Comment la presse internationale a-t-elle couvert les attentats du 22 mars ? La question était au menu des Décodeurs RTBF ce matin sur La Première, avec Alain Gerlache. Nous y avons participé aux côtés de Griselda Pastor Llopart, correspondante à Bruxelles de la grande chaîne de radio espagnole SER (du groupe El Pais).
La presse internationale a-t-elle été injuste avec notre pays? Dans la presse belge, au sein des milieux politiques, sur les réseaux sociaux, au café du commerce, un certain agacement s’est exprimé, en effet, à l’encontre de médias étrangers jugés excessifs, ignares et insultants. Et dans les quartiers bruxellois projetés au coeur de l’actualité, à Molenbeek ou à Schaerbeek, de nombreux résidents n’ont guère apprécié le déferlement d’envoyés spéciaux, armés de caméras filmant à tout va ces « nids de terroristes », ce « djihadistan », ce « sanctuaire islamiste ».
Et pourtant, contrairement à cette image d’une presse internationale hostile, la première réaction le 22 mars a été l’effroi, l’indignation, la solidarité avec la Belgique. Presque partout dans le monde, les journaux ont consacré leur « une » à ces attentats, avec des titres témoignant d’un sentiment de rejet et d’horreur. Comme lors de tous les grands attentats de ces 15 dernières années, les éditoriaux ont exprimé l’empathie et la compassion. Dans la lignée du « Nous sommes tous Américains », de Jean-Marie Colombani, dans Le Monde au lendemain du 11 septembre 2001 ou du Nous sommes Paris après les attentats du 13 novembre 2015.
« Solidarité avec les gens de Bruxelles », écrivait Claudio Lomnitz dans le quotidien mexicain de gauche La Jornada, tandis que Laurent Joffrin rédigeait dans Libération l’une des plus belles odes à Bruxelles et la Belgique intitulée Le Chagrin des Belges. Une espèce de communion intense a dominé dans certains pays, comme en Espagne. « Nous avons réagi comme si c’était chez nous », a ainsi expliqué Grisalda Pastor lors de l’émission. Chez nous, oui, dans un monde de plus en plus interconnecté et « métissé », comme le soulignait un très beau texte de l’hebdomadaire uruguayen Busqueda, en racontant l’histoire de Ioan et Lucas, qui étaient à l’aéroport au moment fatidique des explosions. «Si tu regardes la télé, n’aies pas peur, Lucas et moi allons bien », écrivaient-ils dans le message de WhatsApp, adressé à leur épouse et mère, une Chilienne, qui était à la maison, au Canada. Un témoignage qui condensait des sentiments très forts de proximité avec les victimes de Bruxelles.
Le journalisme d’urgence
Bien sûr, il y a eu des ratés, des approximations, des erreurs, des hoaxes, des emballements lors de cette journée folle, mais ces dérives qui semblent intrinsèques à une certaine forme de journalisme d’urgence, happé par le breaking news, ne peuvent voiler ces marques de solidarité qui ont orné les commentaires des médias du monde entier. Inspirés par un sentiment d’humanité, mais aussi parce que le terrorisme djihadiste est ressenti comme une menace globale, même dans des pays, notamment en Amérique latine (voir note), où il a peu ou pas (pas encore?) frappé.
La couverture, cependant, a inévitablement adopté des angles locaux. Tout d’abord, en cherchant à établir s’il y avait des nationaux parmi les victimes. Ensuite, en offrant des récits reflétant les préoccupations spécifiques de chaque pays. Au Maroc, par exemple, la presse a immédiatement relayé les informations sur la présence de citoyens marocains ou de Belgo-Marocains parmi les morts, blessés ou disparus. Mais la presse a également très vite souligné les réactions de solidarité avec Bruxelles: le coup de téléphone du Roi Mohammed VI au Roi Philippe, la déclaration des Oulémas marocains en Europe condamnant les attentats, le rôle des services secrets marocains dans la traque des terroristes. Comme si les journalistes de Rabat ou Casablanca craignaient que ces attentats ne provoquent une poussée de Morocco bashing ou d’islamophobie.
Au Mexique, certains ont même exprimé la crainte que ces attentats ne renforcent la popularité de Donald Trump et ses chances de succès électoral, un scénario considéré comme apocalyptique par des Mexicains taxés de « violeurs » et de « criminels » par le candidat républicain. Quant à la Grande-Bretagne, au-delà de l’effroi et de l’empathie, l’impact des attentats a également été décodé à l’ombre du Brexit: pour être « sûre » et protégée, vaut-il mieux être « dehors ou dedans »? Et une question sensible, embarrassante, interpellante, a été posée, comme elle le fut après les attentats du 11 septembre à New York ou ceux de Paris: pourquoi parle-t-on si peu ou si furtivement des crimes et des massacres commis par les terroristes islamistes au Nigeria, en Turquie, au Liban, en Irak, en Syrie? La vie humaine aurait-elle des cotations différentes à la Bourse des valeurs de l’actualité? Les explications rationnelles sur le mode de sélection de l’information internationale, sur les critères de hiérarchisation des nouvelles, ont peu de poids face au sentiment d’être un « oublié du JT ».
