La Chine et la stratégie du déni

Quelles sont les responsabilités de la Chine dans la pandémie de la Covid-19? « Aucune », rétorquent les très susceptibles autorités chinoises. Et de nombreux pays semblent accepter les explications de cette « puissance émergente » avec laquelle ils ont tissé bien imprudemment des liens qui aujourd’hui les contraignent au silence, voire à la servilité.
Les dénégations indignées de la Chine, toutefois, ne font que renforcer les doutes et les suspicions. La censure initiale sur la dangerosité du virus, les lenteurs dans la communication mondiale des données, les rétorsions à l’encontre des pays, comme l’Australie, « osant » demander une enquête internationale ou encore les maquignonnages  sur la composition, le calendrier et la feuille de route de la Commission internationale de l’OMS apportent inévitablement de l’eau au moulin de tous ceux qui ont déjà déclaré la Chine coupable.
Le refus, au début de cette semaine, de laisser entrer des membres de la Commission d’investigation de l’OMS, prétendument pour des questions de visas, ajoute à ces suspicions. Cette mesure apparaît comme une démonstration de puissance et une mise en garde. La Chine ne tolérera pas la moindre déviance par rapport à son script officiel. Cette arrogance et cet arbitraire ont même amené le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, dans un très rare mouvement d’humeur à l’encontre de Pékin, à exprimer sa « déception ».  
Cette stratégie de dissimulation et d’intimidation a inévitablement eu pour résultat de favoriser les rumeurs et les théories du complot. Donald Trump n’a pas eu beaucoup de mal à dénoncer le « virus de Wuhan» ni à suggérer, sans la moindre preuve, qu’il serait né dans un laboratoire chinois. Mais ces déclarations à l’emporte pièces du Président américain peuvent parfaitement s’inscrire dans le Grand Jeu chinois: comment ne pas tirer parti des accusations d’un personnage imprévisible et excessif qui, selon le baromètre du Washington Post, a proféré près de 30 000 allégations fausses ou trompeuses en quatre ans de mandat?
Cette méthode chinoise toutefois est extrêmement risquée, car elle a toutes les marques d’une entreprise de désinformation d’Etat et risque à tout moment de revenir comme un boomerang. Même si personne ne peut établir aujourd’hui avec assurance l’origine du virus, certains faits sont têtus. Dès le début de ce drame, la Chine a censuré l’information et poursuivi les journalistes et les citoyens qui dissonaient par rapport aux directives officielles. Cette politique a d’abord frappé le docteur Li Wenliang, le lanceur d’alerte de Wuhan, aujourd’hui reconnu comme un héros national. Récemment, elle s’est traduite par la condamnation à 4 ans de prison de la « journaliste citoyenne » Zhang Zhan pour « avoir causé des troubles et cherché des querelles” en « postant des fausses informations” sur les réseaux sociaux.
Fin décembre, dans un long article fondé sur des milliers de directives officielles secrètes, le New York Times et Pro Publica ont révélé comment le régime chinois s’est efforcé de contrôler les messages en ligne dès le début de la pandémie. « On ne saura sans doute jamais si une meilleure information aurait pu empêcher que l’apparition de la maladie se transforme en une calamité sanitaire globale, mais les documents indiquent que les fonctionnaires chinois ont voulu (…) minimiser la sévérité du virus, alors que le reste du monde était en train d’observer », notent les auteurs de l’enquête.
Le sinologue français François Godement, interviewé par l’hebdomadaire Le1, parle d’un « véritable déni devant le développement du virus » et d’une « très faible transmission d’informations à l’étranger ». « Au moment où l’on décrypte le génome du virus à Shanghai, note-t-il, Pékin transmet au monde entier le décryptage, mais jamais le virus lui-même. On retire donc la possibilité aux autres pays de vérifier la qualité du décryptage. L’autre blocus de l’information concerne le marché humide de Wuhan. Dès qu’il est fermé, il est nettoyé tant et si bien qu’il n’y a plus la possibilité de faire une enquête épidémiologique ».
A son déni, la Chine a ajouté une stratégie offensive. Des correspondants de la presse internationale ont été forcés de quitter le pays et des ambassadeurs chinois se sont mis à diffuser des théories du complot évoquant, sans la moindre preuve, la responsabilité des Etats-Unis dans l’origine du virus.

Opacité et verrouillage de l’information
Cette politique d’opacité n’est pas une exception. Elle définit la nature du régime, qui applique les mêmes règles face à la répression de la communauté ouïghoure au Xinjiang. Or, la Covid-19 n’est pas un sujet dont la Chine serait « propriétaire ». La pandémie a déstabilisé l’ensemble du monde. Tout Etat respectable, surtout s’il apparaît comme le point de départ de la pandémie, devrait tout mettre en oeuvre pour que l’on puisse comprendre l’origine de ce virus. Le verrouillage de l’information et le blocage de l’enquête dénotent un manque de respect non seulement à l’égard des millions de victimes, mais aussi des équipes médicales qui, partout dans le monde, se sont lancées corps et âme dans un combat titanesque contre un virus qui est en train de semer la mort, la ruine économique, la polarisation politique et la détresse psychologique.
La stratégie chinoise de déni ne peut prospérer que si les Etats les plus puissants font semblant d’y croire ou s’is estiment que leurs relations avec la Chine méritent bien quelques arrangements avec la vérité et la décence. « ll est toujours dangereux de laisser croire à une dictature qu’elle peut faire n’importe quoi et ne pas en être sanctionnée mais récompensée, prévient Bernard Guetta, euro-député du groupe libéral (Renew) et ancien chroniqueur de politique étrangère à France Inter. C’est ce que vient de faire l’Union européenne en signant dernièrement un accord sur les investissements qui ne tire aucune leçon de « l’année de la pandémie » et de ce qu’elle a révélé. Et c’est ce que risquent de faire des dizaines d’Etats fragilisés, qui n’ont pas les moyens financiers de se procurer des vaccins et se savent dépendants de la « générosité chinoise ».

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