En novembre 2016, 81% des électeurs évangéliques blancs ont choisi Donald Trump. Un an plus tard, même si sa popularité a chuté au sein de cette communauté de foi, les « born again » constituent encore un noyau dur de son électorat. 35% des Républicains sont membres d’Eglises évangéliques blanches, comme la Convention baptiste du Sud.
Cet appui apparaît, à première vue, paradoxal. Depuis des décennies, depuis surtout ces années 1930, où une « autre Amérique » se mit en mouvement, autour du New Deal de Franklin Roosevelt et du mouvement pour les droits civiques, les évangéliques blancs n’ont eu de cesse de condamner les « moeurs dissolues » des politiciens, libéraux et libertins, de Washington. C’est de leurs rangs qu’émergea, lors des années 1980, la Majorité morale, qui fit de la dénonciation de « l’Amérique pécheresse » l’un de ses combats les plus enfiévrés. C’est parmi eux que le président Bill Clinton, empêtré dans l’affaire Monica Lewinsky, trouva ses détracteurs les plus enflammés.
Tous les évangéliques blancs ne sont pas ultra-conservateurs. Tous, même ceux qui ont voté pour Donald Trump, n’approuvent pas ses frasques passées ni certaines de ses politiques présentes. Mais des dirigeants influents de cette constellation de dénominations religieuses ont mis les wagons en cercle autour de sa présidence assiégée.
« Il mérite une deuxième chance », s’est exclamé Tony Perkins, président du très conservateur Family Research Council, alors que le tout Washington bruissait de rumeurs sur « l’affaire », il y a quelques années, de Donald Trump avec la star du porno Stormy Daniels. « Que je sache, il n’a pas avoué cette relation, s’est défendu Franklin Graham, le patron de la Billy Graham Evangelistic Association, avant de rappeler que Trump « n’est pas le President Perfect », mais qu’il se préoccupe, aux Etats-Unis et ailleurs, de protéger la chrétienté.
Comment expliquer cette miséricorde à l’égard d’un homme politique qui contredit les valeurs de piété et de moralité dont les évangéliques blancs aiment se réclamer? « Parce qu’ils sont blancs avant d’être évangéliques », répond Jim Wallis, ancien conseiller spirituel de Barack Obama et fondateur des Sojourners, une communauté évangélique « progressiste ». Parce que le racisme, suggèrent certains commentateurs, n’est jamais loin dans cette« ceinture de la Bible », qui n’a pas vraiment accepté l’émancipation des Noirs et craint la montée en puissance démographique et politique d’Hispaniques majoritairement catholiques.
Opportunismes
Sous Barack Obama, les évangéliques blancs faisaient de la vie privée des politiciens un marqueur essentiel. Aujourd’hui, sous Donald Trump, une majorité d’entre eux dit ne pas s’en soucier. Hypocrisie? Opportunisme, explique le chroniqueur évangélique Michael Gerson, ex-conseiller de George W. Bush. « La droite religieuse est devenue un groupe d’intérêts qui cherche à tirer avantage de son homme fort. Ses prophètes sont devenus des clients, ses prêtres des acolytes. Ces évangéliques de cour participent à la dérégulation morale de la vie politique ».
« Il a tenu ses promesses plus que tous les autres présidents que j’ai connus », riposte le leader évangélique Tony Perkins. Et, de fait, Donald Trump a nommé à la Cour suprême Neil Gorsuch, un juge épiscopalien, ultra-conservateur et « pro-life ». Il a supprimé le financement des ONG internationales qui « promeuvent l’avortement ». Il s’en est pris à la grande presse libérale, accusée de saper la morale traditionnelle de l’Amérique. Et il a décidé de déplacer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jerusalem, exprimant ainsi son appui, right or wrong, au gouvernement conservateur israélien, dont les évangéliques blancs, chrétiens sionistes, sont les plus fidèles soutiens, plus d’ailleurs que la communauté juive, majoritairement « libérale », démocrate et favorable à une solution équitable du conflit israélo-palestinien.
Le Président ravit également les évangéliques blancs en raison de son approche matérialiste de la religion. Né presbytérien, Donald Trump a fréquenté la Marble Collegiate Church de New York, une Eglise qui se réclame de l’Evangile de la Prospérité. Son fondateur, Norman Vincent Peale, décédé en 1993, y a développé une « spiritualité de la réussite », en phase avec l’histoire personnelle du milliardaire new-yorkais. En phase, comme le raconte Frances FitzGerald dans son monumental essai, The Evangelicals (2017), avec une tradition qui célèbre, de manière quasi « intégriste », l’initiative individuelle et le libre marché et rejette, comme une perversion, l’idée, même minimaliste, d’un Etat (qui se prend pour la )Providence.
Auteure d’une des études les plus pénétrantes du « paradoxe évangélique », Molly Worthen ajoute une autre dimension à cette relation symbiotique entre une majorité d’évangéliques blancs et le milliardaire new-yorkais: l’autoritarisme. « Son machisme autoritaire est dans le droit fil d’une longue tradition évangélique de super-pasteurs, qui s’accordent le pouvoir d’édicter leurs propres règles et qui, lorsqu’il s’agit de leur défaillances morales occasionnelles, assurent leurs fidèles que Dieu pardonne toujours », écrit-elle dans The Atlantic.
Selon le Pew Research Center, 25% des Américains seraient évangéliques, mais selon le Public Religion Research Institute, les évangéliques blancs, qui représentaient 23% de la population en 2006, seraient tombés à 17% en 2016. Seuls 8% des jeunes de 18 à 29 ans s’en réclameraient encore. Donald Trump apparaît ainsi comme le Messie d’une Amérique blanche, âgée, conservatrice, qui rêve d’un passé de grandeur, en fait de domination, dépassé.