Les journalistes? « Des voyous », « des malhonnêtes ». Lors des meetings de Donald Trump, les insultes contre « les médias » ont volé comme des soucoupes souillées dans un jeu de brise-vaisselle. Et des sympathisants exaltés du matamore républicain ont hué les « pressetituées ». « L’animosité contre la presse a été au centre de sa campagne », dénonçait le rédacteur en chef du Washington Post, le très posé Martin Baron. Sacré président-élu, le milliardaire a persisté à stigmatiser “les” médias, hésitant pas à convoquer dans sa tour de la 5ème Avenue les patrons des grandes chaînes de télévision pour les sermonner, alors qu’il doit en grande partie son élection à la couverture gargantuesque de ses coups de théâtre et de ses coups de menton.
Donald Trump est persuadé qu’il ne risque rien, car la grande presse n’a pas bonne presse aux Etats-Unis. Seuls 34% des Américains lui feraient confiance pour informer honnêtement sur les questions d’intérêt public, une chute de 20% par rapport à l’année 2000. Les critiques les plus rudes viennent de la droite populiste. Depuis des années, celle-ci attaque au lance-flammes la presse « élitiste» pour imposer ses leurres et ses rumeurs à un électorat qui, souvent, préfère ses préjugés et ses émotions aux vérités incommodes. La gauche n’est pas en reste, même si elle se garde généralement de recourir à la vocifération et à l’insulte. Pour elle, comme d’ailleurs pour Bernie Sanders, l’ex-candidat « socialiste » du Parti démocrate, les corporate media « roulent » généralement pour les grandes entreprises, l’Establishment politique et l’Empire…
La presse américaine ne peut s’exempter d’un « media culpa ». Depuis sa naissance à l’aube de la République, elle a régulièrement donné du grain à moudre à ceux qui adorent la haïr. Le sensationnalisme, la frivolité et le chauvinisme ont accompagné son histoire, de la penny press d’hier à la télé-poubelle d’aujourd’hui. Les médias les plus sérieux ont eux aussi claudiqué, même l’auguste New York Times. Comme en 2003, à la veille de l’invasion de l’Irak. (Nda: le journal s’en expliqua dans ce désormais célèbre article From the Editors, The Times and Iraq)
Des citoyens s’engagent
Et pourtant, depuis la victoire de Donald Trump, ce désamour entre le public et la presse est contredit par les chiffres et les faits. Fin novembre, le New York Times a annoncé 132.000 nouveaux abonnés. Les donations affluent dans les rédactions qui défendent un journalisme d’intérêt public, à l’exemple du site d’investigation ProPublica, ou qui sont entrés « en résistance », comme le doyen des hebdomadaires américains, l’inoxydable The Nation, ou le vénérable The Atlantic Monthly.
Une partie du public américain a compris que Donald Trump menace directement la liberté de la presse. Sa campagne ne vise pas les médias populistes, qui ont préparé sa venue en courtisant l’ignorance et la vilenie du public, mais les journalistes qui, au nom du Premier amendement de la Constitution, revendiquent leur fonction de vigilance et de contre-pouvoir.
Une certaine Amérique, attachée à l’état de droit et à la décence politique, se souvient aussi qu’à des moments cruciaux de l’histoire, des journalistes ont été parmi les garants les plus tenaces du système démocratique et de l’intégrité morale de la nation, en résistant à la morgue du pouvoir, mais aussi aux foucades de l’opinion. Lorsqu’un pays s’égare, l’impopularité de la presse est parfois la sanction de son indépendance et de son excellence.
Lorsque le sénateur républicain Joe McCarthy surfa sur la « peur des rouges », au début de la Guerre froide, et s’engagea dans sa « chasse aux sorcières », Ed Murrow, le célèbre présentateur de CBS News, siffla la fin de la partie, en exposant les excès du prétendu justicier (Un fait décrit dans le film Good Night, and Good Luck de George Clooney). Lorsque, dans les années 1960, l’Amérique s’enfonça dans la guerre du Vietnam « sur base de fausses prémisses et de fausses promesses », une poignée de journalistes, de David Halberstam à Walter Cronkite, dont les noms figurent aujourd’hui au fronton des plus grandes universités américaines, osèrent affronter les généraux et les présidents. Lorsque Richard Nixon se mit à violer la loi, deux petits reporters du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, révélèrent le scandale du Watergate et sauvèrent l’Amérique de l’emprise paranoïaque des « hommes du Président ».
Au nom de l’intérêt public
La perspective d’une présidence Trump, avec ses risques d’abus de pouvoir, de conflits d’intérêts et d’aventurisme, renvoie à ces moments clés de l’histoire américaine. L’essor, autour du futur président, de sites d’information vandales et de médias sociaux pitbulls rend plus nécessaire que jamais l’affirmation d’un journalisme rigoureux, indépendant, rationnel et attaché à cette philosophie de l’intérêt public que la prestigieuse Commission Hutchins avait consacrée en 1947 dans son rapport sur une « Presse libre et responsable ».
« Demander des comptes aux plus puissants, c’est ce que nous sommes censés faire », déclarait Martin Baron, fin novembre (Comme le rappelle le film Spotlight qui le met en scène, alors qu’il dirigeait le Boston Globe). C’est dans cet esprit que plusieurs médias, dont le New York Times et Politico, ont renforcé leurs équipes chargées de couvrir la Maison Blanche. Sans doute en se rappelant la phrase de l’impertinent Izzy Stone: « tous les gouvernements mentent, mais le désastre guette les pays dont les responsables fument le hachich qu’ils distribuent à leur peuple ».
L’exercice risque d’être rude, car c’est une administration inquiétante, vindicative et imprévisible qui s’apprête à diriger un pays tourmenté, mais qui reste la plus grande puissance mondiale. L’engagement des journalistes américains à informer, « à dire la vérité et faire honte au diable »(Tell the truth and shame the devil), comme disait Walter Lippmann, sera crucial pour l’Amérique, mais aussi pour le reste du monde.
Tout ça est très bien dit, mais ça exonère la « grande » presse généraliste de ses travers : le fameux « putaclic » destiné à trumper ses annonceurs. Ce clic sournois qui consiste à laisser la parole au public, lequel public ne le mérite pas souvent, mais a le mérite de faire tourner le compteur des vues et dont la liberté d’expression s’accorde très bien des vues des modérateurs, comme lui un peu bas-de-plafond-réac’s, pour ne pas dire beauf’s à chaud.
Alors, OK, il est salutaire de se remettre les idées en ordre, surtout quand Le Soir a passé la campagne de Donald à la faire, rapportant chacun de ses tweets afin d’exacerber les réactions et commentaires.
Finalement, Le Soir qui héberge le blog de Jean-Paul Marthoz (ou J-P. M. se faisant héberger par Le Soir), c’est un peu l’histoire du beurre, de la crémière et du cul de celle-ci. Une histoire qui forcément pue un peu, mais qui se drape sous le grand-nom de l’information et se gargarise de contre-pouvoir, en niant totalement la responsabilité de sa collaboration.
Pour parler d’autre chose sans quitter les trumperies, vous avez remarqué comme Trump en rejetant le TTIP de Obama, a fait du bien à la COP21 ? Ben oui, remettre le commerce transatlantique aux calendes grecques, ça fait énormément de bien à l’empreinte énergétique des échanges.
Tout n’est peut-être pas à jeter chez ce garçon.