Lorsque le terrorisme frappe, les stéréotypes sont toujours à l’affût, partout. Et dans cet emballement de l’information, les Belges n’ont pas été épargnés. Après les attentats de Paris le 13 novembre, qui révélèrent l’étendue de la filière franco-belge, une forme de Belgium-bashing s’est emparée de certains médias, en France tout particulièrement. Molenbeek y est devenu très vite le symbole par excellence du Mal absolu, au croisement de l’idéologie de fer et du journalisme de pacotille. Mais ces clichés, qui, à l’instar d’une photo floue, reflètent quand même une certaine réalité, ont été en grande partie influencés par…des Belges. Par des experts, ou prétendus tels, en terrorisme, mais aussi par des politiciens et des ministres qui ont choisi de faire de ce quartier de Bruxelles (et non, comme le dirent beaucoup de journalistes français, «situé dans la banlieue de Bruxelles) l’objet de toute leur attention et de toutes leurs récriminations. Lorsque le 16 novembre 2015, l’agence Reuters titrait un article, par ailleurs très équilibré, « Guns, God and grievances -Belgium’s Islamist ‘airbase’ » (Des armes, Dieu et des griefs, la base aérienne islamiste de la Belgique »), elle attribuait la paternité de ce terme de « base aérienne » à un homme politique belge qu’elle avait interviewé…
Des questions et critiques pertinentes
Mais, si certains médias ou certains commentateurs, comme Eric Zemmour, ont sonné l’hallali, il n’y a pas eu que du Belgium-Bashing dans la presse internationale. Non seulement, une grande partie des médias, nous l’avons signalé, ont partagé le « chagrin des Belges », mais un certain nombre d’entre eux ont fait un travail remarquable d’information. A l’instar, par exemple, du New York Times qui, le 26 mars, publiait une enquête détaillée sur la rue Max Roos, allant jusqu’à interviewer le propriétaire portugais de l’immeuble où se planquaient les terroristes et à décrire la réaction de la police locale, soulevant ainsi des questions très pertinentes sur le déroulé de la préparation et de l’exécution des attentats.
Un nombre important de journalistes ont tenté de comprendre le « pourquoi » et le « comment » de ces attentats. Les questions qu’ils ont soulevées sont absolument légitimes, même si elles ont parfois été formulées d’une manière qui a été perçue par certains comme agressive ou arrogante. Le titre d’un article du Daily Beast, un important site d’information américain, a été typique de cette approche jugée « insultante » à Bruxelles: « U.S. Officials Bash « Shitty » Belgian Security Forces, pouvait-on lire, en tête d’un article relayant les critiques de « responsables américains » qui dénonçaient des « services de sécurité belges infantiles, trop incompétents pour répondre à la menace terroriste actuelle ».
Des médias de référence se sont gardés de ces mots blessants, mais leurs questions ne sont pas pour autant complaisantes. Dans une longue analyse publiée sur son site, la BBC, par exemple, a listé une série d’interrogations qui seront sans doute l’objet des travaux de la Commission d’enquête parlementaire. « Est-ce que des gaffes ont entravé les investigations belges? », se demandait la grande chaine britannique, en étalant une série de points cruciaux à élucider. Au coeur de ces regards sur la Belgique: le système institutionnel, qui ne se résume pas, comme le voudraient certains, à la fusion des zones de police de Bruxelles, mais qui soulève « la » question essentielle, existentielle, du « fonctionnement » d’un pays fatigué, compliqué, distrait par des décennies de conflit communautaire.
La même approche factuelle et critique a été adoptée à propos de la sécurité nucléaire en Belgique, un sujet qui a flotté comme un lourd nuage noir sur le Sommet de la sécurité nucléaire convoqué la semaine dernière par Barack Obama à Washington. « La Belgique est apparue comme une préoccupation centrale, notait le New York Times. «Le pays est si divisé et si désorganisé que beaucoup craignent sa vulnérabilité face une attaque encore plus sophistiquée que les attentats de la semaine dernière ». Dans un article publié sur le site de la grande chaine de télévision NBC News, J. Jeffrey Smith, chercheur au prestigieux Center for Public Integrity de Washington, révélait la teneur d’une note interne du ministère américain de l’énergie, publiée en 2013, qui soulignait la faible protection des installations nucléaires en Belgique. Même si, selon l’index 2016 de la Nuclear Threat Initiative, la Belgique a corrigé en partie ces manquements, il apparaît clairement que notre pays suscite des sentiments d’inquiétude.
Tous dans le même bateau
Ce regard sur la presse internationale est inévitablement partiel. Mais il établit un fait dont devra tenir compte la Commission d’enquête parlementaire: dans ce monde globalisé, sur un sujet aussi crucial que le terrorisme, il n’y a plus de frontières ni d’espace médiatique national. Si les calculs politiques et des arrangements partisans laissent des zones d’ombre, il y aura sans aucun doute, en plus de la presse belge, des journalistes et des chercheurs internationaux déterminés à établir la vérité, à reconstruire les lignes de temps, à questionner les responsabilités. Et il ne sera pas facile de balayer d’un revers de la main leurs critiques en les accusant de s’adonner au Belgium bashing. Pas facile, comme le disait Alain Gerlache, “de se défausser sur la presse internationale”. Ou de s’amuser à railler la manière dont les journalistes étrangers prononcent “Molenbeek”.
« Nous sommes tous des Belges maintenant », écrivait le très influent The Economist, non seulement pour exprimer sa solidarité, mais aussi pour souligner que tous les pays, en Europe en particulier, sont confrontés aux mêmes défis. «Une grande partie de l’Europe est dans le même bateau ». Et c’est pour cela que la presse internationale va placer notre pays dans sa ligne de mire. Pour le bien de la Belgique…
Note: le 10 juillet 1994, l’Argentine a été victime d’un attentat terroriste meurtrier (84 morts, des centaines de blessés) dirigé contre la communauté juive. S’il n’a pas été revendiqué, les soupçons ont pesé surtout sur l’Iran et, subsidiairement, sur la Syrie.