Coronavirus: dire tristement la vérité triste

La pandémie de coronavirus a démontré de manière éclatante la nécessité d’une information fiable, indépendante et immédiate. « La politique d’opacité initiale de Pékin a beaucoup contribué à la diffusion de la pandémie », rappelle l’ex-ambassadeur de France, Michel Duclos, dans une note de l’Institut Montaigne. C’est en se souvenant de cet épisode funeste qu’il faut accueillir aujourd’hui avec prudence les communiqués officiels chinois, d’autant plus que le régime a décidé d’expulser 13 correspondants de grands journaux américains, qui couvraient l’épidémie sur le terrain.
Partout dans le monde, les régimes autoritaires ont été à la hauteur de leur mauvaise réputation. Les mesures de restriction de l’information se sont multipliées sous prétexte d’éviter la « désinformation ». Or, « dans une société globale de plus en plus interconnectée, quand les droits des médias dans les pays étrangers sont limités, ce sont nos droits qui sont mis en péril », prévenait, en 2010, le président de l’Université Columbia, Lee Bollinger.
Ces pays, en effet, ne menacent pas seulement leurs populations, mais aussi celles des autres pays, car ils instaurent des « trous noirs » de l’information qui entravent la mise en oeuvre de mesures globales adéquates de prévention. La liberté de la presse dans le monde n’est donc pas une lubie droits-de-l’hommiste, mais un enjeu qui touche à la souveraineté et à la sécurité nationale. La communication d’informations de cette gravité est d’ailleurs obligatoire au terme du Règlement sanitaire international de l’Organisation mondiale de la santé.
La « mésinformation », toutefois, ne provient pas seulement des restrictions apportées par des autocrates à la liberté d’informer. Dans de nombreuses démocraties, des gouvernements ont « semblé sacrifier au désir de ne pas inquiéter l’opinion publique », comme l’écrivait déjà Albert Camus dans La peste (1947), avant d’imposer brusquement des mesures drastiques de confinement. Oublions un instant Donald Trump, ses déclarations fallacieuses, son mépris de la science et son assurance bravache. En Europe aussi, des dirigeants raisonnables, écartelés entre des défis économiques et sanitaires d’une rare complexité, confrontés à un virus scientifiquement mal appréhendé, ont procrastiné, au risque de perdre ce qui est essentiel en temps de crise, la crédibilité.
La mission d’un gouvernement n’est pas de rassurer, mais d’ « assurer », c’est-à-dire de prendre les mesures les mieux à même de stopper l’épidémie et d’en amortir les effets sur la société. Et l’une d’elles, essentielle, est la fiabilité de l’information, celle que le gouvernement collecte et décode pour prendre ses décisions, mais aussi celle qu’il communique aux citoyens. Quand, selon Le Monde, un proche du Président Macron s’exclame le 13 mars, « on n’avait pas ces informations, nous pensions qu’il s’agirait d’une grosse grippe », la carence officielle apparaît flagrante. Quand le Washington Post révèle que les services secrets américains ont lancé des alertes dès janvier et que celles-ci n’ont pas été prises en compte au sommet de l’Etat, la faute semble évidente.

La transparence est un impératif démocratique et un instrument de la riposte sanitaire. Sans directive claire, sans explication rationnelle, sans l’expression franche des doutes et des incertitudes, un gouvernement s’expose à des réactions d’incrédulité et d’incivilité. L’efficacité de cette communication dépend à son tour des personnes qui en sont chargées et du respect qu’elles inspirent, à l’exemple du docteur américain Anthony Fauci, qui régulièrement corrige Donald Trump. Partout, des Etats-Unis au Royaume uni, de la France à la Belgique, les dirigeants politiques qui ont affaibli les dispositifs médicaux et hospitaliers apparaissent mal placés pour inspirer et diriger la lutte contre la pandémie.

Chien de garde des institutions

La situation impose aussi des responsabilités particulières au journalisme. Le rôle de la presse n’est pas d’alarmer ni de rassurer, mais d’informer. Il ne s’agit pas seulement de refléter fidèlement les faits observés et de les expliquer, mais aussi « de surveiller de très près ce que font les autorités publiques, les entreprises privées, les acteurs de la santé, pour répondre à cette crise sans précédent », écrivait le 14 mars, Marty Baron, le directeur du Washington Post, adepte d’un journalisme qui assume son rôle de « chien de garde » des institutions. Une phrase, un rien subversive mais très prisée par l’un des Pères fondateurs du journalisme américain, Joe Pulitzer, a refait son retour dans les rédactions: « notre rôle est de réconforter les gens affligés et d’affliger les gens confortables ».
La tâche n’est pas facile. Dans beaucoup de pays, les médias sont très fragilisés. Lors d’urgences nationales, une majorité de l’opinion tend à sermonner les journalistes qui sortent des rangs, quitte, plus tard, à les accuser d’avoir été trop serviles. Et pourtant, la confiance à long terme du public à l’égard de la presse dépend de la « méfiance responsable » qui guide les journalistes dans la recherche des faits d’intérêt public que les pouvoirs seraient tentés, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, d’occulter. Dans cette mobilisation générale, la presse joue son rôle en préservant son autonomie et en gardant ses distances. Elle doit être, selon la formule camusienne, « solitaire pour être solidaire ».
Lorsque le tocsin sonne, l’unité de la nation est essentielle et, comme le disait déjà Montesquieu, «il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté ». Mais dans un système démocratique libéral fondé sur le consentement informé des citoyens, elle ne peut pas se faire au dépens de la vérité. « Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste », s’exclamait l’écrivain Charles Péguy lors du lancement de sa revue Les Cahiers de la Quinzaine en janvier 1900. Dire immédiatement la vérité immédiate, pourrions-nous ajouter, car c’est d’elle aussi que dépend, aujourd’hui, l’efficacité du combat contre la pandémie.

Note: cette chronique a été publiée jeudi midi 26 mars dans la version en ligne et vendredi 27 mars dans la version papier.

La citation de Lee Bollinger vient de son essai remarquable et prémonitoire sur la globalisation et l’information, Uninhibited, Robust, and Wide-Open. A Free Press for A New Century, Oxford University Press, 2010.

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Une réponse à Coronavirus: dire tristement la vérité triste

  1. VASAMILLET dit :

    merci pour vos articles

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