Dimanche soir, lorsque le nom du candidat d’En Marche! est apparu sur les écrans de télévision, les tweets diffusés par les « droits-de-l’hommistes » n’ont laissé aucun doute sur leur « parti pris ». « Macron a vaincu de manière décisive, en défendant des valeurs de liberté et en refusant de copier l’extrême droite », a réagi Kenneth Roth, le directeur de Human Rights Watch. « Nous sommes soulagés, a déclaré Dimitris Christopoulos, président de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme), en prévenant toutefois que « sans s’attaquer à ce qui le nourrit, l’accident fasciste avec lequel la France flirte depuis 15 ans restera un risque ».
L’issue de cette élection rompt, en tout cas, avec une cascade de mauvaise nouvelles pour le mouvement des droits de l’homme. Le règne de Vladimir Poutine, le raidissement de la Chine, les satrapies d’Afrique et d’Asie centrale, dessinent une carte inquiétante des libertés. La guerre civile en Syrie, les attaques de groupes se réclamant de l’Etat islamique en Irak, en Afrique, en Europe, ou encore les violences des gangs criminels au Mexique, y ajoutent des taches rouges de barbarie. Et que dire de la dérive autoritaire en Turquie? Ou de l’Egypte, suffoquant sous le joug du maréchal Sissi, à des années lumière des espoirs suscités par les jeunes rebelles de la place Tahrir?
Dans cette ambiance plombée, la victoire inattendue de Donald Trump, en novembre dernier, a eu l’effet d’un coup de massue. Le mouvement des droits de l’Homme, qui s’estimait déjà déçu par Barack Obama, se retrouve face à un Président qui, au nom de « L’Amérique d’abord », rompt avec l’internationalisme libéral qui inspirait son prédécesseur démocrate. Le 3 mai, le secrétaire d’Etat Rex Tillerson a confirmé que les droits humains seraient subordonnés aux intérêts économiques et stratégiques des Etats-Unis. Rideau sur la doctrine des droits de l’homme proclamée par le président Jimmy Carter dans son célèbre discours de l’Université Notre Dame en mai 1977.
Habituées à compter peu ou prou sur les grandes démocraties occidentales, les associations des droits humains en sont réduites à s’appuyer sur le Canada du libéral Justin Trudeau et sur l’Union européenne, dont la doctrine de politique étrangère fait officiellement des droits humains « le fil rouge » de ses relations internationales. Officiellement, car l’UE se dérobe souvent, lorsqu’il s’agit de tenir tête à des gouvernements, la Turquie, la Chine ou l’Arabie saoudite, qui la soumettent au chantage à l’immigration ou aux « contrats du siècle ».
L’élection d’Emmanuel Macron apporte dès lors une lueur d’espoir dans le clair obscur où évoluent les ONG. Dans ses réponses aux questionnaires que lui avaient envoyés Amnesty International et Human Rights Watch, le candidat s’est engagé pour une politique intérieure et extérieure respectueuse des droits de l’Homme. A la manière d’Angela Merkel, qui, par monts et par vaux, a tenté de fonder sa diplomatie sur les fameuses valeurs européennes. Mais il l’a fait « réalistement », en tenant compte des enjeux et des risques qui, inévitablement, contraignent tout chef d’Etat, aussi libéral soit-il.
Emmanuel Macron a plaidé en particulier pour la justice internationale et pour un « traitement digne des demandeurs d’asile », mais il s’est montré prudent, se gardant, par exemple, de promettre la levée immédiate de l’Etat d’urgence ou d’exiger le départ de Bachar al-Assad, avec lequel il n’imagine toutefois aucun accommodement, comme préalable à des négociations de paix.
Le réalisme éthique?
Face aux fureurs identitaires, au terrorisme et au bras de fer entre les grandes puissances, la conception classique, amorale, de la Realpolitik semble tout naturellement s’imposer. Dans quelle mesure des leaders démocratiques peuvent-ils défendre des « valeurs », sans affaiblir la capacité de leurs pays à évoluer dans un monde de brutes?
« Emmanuel Macron est clair dans son engagement pour la liberté, l’égalité et la fraternité, mais comment peut-il le traduire en actes? » s’est interrogé le directeur d’Amnesty International, Salil Shetty, lundi dernier. La question est essentielle. Emmanuel Macron a montré au cours de sa campagne qu’il prenait le monde tel qu’il est: global, imbriqué, complexe. Le souverainisme, défini comme un rejet du multilatéralisme, lui apparaît comme une dangereuse illusion. Tôt ou tard, en effet, les violations massives des droits de l’homme débordent des pays où elles sévissent, que ce soit par le terrorisme, les migrations ou la criminalité transnationale.
Considère-t-il, toutefois, les droits de l’homme comme un enjeu et un atout stratégiques?
Les arbitrages seront difficiles. En politique internationale, prévenait le politologue franco-américain Stanley Hoffmann, auteur de l’essai Une Morale pour les monstres froids (Le Seuil, 1981),« la morale n’a d’efficacité que si elle se concilie avec un certain réalisme ».
Les droits de l’hommistes, qui apprécient la puissance des gestes et des symboles, espèrent au moins que, contrairement à un Trump qui félicite Erdogan et invite le shérif philippin Duterte à Washington, le président Macron osera distinguer entre ses interlocuteurs obligés, les Etats, et ceux qui, dans ces Etats, se réclament de l’universalité des droits de l’homme. Qu’il osera parler à Pékin du Prix Nobel de la Paix 2010 Liu Xiaobo, à Riyhad du blogueur Raif Badawi, à Ankara du journaliste Kadri Gursel, tous trois embastillés. Qu’il défendra tous ceux que célèbre chaque année le prestigieux Prix des droits de l’homme de la République française…