Guerre sur terre aux hommes et aux femmes de bonne volonté

Les rues s’ornent de guirlandes lumineuses. Partout, les sapins sont bien à leur place. Les dames patronnesses aussi. Quelques pièces de monnaie tintent dans les sébiles. Des salutations enjouées, des « joyeux Noël », accompagnent les rondes des chalands.
Paix sur terre aux hommes et aux femmes de bonne volonté? Ou s’agirait-il plutôt d’une parenthèse, d’un sursis, avant que la herse ne retombe lourdement et pour longtemps dans des sillons raboteux? L’année qui s’achève a été rude, confuse. Sombre. Comme un entre chien et loup propice aux angoisses et aux agressions.
Presque partout, les indices de liberté sont en recul. En 2018, selon le Comité de protection des journalistes, 34 professionnels de l’info ont été délibérément assassinés, contre 18 en 2017. En cette année où l’on commémore le 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ces chiffres s’ajoutent à une cascade d’incidents, d’abus et d’exactions qui témoignent d’une attaque concertée contre un texte, qui, écrit Ghislaine Bru, veuve de l’un de ses auteurs, René Cassin, « pose le problème moral fondamental de la dignité et de la valeur de la personne humaine ».
Dans cette atmosphère délétère, le 70ème anniversaire de la Convention pour la prévention et la suppression du crime de génocide est même passé presque inaperçu. Indifférence? Ignorance? Selon un sondage publié début décembre par CNN, un tiers des 7000 personnes interrogées dans 7 pays européens, dont l’Allemagne et la France, avoue ne rien savoir, ou presque rien, sur l’Holocauste.
Les démocraties occidentales sont touchées par cette corrosion généralisée. Dans les urnes, des partis que l’on qualifie pudiquement de « populistes » prospèrent sur le ressentiment et la haine. Dans les rues, des mouvements d’extrême droite, qui n’ont rien appris et rien oublié, plastronnent et tonitruent, pariant, comme jadis Goebbels, que « celui qui peut régner sur la rue règnera sur l’Etat ». En Italie, le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini répand son discours ultra-nationaliste et anti-européen, comme si son pays n’avait rien appris du fascisme ni rien reçu de l’Europe. En Hongrie, l’ex-dissident libéral Viktor Orban chemine sur les voies tortueuses d’un nationalisme rance. Au Brésil, Jair Bolsonaro va bientôt entrer au Palais du Planalto, nostalgique des militaires putschistes des années soixante. En Israël, Netanyahu « fait  du Trump », écrit Elie Barnavi. Et Trump, le vrai, n’arrête pas de tweeter.
La menace du terrorisme affole les boussoles. Djihadistes et extrémistes de droite se vouent une haine féroce, mais ils se renforcent mutuellement, ciblant leur ennemi commun, la démocratie libérale. « Ils partagent une vision qui se construit sur l’idée de leur victimisation et qui implique que la solution n’est possible qu’en éliminant l’autre », note sombrement Julia Ebner dans un livre intitulé, bien à propos, The Rage.

L’amicale des satrapes
Les régimes autoritaires « classiques » sont fidèles à leur (mauvaise) réputation. En Syrie, Bachar El Assad poursuit sa maudite guerre. En Russie, Vladimir Poutine bétonne sa verticale du pouvoir. En Iran, le régime réprime sans état d’âme. En Turquie, 63 journalistes sont en prison. En Chine, selon Human Rights Watch, près d’un million de musulmans de la région du XinJiang ont été arrêtés et incarcérés sous prétexte de lutte anti-terroriste. En Arabie saoudite, dans ce pays où, dit-on, aucun grain de sable ne bouge sans que le pouvoir en soit informé, « quelqu’un » a donné l’ordre d’assassiner, dans le consulat saoudien d’Istanbul, un journaliste dérangeant, Jamal Khashoggi. Aux Philippines, l’état de droit s’est fracassé dans la « guerre contre la drogue » qui a fait plus de 12000 victimes. Bavures, règlements de compte? Peu importe. Dieu reconnaîtra les siens.
On ose les critiquer? Ils répondent par un bras d’honneur. Ils choisissent même de punir les donneurs de leçons et les belles âmes. Comme l’Arabie saoudite, cet été, lorsqu’elle a décrété des représailles contre le Canada, « coupable » d’avoir osé demander la libération de militantes des droits des femmes à Riyad. Que risquent-ils? Rien. Ils continuent à être reçus comme des personnes honorables car bancables dans les cercles qui comptent. Comme au récent G-20, à Buenos Aires.
L’histoire, de nouveau, chemine dans les Hauts de Hurle-Vent. Mais c’est aussi en ces moments chahutés et crépusculaires que des individus se dressent pour préserver ces libertés et ce sentiment d’humanité qui distinguent la civilisation de la barbarie. A l’image des lauréats du Prix Nobel de la Paix 2018, le Docteur congolais Denis Mukwege et l’activiste irakienne yézidie, Nadia Murat, ex-esclave de Daesh, qui se battent contre les violences faites aux femmes. A l’exemple aussi des « gardiens de la vérité » que Time a choisis pour « personnes de l’année », comme la journaliste philippine Maria Ressa, qui tient tête au président Duterte, et les deux correspondants birmans de l’agence Reuters, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, emprisonnés pour avoir révélé les crimes commis par l’armée contre la minorité musulmane apatride rohingya.
En fait, alors que la mode est à l’exaltation du « peuple », auréolé de toutes les vertus, des personnes parfois très solitaires, comme le furent les premiers résistants en France ou les dissidents en URSS, affirment, selon la belle expression de l’historien John Patrick Diggins, « la conscience privée de l’individu contre, à la fois, la coercition de l’Etat et la tyrannie de la majorité ». Cette année, les bougies devraient scintiller pour elles, car elles sont les gardiennes de cette Déclaration universelle qui reste, selon les mots de Robert Badinter, « l’horizon moral de l’humanité ».

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Une réponse à Guerre sur terre aux hommes et aux femmes de bonne volonté

  1. Stéphane Dado dit :

    Texte et synthèse remarquables ! Bravo !

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