L’Europe dans les griffes du panda, de l’ours et de l’aigle

Le tout récent sommet entre l’Union européenne et la Chine a été précédé, sans surprise, par les appels des organisations de défense des droits humains à dénoncer l’autoritarisme de Beijing. Et il a été suivi, sans surprise, par la déception de celles-ci face à la frilosité des chefs d’Etat et de gouvernement européens.
Ce constat désabusé renvoie, cependant, à une considération plus générale. Alors que l’Europe se voyait naguère comme une puissance, « elle est devenue une proie dans la nouvelle rivalité entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie», écrivait fin mars la directrice éditoriale du Monde, Sylvie Kauffmann, dans le New York Times.
Le réveil est rude. Après la chute du Mur de Berlin en 1989, les nouveaux « missionnaires européens » avaient imaginé d’amener la Chine, mais aussi la Russie, à embrasser le libéralisme économique et politique, « horizon indépassable de l’humanité ». L’équation était simple: à la modernisation économique, parrainée par les experts occidentaux, succéderait inévitablement la libéralisation politique.
Trente ans plus tard, l’échec est sidérant. Le règne de Xi Jinping se confond avec la répression des dissidents, la surveillance de la population et l’internement dans des camps de rééducation politique au Xinjiang. De même, en Russie, après le chaos et les  humiliations de la période Eltsine, Vladimir Poutine a engagé la Russie sur la voie de l’autoritarisme, du nationalisme et du conservatisme moral.
Xi Jinping et Vladimir Poutine non seulement « bunkérisent » leur pays et bétonnent leur pouvoir, mais ils déploient aussi une stratégie offensive à l’extérieur des frontières. Dans son rapport d’activité 2017-2018, la Sûreté de l’Etat belge le signale sans ambages: il n’y a pas que le péril du terrorisme djihadiste, les menaces viennent aussi des agissements de la Chine et de la Russie, en particulier de leurs activités de renseignements.

Bons baisers de Russie
La Russie, au moins, n’avance pas masquée. Vladimir Poutine ne prend pas de gants. Il envoie ses « petits hommes verts » en Ukraine et annexe la Crimée. Des barbouzes russes opèrent au Royaume-Uni. Des mercenaires interviennent en Syrie et en République centrafricaine. Des hackers et des usines à trolls grenouillent dans les processus électoraux américains et européens. Des médias d’Etat, RT et Sputnik, et des agences de ré-information pro-russes exploitent les mouvements de protestation anti-système, des gilets jaunes en France aux manifestants « anti-islam » en Allemagne. Vladimir Poutine s’affiche avec Matteo Salvini et Marine Le Pen. Il courtise la Hongrie national-populiste de Viktor Orban.
La Chine, par contre, se veut beaucoup plus amène. Elle se présente comme le Bon samaritain accourant au secours de pays en vrille, comme la Grèce. Elle se décrit comme un partenaire économique fiable et invite les Etats européens, un par un, à rejoindre « les nouvelles routes de la soie ». Côté face, la Chine privilégie le soft power, « cette capacité d’influencer les autres par la séduction et la persuasion plutôt que par la puissance dure (hard power) de la coercition militaire ou de la pression financière », comme la définit Joseph Nye, le professeur de l’Université de Princeton qui a théorisé la « puissance douce ».
Cette « politique du panda » recouvre, cependant, une stratégie globale bien plus rêche, celle du sharp power, la « puissance tranchante », comme la qualifie The Economist. C’est le côté pile. La Chinafrique bouscule la Françafrique. Les entreprises chinoises déplacent l’Europe et les Etats-Unis en Amérique latine. Comme l’URSS, la Chine n’hésite pas non plus à prendre des initiatives qui renforcent la désunion européenne, à l’instar du Format 16+1, qui cadre sa coopération avec 16 anciens pays communistes européens, dont 11 membres de l’UE. Et sa présence dans des secteurs stratégiques, comme la 5G, les infrastructures portuaires ou des centres de recherche, inquiète.

Censure made in China
Politiquement, la Chine exporte aussi son autoritarisme, en particulier dans les milieux universitaires. Elle exerce des pressions sur des publications académiques ou des universités occidentales qui abordent de manière critique des sujets sensibles, comme le Tibet, Taiwan, Tian’Anmen, les Ouïgours ou la secte Falun Gong. Elle surveille les étudiants chinois à l’étranger et « suit » de très près les sinologues mal pensants. Les exemples d’ingérence et d’intimidation se multiplient, de l’université de Durham au Royaume uni à celle de Concordia à Montréal. Au point d’amener des associations académiques à conseiller aux universités de fermer les instituts Confucius, directement liés à l’Etat chinois, présents sur leurs campus. Des critiques s’élèvent également à l’encontre de la « cooptation » de centres d’études et financement de politiciens occidentaux par des « intérêts chinois ».
La conclusion est amère. Non seulement, les pays européens n’ont pratiquement plus d’impact sur l’évolution interne de la Russie et de la Chine, mais comme dans la fable de l’arroseur arrosé, ils se retrouvent aussi confrontés, chez eux, à des stratégies d’influence russe et chinoise qui sapent leur stabilité et menacent leur sécurité. Dans ce grand jeu, ils ne peuvent même plus compter sur l’allié américain. Avec ses pressions commerciales, ses coups de force diplomatiques et son ingérence politique, au travers notamment du missi dominici populiste Steve Bannon, l’administration Trump participe, elle aussi, à la division et à l’affaiblissement du Vieux continent. « Ainsi va le jeu des grandes puissances, écrivait Sylvie Kauffmann. Pour défendre ses intérêts, l’Europe est seule ».

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