Actualisation samedi 28 mai ! La bande des 10 n’est plus qu’à 9. Dans un revirement incroyable et bienvenu, l’Afrique du Sud a revu hier le vote négatif qu’elle avait adopté jeudi, au sein du Comité des ONG de l’ONU, à l’encontre du Comité pour la protection des journalistes, qui demandait pour la 7ème fois son statut d’observateur aux Nations Unies. Le ministère sud-africain des Affaires étrangères a évoqué une “malentendu” et s’est référé à la complication des procédures pour justifier son premier vote.
En tout cas, l’Afrique du Sud se replace fermement dans le camp des “oui”. “Le CPJ accomplit un travail remarquable et impeccable dans le domaine de la promotion et de la protection des journalistes”, note le communiqué, qui se termine par un appel à voter “oui” lors de la prochaine session de l’ECOSOC, en juillet, au cours de laquelle la candidature du CPJ sera mise au vote parmi les 54 membres, dont la Belgique. La composition de l’ECOSOC est plus large que le Comité des ONG (19 membres) et dès lors plus représentative des Etats qui défendent officiellement la liberté de la presse.
Le rejet du CPJ avait provoqué jeudi et vendredi de très nombreuses réactions de la part des groupes de défense de la liberté de la presse, comme Reporters sans frontières, la Fédération européenne des journalistes ou encore Freedom House. Plusieurs gouvernements s’étaient aussi exprimés, dont les Etats-Unis par la voix de Samantha Power, ambassadrice à l’ONU. Interrogée sur ce vote de jeudi, Mme Power avait reconnu que “lire un rapport du CPJ n’était pas nécessairement la manière la plus agréable de passer une soirée”. Elle se référait aux critiques dont les Etats-Unis étaient parfois l’objet de la part du CPJ, mais elle insistait sur la nécessité pour les membres de l’ONU de respecter un de principes les plus fondamentaux, inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Nous n’avons pas amendé le texte que nous avions publié vendredi et qui critiquait le gouvernement Zuma…
Jeudi, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) (1) s’est vu une nouvelle fois refuser son accréditation à l’ONU. Dix des 19 Etats membres de la Commission des ONG ont tout simplement dit « non ». Ils ont évoqué des questions administratives dignes de Kafka pour camoufler ce qui est en réalité une profonde hostilité à l’encontre d’une organisation qui pourrait venir renforcer le camp des défenseurs des libertés au sein, notamment, du Conseil des Droits de l’Homme. Le CPJ a introduit sa demande en 2012 et bute depuis contre une coalition d’Etats communistes, « socialistes », islamiques ou nationalistes endurcis qui n’ont pas du tout envie que l’on “protège les journalistes”.
Les noms des « non » ne surprennent guère en effet. On y retrouve l’Azerbaïdjan, le Burundi, la Chine, Cuba, le Nicaragua, le Pakistan, la Russie, le Soudan, le Venezuela, mais aussi l’Afrique du sud du président Zuma, piètre héritier de Nelson Mandela, qui lui s’était battu pour la liberté de la presse.
Le CPJ a quand même reçu 6 voix pour: la Grèce, la Guinée, Israël, la Mauritanie, les Etats-Unis et l’Uruguay. L’Inde, l’Iran et la Turquie se sont abstenus. Cette décision ne reflète donc pas, comme certains le proclament ou l’insinuent, une fracture entre l’Occident et le reste du monde. Elle démontre que la candidature du CPJ a été appuyée par des gouvernements de gauche, comme la Grèce ou l’Uruguay, et de droite, comme Israel, au Nord comme au Sud. Certains de ces pays, d’ailleurs, n’ont pas été épargnés par le regard critique de l’organisation.
La fracture au sein de ce Comité des ONG exprime l’ONG-phobie de la « bande des Dix » habitués à se faire encenser par des Gongos (government organized non governmental organizations!), c’est-à-dire par des groupes créés de toutes pièces, payés et téléguidés par les Etats. Leurs craintes et agacements prouvent tout simplement que les ONG indépendantes qui bénéficient de cette accréditation à l’ECOSOC, comme Amnesty International ou Human Rights Watch, ont fait leur travail, en embarrassant des diplomates habitués à plus de déférence de la part des Etats.
La « bande des Dix » refuse que s’y ajoute une association de journalistes qui a démontré, depuis sa création en 1981 par des journalistes « libéraux » new-yorkais, c’est-à-dire plutôt de gauche, qu’elle prenait fermement la défense de la liberté de la presse, sans peur ni faveur. Comment accepter en effet une association qui pourrait rappeler l’assassinat d’Anna Politkovskaia en 2006 à Moscou, dénoncer la chape de plomb du castrisme sur la liberté d’opinion ou la manipulation des lois contre le blasphème au Pakistan? « Une poignée de pays connus pour leur bilan déplorable en matière de liberté de la presse ont recours à des procédures bureaucratiques et à l’obstruction pour saboter ceux qui pourraient mettre en lumière leurs politiques répressives », s’est désolé Joel Simon, directeur exécutif du CPJ.
Lorsque la Belgique était membre de ce Comité, elle s’était fortement mobilisée en faveur de la reconnaissance du CPJ, mais le rapport de forces au sein du “Grand Machin”, comme l’appelait De Gaulle, penche trop souvent du côté de ceux qui considèrent la Déclaration universelle des droits de l’Homme et, en particulier, son article 19 sur la liberté d’expression, comme un « chiffon de papier ».
Ainsi, ces Etats conjurés au sein de la « bande des Dix » ne se bornent pas à réprimer la liberté d’opinion chez eux. lls imposent également leurs us et coutumes au sein d’institutions internationales, exerçant une forme d’impérialisme et d’ingérence qu’ils n’ont de cesse de dénoncer par ailleurs.
Note 1: Je suis le correspondant du CPJ pour l’Union européenne.