Les relations avec la Turquie donnent une idée de la confusion dans laquelle l’Union européenne se débat depuis des années. Qui peut comprendre la volonté de « relancer » le processus d’intégration, alors que le président Erdogan affirme clairement qu’il ne partage aucune des valeurs censées fonder le projet européen? Alors que les arrestations de journalistes se multiplient et qu’elles semblent orchestrées pour provoquer l’Union européenne et prouver le manque de principes de ses dirigeants?
En amenant l’Union à négocier dans la panique un accord migratoire bancal et, selon des ONG, illégal, Erdogan a brisé le miroir aux illusions européen. « Vos proclamations démocratiques, dit-il en substance à l’Europe, ne sont qu’une posture condamnée à se convertir en imposture sous la pression de vos peurs ou de vos intérêts ». Et c’est avec morgue qu’il assiste au spectacle de ces chefs d’Etat et de gouvernement qui s’affolent et de ces millions d’électeurs embrigadés par des partis populistes qui nient les « valeurs européennes » au nom de l’ « identité européenne ».
Mais si Erdogan a mis a nu le Vieux Continent, il s’est dévoilé totalement lui aussi, confirmant une trajectoire personnelle et politique qui n’a jamais dévié de son objectif ultime: l’instauration d’un régime « illibéral » d’inspiration musulmane en Turquie, revanche contre 90 ans de kémalisme et de laïcisme honnis.
Au début des années 2000, l’Europe a choisi l’aveuglement volontaire, engagée dans son projet irréfléchi d’élargissement, emportée par son dogmatisme économique ultra-libéral, cornaquée par le grand frère américain alors si proche d’Ankara. Mais si la droite libérale s’est trompée sur Erdogan, présenté comme un « démocrate musulman » comme il y a des « démocrates-chrétiens » belges ou allemands, une certaine gauche s’est elle aussi illusionnée. Au début des années 2000, elle a résumé la Turquie à Orhan Pamuk ou Elif Shafak, à cette brillante communauté libérale d’Istanbul, mille fois plus européenne que des millions d’Européens engoncés dans leurs nostalgies nationalistes, mais tellement minoritaire. Elle a joué sur la mauvaise conscience d’une partie de l’opinion européenne, en accusant de bigoterie chrétienne ou d’égoïsme social ceux qui exprimaient leurs doutes sur l’adhésion d’un « pays de 75 millions de musulmans ».
Les partisans de l’intégration de la Turquie ont tout simplement refusé de voir le côté sombre du Parti de la Justice et du Développement (AKP), son intolérance, l’emprise têtue d’un nationalisme turc qui, dans sa forme actuelle, n’est pas soluble au sein de l’Union. Elle a regardé ailleurs lorsque des analystes plus sceptiques prévenaient qu’Erdogan utilisait le processus d’intégration européenne, non pas pour réellement démocratiser le pays, mais pour affaiblir tous ceux qui, au sein des institutions kémalistes, de l’armée, de la justice et des médias, pouvaient contrecarrer son projet politique.
La semaine dernière, à Rome, le président Jean-Claude Juncker s’est plaint des « Européens à mi-temps », visant sans les nommer la Hongrie ou la Pologne, dont les gouvernements europhobes sont très heureux de recevoir l’argent de Bruxelles tout en refusant les obligations politiques liées à l’adhésion. Mais quel mot devrait-il inventer pour qualifier l’engagement européen d’une Turquie forgée à coups de répression et de régression par le président Erdogan?
Ces manoeuvres contribuent à décrédibiliser davantage encore l’Union européenne, car ses dirigeants sont apparus paniqués et serviles. La chancelière allemande Angela Merkel a donné des exemples désolants de cette déférence déplacée, non seulement en se rendant en Turquie peu avant les élections générales de novembre dernier, mais aussi en accordant à Erdogan le privilège d’invoquer une loi anachronique -l’insulte à l’égard de dirigeants étrangers- pour poursuivre un comédien allemand, donnant ainsi une dimension politique à une affaire qui aurait dû rester purement judiciaire.
Bien sûr, le dossier migratoire est d’une rare complexité et la Commission semble un peu plus décidée aujourd’hui à ne pas tout concéder, mais l’effet est désastreux. La relation entre l’Union européenne et la Turquie se définit uniquement par des rapports de force. Ce spectacle réjouit ceux qui rêvent, comme Nigel Farage ou Marine Le Pen, d’ implosion de l’Union. Il désespère ceux qui, envers et contre tout, s’accrochent au projet européen. Il fragilise les démocrates et les esprits libres de Turquie.
Ce gâchis ne pourra que s’aggraver si l’Union continue à évoluer entre Charybde -céder au chantage d’Erdogan- et Scylla, le rejet xénophobe d’un pays qui, en dépit de sa majorité conservatrice islamiste et kémaliste, recèle des milliers de personnes éprises de raison et de liberté et qui auraient davantage leur place en Europe que Viktor Orban ou Jaroslaw Kaczcynski.
La Turquie peut être membre de l’Europe, disait assez cyniquement Michel Rocard il y a quelques années, parce que le grand rêve européen a échoué. Il a, presque, échoué, en effet, parce qu’il a été balloté entre des élites nationales souverainistes et une caste communautaire « déterritorialisée ». Il reste peu de temps pour éviter la catastrophe et, dans cette course pour la survie, les problèmes ne peuvent se résoudre que par le haut. En accordant à une Europe, certes plus démocratique et plus responsable, les pouvoirs nécessaires, afin de répondre, sans se renier, à des défis qui, de toute évidence, ne peuvent se résoudre dignement qu’à l’échelon européen.
L’auteur
Mes livres
L'éthique de la dissidence. Morale et politique étrangère aux Etats-Unis, Editions Espace de libertés, 2011, 92 pages.
Journalisme international. Un manuel pour étudiants en master de journalisme. Publié chez De Boeck Université, Collection Info Com, 2008, 279 pages
La liberté sinon rien. Mes Amériques de Bastogne à Bagdad, 410 pages, 2008. Un périple dans le siècle américain. Une réflexion sur le rôle des droits de l'homme dans l'histoire des Etats-Unis.
Où va l'Amérique latine?, avec Olivier Dabène, Bernard Duterme etc, 128 pages, 2007.
Et Maintenant le Monde en Bref. Les Médias et le Nouveau Désordre Mondial, 324 pages, 2006
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Méta
La Turquie est un pays Asiatique et ne doit pas entrer en UE. Si elle etre un jour suite aux pressions de certains Eurocrates irresponsables, l’ U E aura des frontieres communes avec la Syrie et l’Iraq.
L’arrogance d’Erdogan qui veut changer la Constitution et devenir Sultan de la Turquie moderne n’aura plus de limites.
La peur de la Turquie fait partie de vos gênes,c’est normal,cela fait plus de 1000 ans que cette peur est installé en vous,pourtant,vous ne devriez pas avoir peur des Turcs,Les Turcs seront un jour vos sauveurs.