner et d’affermir leurs décisions.  Afin aussi de nous rassurer que leurs initiatives de politique étrangère intègrent les points de vue de ceux et celles qui représentent les valeurs dont l’Europe aime tant se réclamer. Entre la poire et le fromage…

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