La nouvelle guerre froide et ses barbouzes de l’info

Alors que des avions russes s’amusent à frôler l’espace aérien de l’OTAN, alors que le Kremlin impose son jeu mortifère en Syrie et parle de réinstaller des bases militaires au Vietnam et à Cuba, une autre guerre fait rage. Non conventionnelle, « hybride », comme le disent les experts, elle se livre entre chaînes de télévision globales, agences de presse et centres d’études, mais aussi sur Internet et les réseaux sociaux. Et sur ce terrain, comme sur les fronts d’Ukraine et du Moyen-Orient, Moscou a l’initiative.
Le retournement de situation est impressionnant. Après l’implosion de l’URSS au début des années 1990, les milieux nationalistes russes s’étaient indignés de l’invasion des ONG, des fondations et des think tanks américains sur le marché de l’information et des idées à Moscou. Ils n’avaient eu de cesse de dénoncer l’agressivité des médias occidentaux, leurs « média-mensonges » et leur prétention de forger l’opinion publique globale au gré des idées et des intérêts de l’Occident.
Aujourd’hui, cet Occident « impérial, sûr de lui et dominateur”, semble désarçonné par une riposte russe qu’il n’avait guère anticipée. Vladimir Poutine a repris la main et contre-attaque. Non seulement, il a réduit considérablement l’espace que les « agents de l’étranger » s’étaient assurés en Russie, mais il a aussi mis en oeuvre une stratégie qui défie les pays occidentaux chez eux et rivalise avec eux sur la scène internationale.
Première étape, la mise au pas des médias en Russie. Des oligarques proches du Kremlin ont raflé les grands journaux et les stations de télévision. Les journalistes trublions on été sommés de rentrer dans les rangs. Même si le Kremlin nie toute implication, l’assassinat de la journaliste rebelle Anna Politkovskaia, le 7 octobre 2006 à Moscou, a clairement marqué les lignes rouges à ne pas franchir. L’espace concédé à la société civile s’est lui aussi rétréci. Les associations « dissidentes » peuvent à tout moment être accusées de « haute trahison », à l’instar de Memorial, lauréate en 2009 du Prix Sakharov du Parlement européen.

“Vu de Moscou”
Après avoir asséché les sources d’information critiques et bétonné son contrôle interne de l’opinion, le régime est passé à l’offensive sur la scène internationale. Il a musclé le réseau international de l’agence de presse officielle, Sputnik, et renforcé sa chaîne de télévision globale, RT. Même si l’ex-Russia Today n’a pas bonne presse au bar international de la presse, elle a réussi à se créer une niche dans les pays qui se méfient de l’Occident et, en Europe, dans les milieux de la vieille gauche et du national-populisme.
Les intérêts du Kremlin, comme le démontre Nicolas Hénin dans son livre La France russe (Fayard, 2016), sont également relayés par des officines qui, agissant dans l’entre chien et loup de la bataille des idées, prétendent « ré-informer » l’opinion, que ce soit sur la Crimée, le Venezuela, la Syrie ou…Donald Trump.
La guerre qui se livre sur Internet est encore plus brutale. Des « usines de trolls », comme l’a révélé une de ses anciennes employées, Lyudmila Savchuk, mènent une guérilla sans quartier, ciblant en particulier les journalistes hostiles à la politique russe. « Leur but est de détruire notre crédibilité professionnelle et de nous réduire, par la peur, au silence », déclarait une victimes de ces campagnes, la journaliste finlandaise Jessikka Aro. Des hackeurs, dont les traces mènent jusqu’en Russie, sont accusés par les Etats-Unis de mener des opérations choc, comme le piratage du site du Comité national du Parti démocrate ou la publication de courriels privés, postés sur Wikileaks, du directeur de campagne de Hillary Clinton, John Podesta.
Cette force de frappe médiatique a permis à la Russie non seulement de diffuser sa vision du monde sans le filtre des « portiers » occidentaux de l’actualité, mais aussi de brouiller les flux d’information, de propager des thèses complotistes, de jeter le trouble, que ce soit sur le vol MH17 abattu au dessus de l’Ukraine en 2014 ou les bombardements de populations civiles en Syrie.

