Quand on parle de prises d’otages, on pense le plus souvent à des groupes terroristes ou à des organisations criminelles. Et pourtant, un certain nombre d’Etats ont aussi recours à ce que l’on appelle, par euphémisme, la « diplomatie des otages », qui consiste, note le magazine Forbes, « à utiliser le système judiciaire national pour condamner quelqu’un sur des charges fallacieuses et à lier sa libération à la résolution d’un autre contentieux diplomatique ».
La séquestration étatique est vieille comme le monde. « Autrefois, les ambassadeurs étaient considérés, en certains endroits de la planète, comme des otages institutionnels. En cas de mésentente soudaine entre deux princes, certains passaient des séjours plus ou moins longs dans les geôles du pays d’accueil. », rappelle Jean-Paul Pancracio dans L’Observavoire de la diplomatie.
On aurait pu penser que cette pratique moyenâgeuse disparaîtrait peu à peu, mais il n’en a rien été. Plusieurs Etats contemporains en on fait un outil ordinaire de leur politique étrangère. La Corée du Nord et l’Iran sont généralement accusés d’en être les praticiens les plus assidus. « L’utilisation par la Corée du Nord de citoyens américains capturés ou détenus afin d’extraire des concessions politiques de Washington a une longue histoire qui date de la guerre froide », notait l’AFP en septembre 2014.
L’Iran est aussi dans la ligne de mire. Personne n’a oublié la séquestration de 52 diplomates américains du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981 à Téhéran. Cette occupation de l’ambassade américaine décida en partie de l’issue du duel électoral entre le président démocrate Jimmy Carter et son rival républicain Ronald Reagan. «L’Iran a, depuis lors, institutionnalisé la prise d’ otages », constate Robin Wright dans le New Yorker. Au cours des dernières années, Téhéran a arrêté des dizaines de ressortissants occidentaux, généralement bi-nationaux. « Ces arrestations, note Le Monde, se sont multipliées depuis le retrait unilatéral en 2018 des Etats-Unis de l’accord international sur le nucléaire iranien et le rétablissement de dures sanctions américaines contre Téhéran». Mais elles s’expliquent aussi par des rivalités politiques entre factions iraniennes. La détention en juin 2019 de deux chercheurs du CERI (Centre de recherches internationales, Paris), l’africaniste Roland Marchal et son amie et collègue franco-iranienne Fariba Adelkhah, a été manigancée par les Gardiens de la révolution, dont l’objectif, précisait leur collègue Etienne Dignat dans la revue Esprit, est de « compliquer le travail de normalisation des diplomates et de couper la société iranienne du monde extérieur».
Si Roland Marchal a été libéré fin mars, simultanément à la libération en France d’un ingénieur iranien menacé d’extradition vers les Etats-Unis, sa compagne a été condamnée le 16 mai à cinq ans de prison pour “collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale”. Selon des sources concordantes, son sort serait lié à la libération d’un diplomate iranien détenu en Belgique, « suspecté d’avoir préparé un attentat contre un rassemblement, près de Paris, d’opposants au régime de Téhéran ». En septembre 2019, une association, The Families Alliance Against State Hostage Taking, a été créée pour affronter la « diplomatie des otages » iranienne. Plus d’une dizaine de personnes bi-nationales seraient encore retenues en Iran, dont Nazanin Zaghari-Ratcliffe, une Irano-Britannique de 41 ans, employée de la Fondation Thomson Reuters. « En 2018, rappelait Patrick Angevin dans Ouest France, un juge iranien avait publiquement statué qu’elle ne serait pas libérée tant que le Royaume-Uni n’aurait pas réglé une dette de 450 millions d’euros pour des chars, payés par Téhéran avant la Révolution islamique de 1979 et jamais livrés ». Son dossier, toutefois, semble progresser.
Chine-Canada: le bras de fer
La semaine dernière, l’accusation de pratiquer cette forme de « diplomatie coercitive» a été portée contre la Chine. Le 19 juin, deux ressortissants canadiens, Michael Kovrig, ancien diplomate et conseiller de l’International Crisis Group (Bruxelles), et Michael Spavor, un homme d’affaires, y ont été officiellement inculpés d’espionnage. « C’est une nouvelle mesure arbitraire et injustifiée dans un cas qui a été arbitraire et injustifié depuis le début », a réagi Robert Malley, le président de l’International Crisis Group.
Les deux Canadiens avaient été arrêtés en décembre 2018, quelques jours après la détention à Vancouver de Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei et fille du fondateur du géant chinois des télécoms. Celle-ci avait été interpellée à la requête des Etats-Unis, qui l’accusent de fraude bancaire et de violation des sanctions américaines contre l’Iran.
Les autorités chinoises se défendent publiquement de lier les deux affaires, « même si elles les évoquent souvent dans le même souffle », écrit Stephen McDonell, correspondant de la BBC en Chine. Pékin renvoie même l’accusation de séquestration et d’abus de droit dans les camps canadien et américain. Les procédés et les procédures, toutefois, ne sont guère comparables. Alors que les citoyens canadiens sont en prison et privés d’assistance juridique, la directrice de Huawei a été libérée sous caution et, selon un ex-ambassadeur canadien en Chine, « vit dans une luxueuse demeure à Vancouver, où elle dispose d’une équipe d’avocats de premier plan ».
La communauté internationale peine à affronter la diplomatie des otages. Les intérêts en jeu amènent à pratiquer une certaine « patience stratégique » et les négociations sont le plus souvent bilatérales. Or, «sans une approche collective, avertissait en novembre dernier Jason Rezaian, un journaliste irano-américain (Washington Post) retenu en otage entre juillet 2014 et janvier 2016 à Téhéran, d’autres gouvernements pourraient user eux aussi des séquestrations comme d’un instrument acceptable de la diplomatie ».
Sans un respect des garanties et libertés reconnus aux individus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, « le monde restera une jungle où les arrangements du droit international ne seront que des artifices temporaires », prévenait Stanley Hoffmann en 1982 dans Une morale pour les monstres froids. Et les simples citoyens, des pions jetés sans ménagements sur les échiquiers interlopes de la (dé)raison d’Etat.