Marion en Amérique. Une certaine idée de la France…

La présence de Marion Maréchal-Le Pen au congrès annuel du Comité conservateur d’action politique (CPAC), la semaine dernière à National Harbor, près de Washington, a sans doute surpris les membres les plus « franchouillards » du Front national. L’anti-américanisme ne fait-il pas partie de l’ADN de l’extrême droite française? L’hostilité au capitalisme et à l’impérialisme anglo-saxons, le rejet du libéralisme politique et de la culture de masse hollywoodienne, les fantasmes sur le « lobby juif » new-yorkais, ont traditionnellement alimenté les cercles ultras de l’Hexagone, des nostalgiques de Pétain aux groupes identitaires et aux catholiques intégristes.
Ces dernières années, c’est la Russie de Vladimir Poutine et le « néo-eurasisme » d’Alexandre Douguine qui semblaient attirer le Front national. Ainsi, en novembre 2016, lors d’un voyage de Marion Maréchal-Le Pen à Moscou, le magazine L’Express titrait sur la « russophilie » de la nièce de Marine. « Invitée par l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou (MGIMO), l’élue varoise a vanté le “destin commun” de la France et de la Russie et longuement décliné les positions pro-russes de son parti, critiquant le “rôle délétère” de l’Otan et de l’UE dans le conflit ukrainien, écrivait l’hebdomadaire. Elle a célébré la Russie comme un « partenaire incontournable », qui a su « défendre ses racines » face à “l’uniformisation du monde” et au « multiculturalisme ».
A National Harbor, Marion Maréchal-Le Pen s’est décentrée par rapport à cet héritage, car l’élection du « national-populiste » Donald Trump a, dans une certaine mesure, changé la donne. La petite fille de Jean-Marie Le Pen est venue en Amérique jouer son rôle, pro-Trump, dans le grand jeu de la recomposition idéologique de la droite américaine. «Je veux l’Amérique d’abord pour le peuple américain, je veux la Grande-Bretagne d’abord pour le peuple britannique et je veux la France d’abord pour le peuple français », s’est exclamée l’ex-députée FN. Un écho presque mot pour mot du discours de Donald Trump en septembre dernier à l’ONU: «Comme Président des Etats-Unis, je mettrai toujours l’Amérique d’abord, juste comme vous, vous mettrez toujours vos pays d’abord », avait-il déclaré à l’adresse des dirigeants du monde entier.
C’est essentiellement sur les terrains du souverainisme, de l’identité et de l’hostilité à l’islam que s’est effectuée la visite de Marion Maréchal Le Pen. Elle a surfé sur la critique de la mondialisation libérale et de l’Union européenne, qui galvanise les sympathisants de Donald Trump, et sur la peur de l’actuelle majorité blanche, « caucasienne », d’être mise en minorité par la poussée démographique d’autres communautés ethniques et, en particulier, des Hispaniques. « Tout ce que je veux, c’est la survie de ma nation », a clamé Marion Maréchal-Le Pen, en visant, elle, la communauté musulmane. « Après 40 ans d’immigration massive, de lobbyisme islamique et de politiquement correct, la France est en train de passer de fille aînée de l’Eglise à petite nièce de l’islam », a-t-elle ajouté. Une phrase qui l’a mise en phase avec les idéologues et porte-flingues du« contre-djihadisme», très influents au sein du néo-conservatisme et de l’Alt-Right (le nom plus « respectable » que s’est donné l’extrême droite américaine).
Dans ces milieux sulfureux, une certaine France a clairement la cote, comme le révélait début décembre l’hebdomadaire libéral The New Yorker dans un long article consacré aux « origines françaises du cri de ralliement des suprémacistes blancs ». L’auteur, Thomas Chatterton Williams, y décrivait l’influence d’une coterie de maîtres-penseurs français au sein de la « fachosphère » américaine. Parmi eux, Alain de Benoist, fondateur du Groupe de recherche et d’études pour la Civilisation européenne, incubateur de ce qu’on appela dans les années 1970 la Nouvelle Droite. « Benoist prétend ne pas être affilié à l’Alt-Right, écrivait-il, mais il s’est rendu à Washington pour parler au National Policy Institute, un groupe nationaliste blanc dirigé par Richard Spencer. Et il a accordé de longues interviews à Jared Taylor, le fondateur du magazine virulemment suprémaciste blanc, American Renaissance ».
Le journaliste citait longuement aussi Renaud Camus, dont la thèse du « grand remplacement » démographique, qui brandit le spectre de la domination, à terme, de la France par des peuples non-européens, fait flores au sein de la droite extrême américaine. Ce « remplacisme » y est même appliqué par certains ultras…aux Juifs, accusés d’être les artisans du multiculturalisme et du « génocide blanc ». « Jews will not replace us » scandaient les néo-nazis lors des manifestations de l’été dernier à Charlottesville, dans l’Etat de Virginie.
Ces interactions entre les droites américaine et française ne sont pas neuves. Ainsi, dans une article de la revue The New Republic sur le voyage en Amérique de Marion Maréchal-Le Pen, Jeet Heer rappelait l’attirance, dans les années 1950-60, d’une certaine droite américaine pour le national-catholicisme français, avatar du franquisme, qui était particulièrement en vogue parmi les ultras de l’Algérie française.
Dans ces va-et-vient de « l’internationale réactionnaire », comme l’appelle Jeet Heer, on est loin, très loin, de la « Liberté éclairant le monde ». La célèbre statue qui s’élève sur Liberty Island au sud de Manhattan avait été offerte en 1886 par la France à l’Amérique, symbole d’une relation transatlantique fondée sur la démocratie, le progrès et la liberté. A chacun son Amérique. A chacun son « idée de la France ».

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