Pierre Barouh: “comme un musicien sans la mi sol”

Pierre Barouh est mort. Et les stations de radio, qui furent, lors des Sixties, « le » média de choix des teenagers, actuels sexagénaires, nous ont offert des Daba daba nostalgiques. Un Homme et une Femme. Le romantisme au rythme de la samba. Une époque où l’espoir était… enfants admis.
A l’annonce de son décès, je me suis souvenu d’un très beau reportage « On s’aimait tant à Santiago », diffusé en 1988 dans l’émission de Noël Mamère, Résistance, sur France 2. Il avait été réalisé par Pierre Barouh et Frédéric Laffont. J’étais alors à Santiago, envoyé spécial du journal Le Soir, pour  couvrir le plébiscite organisé par le général Pinochet pour « légaliser » son coup d’Etat de 1973 et  pérenniser son règne.
Les deux cinéastes accompagnaient un exilé chilien, le dramaturge Oscar Castro, fondateur du célèbre théâtre d’Aleph, qui, pour la première fois depuis le putsch, avait eu l’autorisation de revenir au Chili. On le voit qui retrouve son pays et ses amis. Et qui cherche sa mère, disparue, dans les camps de la dictature. Les images défilent. Des abrazos fraternels, des larmes pudiquement écrasées. Des histoires de répression et de résistance.
Entre des visites au siège de l’hebdomadaire de gauche Analisis et à la prison de Santiago, où son directeur, Juan Pablo Cardenas, se rendait chaque nuit pour purger une peine d’insulte aux forces armées, entre les manifestations et les conférences, entre les diners aux fruits de mer et les visites dans les poblaciones (quartiers populaires), j’eus l’occasion à plusieurs reprises de croiser Pierre Barouh et même, d’assister, un soir, à un concert impromptu dans une salle remplie de militants de l’opposition démocratique.
1988! C’était l’époque de la fin des dictatures, de l’implosion de l’Union soviétique, le triomphe, que l’on disait définitif, des “anti-totalitaires”. Augusto Pinochet, en dépit de la répression, perdit son plébiscite. Le No lui botta les fesses et, un an plus tard, le démocrate chrétien Patricio Aylwin, l’emporta à l’issue d’une élection historique qui ferma la parenthèse du gouvernement militaire, sans la vider totalement de ses scories autoritaires.
Pierre Elie Barouh, cet enfant juif qui échappa aux Nazis caché en Vendée, qui, très tôt, se métissa de culture portugaise et brésilienne, ne nous berçait pas seulement de merveilleux rythmes tropicaux. Il fredonnait aussi des rêves de solidarité et de liberté qui, aujourd’hui, paraissent incongrus, tant l’homme, comme il le chantait, semble « perdu comme un tournesol sans soleil, comme un marin sans sa boussole, un musicien sans la mi sol ».
Et pourtant, quand on regarde ce film et cet homme massif, au sourire chaleureux, à la voix émouvante, comment pourrait-on se résigner au désespoir? Pierre Barouh est mort, mais il continue à marcher dans cette ville de Santiago, qui, en novembre 1988, sortait peu à peu de l’entre chien et loup de la dictature. Pour que nous chantions, librement, Daba daba daba daba…

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Une réponse à Pierre Barouh: “comme un musicien sans la mi sol”

  1. Alain Rançon dit :

    Ceux qui ont eu la chance du partage avec Pierre Barouh savent que ce n’est pas seulement un ami qui est trop tôt parti sur l’autre rive. Pierre était aussi un grand humaniste aux qualités rares et d’une générosité enjouée. Il a certainement consacré plus de temps au talent des autres qu’au sien. En 35 ans d’amitié, je ne l’ai pas une fois entendu dire du mal de quelqu’un….. Plus qu’un poète talentueux, dont l’art traversera et traverse déjà les générations, Pierre restait attentif à ce et à ceux qui l’entouraient, avec bienveillance, intelligence, courtoisie. Il faut s’inspirer de ce qu’il nous lègue : ses messages sont immortels, vrais, fondés, réfléchis, profonds…car il est également un homme de grande culture. Et nous en avons tant besoin ! Sensible à la nature, au respect et à la beauté du Monde, son regard sans frontières était un hymne à la rencontre et au partage. Saravah ! merci de tous tes cadeaux très cher Pierre !

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