« La politique extérieure, écrivait Alexis de Tocqueville, n’exige l’usage de presque aucune des qualités qui sont propres à la démocratie et commande au contraire le développement de presque toutes celles qui lui manquent ». A supposer bien sûr que les qualités que l’auteur prête à la démocratie soient celles de l’intérêt général, de la négociation et du consensus.
Or, depuis son entrée à la Maison blanche en janvier 2017, Donald Trump inverse l’équation que le philosophe libéral français avait formulée après avoir parcouru l’Amérique dans les années 1830. En réalité, il démontre que dans l’univers de « L’Amérique d’abord » et de la « guerre de tous contre tous », il peut y avoir une continuité sans failles entre les politiques intérieure et extérieure.
Le Trumpland n’a guère de place pour les alliances, les compromis et les garde-fous. Sur la scène nationale, le leader populiste n’est pas loin de voir dans ses adversaires politiques des « ennemis de l’intérieur » et considère les contre-pouvoirs prévus par la Constitution américaine comme des obstacles à contourner et à combattre. De même sur la scène internationale, il rejette les institutions multilatérales comme autant de contraintes illégitimes.
Cette équation polarise la société américaine et crispe dangereusement les relations internationales, mais si elle n’est guère « présidentielle », elle est très « présidentiable », car elle constitue l’un des leviers de sa réélection. Pour Donald Trump, l’esprit bi-partisan, longtemps promu par d’illustres représentants de l’Establishment américain, à l’instar des sénateurs Sam Nunn (Démocrate) ou Richard Lugar (Républicain), ne signifie rien. Susan Rice s’en inquiétait récemment dans un article du New York Times. « Il y a une logique, une cohérence, un thème unificateur dans la politique étrangère de Donald Trump, écrivait-elle en substance. Ses intérêts et ceux de son parti l’emportent sur ceux de son pays».
Toutefois, la critique de l’ex-conseillère de sécurité nationale de Barack Obama ne résout pas une interrogation essentielle. Donald Trump défend-il uniquement les points de vue du noyau dur de son électorat, qui représente une minorité d’Américains? Ou exprime-t-il sur un certain nombre d’enjeux (commerce, interventions militaires, migration) une opinion beaucoup plus large, nationaliste et souverainiste, qui séduit bien au-delà de son camp? « Les valeurs de l’Establishment de politique étrangère reflètent moins les intérêts de la classe moyenne ou pauvre que ceux de la classe transnationale des banquiers, des lobbyistes et des investisseurs », suggérait en 1998 Eric Alterman, un chroniqueur de gauche, à l’époque de la présidence « globaliste » du Démocrate Bill Clinton.
Une diplomatie populiste
Les sondages d’opinion sur ce que les Américains attendent de leur Président sur la scène internationale sont contradictoires et fluctuants, mais Donald Trump sait exactement ce qu’il fait et qui il vise. Ainsi, son bras de fer avec la Chine surfe sur l’inquiétude sourde d’une opinion publique perturbée par le déclin relatif de la puissance américaine, mais il signale aussi aux « cols bleus » américains touchés par la désindustrialisation qu’il défend vraiment leurs intérêts: 70% des Américains, et donc pas mal de Démocrates, font de la protection du Made in America une priorité. De même, ses querelles à propos de l’OTAN expriment sa méfiance viscérale des alliances internationales, mais aussi une lassitude majoritaire du public américain face à des Européens accusés d’être des free riders, des profiteurs, en matière de défense.
Donald Trump s’appuie surtout sur la population blanche conservatrice, mais dans ce pays qui s’est construit au fil de vagues migratoires, il ne néglige pas non plus certains « votes communautaires ». Comment expliquer sa politique latino-américaine – sa condamnation du président vénézuélien pro-castriste Nicolas Maduro ou le durcissement des sanctions à l’encontre de Cuba – sinon par son souci de cajoler l’importante communauté cubaine dans l’Etat pivot de Floride? Comment comprendre, au-delà de sa conception manichéenne du monde et de réels intérêts stratégiques, sa politique à l’égard d’Israël et de l’Iran, sinon par sa conviction que l’appui sans réserve à Benjamin Netanyahou lui permet de ravir quelques voix au sein d’une communauté juive majoritairement démocrate, mais aussi et surtout de « bétonner » sa popularité parmi les évangéliques blancs? Ces derniers, soutiens indéfectibles de l’Etat d’Israël, constituent 25% de la population et ont voté en 2016 à plus de 80% républicain.
Cette politique populiste, au plus proche des humeurs et des identités d’une certaine Amérique, préserve-t-elle réellement les intérêts du pays? Donald Trump se méfie des grands desseins intellectuels, forgés par les experts de centres d’études « élitistes » censés guider la politique étrangère américaine dans les dédales d’un monde complexe. Il joue à l’instinct et prétend tabler sur le bons sens du peuple américain. Mais « la triste vérité, c’est que le grand public s’est trompé de manière destructrice à des moments cruciaux de l’histoire. Il a imposé son véto à des dirigeants responsables et bien informés », prévenait l’éditorialiste Walter Lippmann, auteur en 1922 du célèbre essai Public Opinion.
« Une politique extérieure est condamnée à l’échec si elle viole délibérément nos promesses et nos principes, nos traités et nos lois », ajoutait celui qui fut le chroniqueur « internationaliste libéral » du Siècle américain, de cette époque mythique de l’après-guerre, de cette « grandeur », à laquelle Donald Trump prétend revenir par la voie du populisme. Sans doute est-elle également condamnée à l’échec si elle n’a pour but que de servir des intérêts partisans ou d’assouvir l’égo d’un Président. La leçon ne vaut pas que pour Donald Trump…