Contre-offensive
« En face », la riposte s’est organisée: la Commission européenne a mis sur pied l’East Stratcom Task Force au sein du Service européen d’action extérieure, qui traque la désinformation russe et y répond du tac au tac. L’OTAN dispose à Riga de son Centre de communications stratégiques qui surveille en particulier la politique de la Russie à l’égard de l’Ukraine. Des instituts, comme le Centre Wilfried Martens d’études européennes à Bruxelles ou le Legatum Institute à Londres, tiennent à l’oeil la Russie et ses « Guignols de la désinfo ».
Mais comment mener efficacement cette contre-offensive? Les spécialistes occidentaux se défendent de faire de la propagande et mettent en avant leur travail de « décodage ». Mais ils paient aujourd’hui la méfiance qui pèse sur les informations des gouvernements  et des médias occidentaux. Moscou et ses compagnons de route ont beau jeu, en effet, de rappeler les « mensonges des interventions en Irak ou en Libye » et le suivisme d’une grande partie des médias occidentaux pour discréditer ceux qui, aujourd’hui à Bruxelles, s’efforcent de contrer la propagande du Kremlin.
Malgré ces piqûres de rappel, la tentation est grande, à Bruxelles et Washington, de suivre Moscou sur son propre terrain et de s’engager dans cette « tromperie universelle » que dénonçait George Orwell dans son roman,1984, paru en 1949, au tout début de la Guerre froide. Mais, comme le signalait récemment Dunja Mijatovic, la représentante de la liberté des médias à l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), “la riposte à la propagande doit se faire avec des moyens démocratiques, comme l’appui au journalisme indépendant,  au service public de radio-télévision, etc.”Les fiascos irakien et libyen démontrent, en effet, que les démocraties ont un intérêt stratégique à défendre une politique de vérité. Car celle-ci est une source essentielle de leur légitimité face à leur propre opinion et d’efficacité dans les batailles internationales de l’information.

Cet article a été publié dans la version “papier” du Soir le vendredi 14 octobre.

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3 réponses à La nouvelle guerre froide et ses barbouzes de l’info

  1. Orlow-Andersen dit :

    Article plus partial, tu meurs.
    La NSA americaine, veritable championne en la matiere,a pirate des centaines de milliers de communications dans le monde et espionne de nombreux dirigeants dont Angela Merckel!

    • jean-paulmarthoz dit :

      Merci de votre réaction. Un article ne peut traiter de tout évidemment et j’ai abordé à plusieurs reprises le rôle de la NSA dans de précédents articles (sans le comparer à celui de la Russie à l’époque). Les agissements de l’un ne peuvent servir à excuser les agissements de l’autre. La partialité se niche aussi dans cette approche “oui, mais les autres…”

  2. riva alessandro dit :

    Oui bien sûr Poutine manipule la presse. Cela n’est pas une surprise.

    La surprise serait pour beaucoup de forumeurs d’apprendre que depuis vingt ans la liberté de presse est une grosse farce aussi en Occident.

    Pse et PPe sont depuis déjà vingt ans dans le même camp. Le seul à ne pas avoir d’organes de presse sont les populistes accusés de tous les maux et de toute les déclarations choquantes réelles ou imaginaires.

    Chez nous aussi les très rares voix discordantes sont éliminées, démonisées, éradiquées abbatues si le faut. On n’en parles pas bien évidemment. C’est comme aux USA on préfère vous parler des DECLARATIONS de trump que des ACTES de Clinton qui auraient dû la conduire directement en prison.

    Trump – n’étant ni le candidat des démocrates ni celui des républicains – menaçait de secouer vigouresement le système en mettent à risque des millions de positions de rente et de profit pour les sangsues et les amis du systèmes. Ainsi il a été médiatiquement battu, rebattu et assassiné au profit d’une hillary dont le profil est encore bien plus sale que celui de trump.

    Nous faire passer Poutine pour un dingue aggressif est une autre supercherie de la presse occidentale. Poutine est un vrais Chef d’Etat qui subit (et pas le contraire) une incroyable et injustifiée aggressivité de la part de l’Occident dirigés par des nains et des filibustiers. Nous traversons une phases où la plupart des leaders occidentaux sont particulièrment nuls et malhonnêtes.
    Merkel entre tous en est l’exemple. Une criminelle sous tout point de vue qui casse l’Europe et risque de provoquer une guerre avec les russes pour empocher l’appui inconditionnel des médias et surtout celui de la gauche américaine. Une femme impliquée dans la chute de gouvernements par voie non démocratique et qui a trempé dans les pire embrouilles des corruptions
    et de traffic d’influences (affaire wolkskwagen, noyeautage de la commission etc.) Croire un seul instant que Merkel soit motivée par la générosité est faire preuve d’ignorance totale. Pourtant toute la presse rame pour elle et pour Clinton. Heureusement la crédibilité de la presse est en chute libre partout dans le monde. Et ce n’est pas fini.

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