Tel est notre bon plaisir

« Ce sont ceux qui ambitionnent le plus ardemment le pouvoir qui devraient en être tenus soigneusement à l’écart », s’était exclamé Arthur Koestler. L’auteur du roman Le Zéro et l’Infini, l’un des grands classiques de la littérature anti-totalitaire, pensait sans doute au Generalissimo et au Führer, au « Maréchal Pantin » et au « Petit père des peuples », que l’histoire avait posés sur sa route tourmentée et qui avaient fait de l’exercice arbitraire du pouvoir l’un des signes des désordres de leur personnalité.
Dans un récent essai (Conversation à Princeton avec Rubén Gallo, Gallimard, 2019), l’auteur péruvien et Prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa revient longuement sur cette figure du tyran arbitraire, en évoquant le personnage central de son roman La fête au bouc, « Son Excellence le généralissime docteur Rafael Leonidas Trujillo Molina, Honorable Président de la République, Bienfaiteur de la Patrie et Reconstructeur de l’Indépendance Financière ». Trujillo régna sur la République dominicaine entre 1930 et 1961 et il fit de l’arbitraire, du fait du prince, un instrument de terreur. Un mot de travers, un soupçon de dissonance et c’était la déchéance et l’humiliation, la prison ou la mort. « Il couchait avec les femmes de ses ministres, écrit Mario Vargas Llosa, non seulement parce qu’elles lui plaisaient, mais aussi pour faire passer à ses collaborateurs un test de loyauté. Généralement, tous acceptaient que le dictateur viole leur épouse».
L’histoire et l’actualité de l’Amérique latine sont riches en épisodes populistes et narcissiques, de Juan Domingo Peron à Nicolas Maduro. Le « roman de dictateur » y constitue même un sous-genre littéraire, avec Moi, le Suprême d’Augusto Roa Bastos, Monsieur le Président de Miguel Angel Asturias ou L’Automne du Patriarche, de Gabriel Garcia Marquez.
Mais il n’y a pas que l’Amérique latine. Agir selon son beau plaisir reste partout l’un des traits et des attraits du pouvoir. Vladimir Poutine, Viktor Orban et Jaroslaw Kaczynski s’y adonnent sans compter. Plus près de nous, en Italie, Matteo Salvini a suivi la même recette lorsqu’il était ministre de l’intérieur, en évoquant, par exemple, la possibilité de supprimer la protection policière accordée au journaliste Roberto Saviano, menacé de mort par la mafia napolitaine. Pourquoi? Parce que l’auteur de Gomorra avait osé le critiquer. Dans ce monde là, un chef, par définition, ne souffre ni contrainte ni contradiction. Et c’est lui qui décide seul des sanctions, sans égard pour les institutions formelles ou informelles qui sont censées garantir l’Etat de droit.
Certes, les leaders populistes n’ont pas le monopole de l’arbitraire. Les partis démocratiques traditionnels l’ont régulièrement pratiqué, en particulier au sein de baronnies locales clientélistes et corrompues. Mais en dépit de leur prévalence, il n’en reste pas moins que dans les systèmes démocratiques, ces faits sont considérés comme des déviances, alors que dans les systèmes populistes, ils en constituent l’essence.

Donald Trump ou le règne de l’arbitraire
Ce qui nous amène inévitablement à Donald Trump. Depuis son arrivée au pouvoir, le Président républicain s’est comporté comme si son caprice faisait loi. D’un claquement de doigts, il a viré ses collaborateurs les plus importants, ministre des Affaires étrangères ou directeur du Conseil national de sécurité, comme il le faisait naguère avec les candidats malheureux de son émission de téléréalité, The Apprentice. Il a décidé, selon ses foucades du moment, de brocarder ou de courtiser le despote nord-coréen, de snober l’Europe, de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem, de trahir les Kurdes, de « dealer » avec le nouveau Président de l’Ukraine ou de gracier, contre l’avis du Pentagone, des soldats accusés de crimes de guerre. Et il a été applaudi à tout rompre par ces « bonnes gens », coiffées d’une casquette rouge, qui servent de « fond d’écran » à ses meetings de campagne et qui en disent tellement, pour citer Mario Vargas Llosa à propos de l’Amérique latine, « sur la responsabilité des peuples, sur leur facilité à s’accommoder d’un régime tyrannique, voire à le soutenir et à le renforcer ».
La démocratie, on s’inquiète de devoir le rappeler 75 ans après le débarquement en Normandie et 30 ans après la chute du Mur de Berlin, n’est ni le règne d’un homme, fût-il providentiel, ni même celui d’une majorité, fût-elle plébiscitaire. Elle est constituée de valeurs et de règles qui s’imposent à tous et de garanties individuelles destinées à protéger les droits des citoyens, surtout si ceux-ci sont minoritaires, opposants ou dissidents.
Des lors, dans ce contexte du bras de fer entre l’arbitraire d’un homme, Donald Trump, et la légitimité des institutions, la procédure d’impeachment n’est pas une bataille partisane, même si les députés démocrates sont jusqu’ici les seuls à la mener. « Aucune démocratie ne peut fermer les yeux sur des preuves d’abus de pouvoir, de corruption et d’obstruction dans l’espoir qu’une élection arrangera les choses », notait le rédacteur en chef du New Yorker, le très pondéré David Remnick.
Pour les « libéraux » américains et au sein de ce qui reste de l’Establishment républicain modéré, cette procédure constitue un impératif politique et moral, une urgence qui renvoie à l’un de leurs auteurs préférés, le philosophe français Montesquieu, qui inspira les rédacteurs de la Constitution américaine. « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir, prévenait celui-ci en 1748 dans De l’esprit des lois. La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. La liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut ». Et il ajoutait, comme s’il anticipait la lassitude, l’exaspération et l’impatience des Démocrates: « Dans toute magistrature, il faut compenser la grandeur de la puissance par la brièveté de sa durée”.

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