Ils se valent? Le refus de Jean-Luc Mélenchon, dimanche soir, d’appeler clairement et directement à un front républicain contre le Front national, l’a exposé à l’accusation boomerang que les populistes, qu’ils soient de gauche ou de droite, eux aussi « se valent ». Mercredi, le porte parole de la France insoumise a un peu corrigé le cap, proclamant que « pas une voix ne doit aller au FN ». Mais le malaise persiste, car peut-on réellement écarter le risque d’une victoire de Marine Le Pen sans prôner de voter pour son rival?
L’Eglise catholique se trouve devant le « même dangereux non-choix », notait Vincent Jauvert dans l’hebdomadaire L’Obs, amenant l’éditorialiste du quotidien La Croix à déplorer « le silence relatif de l’Eglise » et à rappeler « l’opposition fondamentale du christianisme aux thèses du Front national ».
Le manque de discernement a été une constante de l’histoire politique. Comparaison n’est pas raison, mais ce confusionnisme avait conduit le Parti communiste allemand dans les années 1930 à faire du Parti social-démocrate son ennemi principal. Il avait amené le Zentrum, le parti catholique, à accorder son appui à Hitler.
Parfois, il est vrai, deux candidats peuvent être qualifiés de « blanc bonnet et bonnet blanc », comme le fit en 1969 le candidat communiste, le truculent et stalinien Jacques Duclos, à propos du centriste Alain Poher et du gaulliste Georges Pompidou. Et encore! Il y a des nuances entre les personnes, leurs programmes, leurs origines, leurs attachements et leurs allégeances, qui inciteraient plutôt à s’abstenir de clamer avec autant d’aplomb : « tous pareils ». Pierre Mendès-France n’était pas Michel Rocard, qui n’était pas Lionel Jospin, qui n’était pas Manuel Valls, qui n’est pas Emmanuel Macron. Le diable se trouve dans les détails, la sagacité des choix politiques aussi.
La déception des partisans de Mélenchon est compréhensible. La philosophie et les appuis politiques d’Emmanuel Macron sont à mille lieues des thèses et des slogans de la France insoumise. L’ancien ministre de François Hollande n’est même pas un social-démocrate à l’allemande. Il incarne une forme de libéralisme qui le rapproche du canadien Justin Trudeau, de Barack Obama, voire de Guy Verhostadt. Pro-mondialisation, pro-libéralisation, pro-européisation, pro-immigration: Emmanuel Macron n’a rien, en effet, d’un Hugo Chavez hexagonal.
Mais il n’a rien non plus d’un Pétain. Et c’est ce qui devrait remettre les pendules à l’heure. Benoit Hamon, en dépit de sa cuisante défaite, a immédiatement pris position, prononçant, soit dit en passant, l’un des meilleurs discours de la soirée électorale, l’un des plus dignes aussi. La droite républicaine a également, parfois en grommelant, le cordon sanitaire, s’inscrivant ainsi, après une calamiteuse campagne Fillon, dans la tradition du « conservatisme respectable », contre le national-populisme de Marine Le Pen.
Le risque que des partisans de Mélenchon choisissent le Front national n’est pas exclu ni dérisoire. Les Frontistes l’ont compris. Un tableau circule sur les réseaux sociaux qui établit les convergences entre le programme économique et social de Marine Le Pen et celui de la France insoumise. Aux Etats-Unis, en dépit des appels à voter utile, certains sympathisants de Bernie Sanders ont fini par accorder leur vote à Donald Trump, parce qu’ils ne supportaient pas « l’élitiste Hillary Clinton » ou parce qu’ils étaient persuadés que le « matamore de Manhattan » ne pourrait en aucun cas l’emporter.
La porosité des populismes
L’histoire confirme ce risque de transfert des voix entre les extrêmes. Une partie significative des électeurs de Marine Le Pen sont d’anciens communistes qui ont fait du FN « le premier parti ouvrier de France ». Au Royaume-Uni, une partie des bastions ouvriers ont voté pour le Brexit, préférant les bobards de Nigel Farage aux consignes, ambiguës, du Parti travailliste. La porosité entre les partis populistes, entre leurs électorats, leurs idéologues et leurs dirigeants, n’a rien pas d’exceptionnel. De Paris à Caracas, le « nationalisme révolutionnaire » a toujours eu le don d’affoler la girouette des extrêmes.
Résumons: le choix auquel est confronté le France insoumise apparaît évident, même si, pour ses militants, il n’est pas réjouissant. Dans le contexte actuel de volatilité des opinions, du « tout est possible », du «Plus rien à faire, plus rien à foutre »(titre d’un essai chez Robert Laffont), comme l’écrit Brice Teinturier, l’abstention n’est pas une option. Elle serait un acte d’irresponsabilité.
Les Mélenchonistes seraient bien avisés de ne pas jouer à la roulette russe, car ils seraient les premiers sans doute à subir les foudres d’un Front national au pouvoir. A certains moments, le « discours de classe » doit faire une pause pour embrasser les valeurs les plus fondamentales d’une démocratie de « liberté, d’égalité et fraternité ».
Il y aura un troisième tour, social celui-là, au second tour électoral. Son enjeu sera de réformer le pays, en gardant à l’esprit l’impératif d’enlever à l’extrême droite la prétention d’incarner la France qui souffre. En d’autres termes, il faudra cette fois affronter sérieusement la question sociale. Afin que le nouveau chef de l’Etat ne soit pas tenté de poursuive, comme si rien ne s’était passé, des politiques qui, par leur morgue sociétale et leur indifférence sociale, ont contribué à l’état de ruines dans lequel se retrouve aujourd’hui le paysage politique français. Appeler à voter Macron, même tactiquement, donnerait une légitimité accrue à la gauche radicale, lorsqu’elle s’opposera, stratégiquement, au Président Macron.