Lors de la célébration du centenaire de l’Armistice le 11 novembre à Paris, Donald Trump sera sans doute l’un des personnages les plus saugrenus parmi les chefs d’Etat occidentaux. Les politiques qu’il incarne – l’unilatéralisme, la confrontation et la bellicosité – contredisent frontalement les valeurs que ces cérémonies sont censées évoquer: la coopération, l’union et la paix entre les peuples. L’année prochaine, sa présence apparaîtra tout aussi incongrue, lors de la commémoration des 75 ans du débarquement allié en Normandie ou de la bataille des Ardennes autour des thèmes de la résistance et de la libération.
Les interventions aux côtés des démocraties alliées en 1917 et en 1941 appartiennent pourtant à l’ histoire la plus glorieuse de l’Amérique. Certains épisodes, comme la victoire de la Force expéditionnaire américaine sur les champs de bataille de l’Argonne en 1918 et la délivrance de Bastogne en décembre 1944 font partie du « roman national ». Ils évoquent l’héroïsme des Sammies et des GIs, mais aussi « la clarté morale » de ceux qui à l’époque occupaient la Maison blanche, Woodrow Wilson et Franklin D. Roosevelt. Ils confortent cet exceptionnalisme qui voit dans les Etats-Unis une « nation élue destinée par la Providence à éclairer le monde ». Ils construisent cette « grandeur de l’Amérique » à laquelle Donald Trump et ses partisans se réfèrent constamment, confusément.
Sauf que, les alliés européens se demandent aujourd’hui si l’actuel chef de l’Etat américain serait intervenu en faveur des démocraties européennes. N’aurait-il pas écouté, voire même encouragé, l’isolationnisme de la majorité de l’opinion, qui n’avait aucune envie de mourir pour des « querelles européennes » dans les tranchées de l’Yser ou les trous de renards des Ardennes?
Conjectures? Pas seulement. Depuis sa campagne électorale en 2016, Donald Trump a systématiquement agité les thèmes qui, en 1917 et 1941, étaient brandis par les partisans de la non-intervention en Europe. Son slogan fétiche, l’Amérique d’abord, se réfère explicitement au mouvement America First des années 1930, qui était notamment appuyé par des personnalités « germanophiles », de l’aviateur Charles Lindbergh à l’industriel Henry Ford, favorables à l’isolationnisme et à la neutralité. Comme ces personnalités ultra-conservatrices, Donald Trump ne professe aucune option préférentielle pour la démocratie. Comme eux, qui préféraient le général Franco à la République espagnole, Donald Trump courtise les caudillos. Comme eux, il fonde sa popularité sur la stigmatisation des étrangers, des minorités, de la gauche et des « élites libérales ». Comme eux, il attise la “rage” d’une partie de la population, nostalgique d’une Amérique blanche et chrétienne.
Les Quatre libertés?
Que va faire Trump à Paris? La Grande Guerre s’était terminée sur la promesse que ce serait la « der des der », que le monde s’organiserait dans le cadre d’institutions internationales, la Société des Nations, pour assurer la paix. Or, depuis son arrivée au pouvoir, le locataire de la Maison Blanche n’a eu de cesse de saboter les Nations unies, de se retirer de certaines de ses institutions ou de les « dé-financer ». Il s’est distingué par son obsession de sortir d’accords internationaux, que ce soit sur le changement climatique, le désarmement nucléaire ou le commerce, qu’il considère comme contraires aux intérêts des Etats-Unis.
L’année prochaine, lors des commémorations des 75 ans de la Libération de l’Europe, le président américain marchera aussi à contre-temps. La Seconde Guerre mondiale avait été menée au nom des Quatre libertés (d’expression, de religion, de vivre à l’abri du besoin et de la peur ) énoncées par le président Roosevelt. Or, sur ces principes essentiels qui définissaient ce que les Américains avaient appelé la « Bonne Guerre », Donald Trump est constamment pris en défaut. Il ferraille contre la liberté de la presse, cible les musulmans et détricote le système, déjà très précaire, de solidarité sociale. Ses discours et ses tweets attisent les peurs de ses partisans « pour que la peur change de camp ».
A l’Arc de Triomphe, entre Angela Merkel et Emmanuel Macron, Donald Trump sera un intrus parce qu’il combat aussi l’autre grande idée qui émergea de ces deux funestes guerres mondiales: la construction européenne, celle dont rêva Stefan Zweig dans son discours de 1934 sur l’unification de l’Europe, celle du Manifeste de Ventotene pour une Europe libre et unie, que lancèrent Altiero Spinelli et Ernesto Rossi en 1941, alors qu’ils étaient les otages de l’Etat fasciste italien.
Cette idée fut soutenue par les élites libérales américaines. Elle le fut même par l’Establishment républicain et…par la CIA, qui appuyèrent en 1948 la création du Mouvement européen, incubateur des initiatives d’intégration du Vieux Continent . Or, Donald Trump affiche clairement sa détestation de l’Union européenne. Il a applaudi au Brexit et reçu dans sa tour new-yorkaise Nigel Farage. Son ancien chef de campagne, Steve Bannon, s’est même donné pour mission de faire exploser l’Union européenne et la démocratie libérale au bénéfice des nationalismes et des populismes qui nous renvoient aux années 30.
Donald Trump aura sans doute du mal, le 11 novembre, à garder son calme. Il avait voulu organiser une parade militaire à Washington. Il ne se rendra pas finalement au Forum de la Paix à Paris, inauguré par trois personnes dont tout le sépare: Emmanuel Macron, la chancelière Angela Merkel et le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, par ailleurs ex-directeur du Haut Commissariat aux réfugiés. Il aurait sans doute préféré s’offrir une partie de golf sur le prestigieux terrain de Saint-Cloud, dessiné par le paysagiste Harry Shapland Colt. Le green ne se trouve qu’à 10 kilomètres de l’Arc de Triomphe. Il offre, dit-on, « une vue unique sur la Tour Eiffel ».
Note: cette chronique a été publiée jeudi 8 novembre sur le site du Soir+ et le vendredi 9 dans la version papier (dont la distribution aux abonnés a été entravée par une grève de la poste).
Pour plus d’informations sur ce sujet des relations entre Trump et l’Europe, je vous conseille la série du journal Le Monde, sous la plume de Sylvie Kauffmann, Europe/Etats-Unis: scènes de ménage à la table de l’oncle Sam