Dans les années 1970, lorsque les bombardiers américains pilonnaient le Nord-Vietnam, ils étaient des centaines de milliers à manifester dans les rues de Paris, Rome ou Berlin pour dénoncer « l’impérialisme américain ». En 2003, lorsque les néo-conservateurs fourvoyèrent les Etats-Unis dans l’invasion de l’Irak, ils furent encore des dizaines de milliers à marcher sur les grands boulevards pour décrier la « grande Busherie ».
Et aujourd’hui? Personne. Aucune pancarte indignée, aucun slogan outragé, aucun cri révolté, alors qu’en Syrie, les avions russes sont accusés de lancer leurs bombes sur les civils et les hôpitaux, alors que les hélicoptères de Bachar el-Assad jettent leurs « barrel bombs » sur les combattants et les habitants de villes rebelles, alors que, dans un pays quadrillé par des dizaines de groupes armés, les extrémistes de Daech prennent tout le monde au piège.
N’en déplaise à ceux qui n’ont d’yeux que pour les réseaux sociaux, leurs likes et leur clics, la rue reste le lieu le plus symbolique de l’engagement, de la protestation et de la solidarité. Comme elle le fut le 11 janvier 2015, le temps d’une puissante émotion, lors des manifestations JeSuisCharlie. Dès lors, comment expliquer que ces boulevards et ces rues restent vides, alors que la Syrie est soumise depuis cinq ans à l’un des conflits les plus brutaux de l’histoire? Alors que sa population, ballotée entre les nervis du régime, de Daech, d’al-Qaïda, du Hezbollah, est terrorisée, massacrée, gazée, torturée? Alors qu’un incident de plus entre la Turquie et la Russie pourrait projeter la région dans une guerre généralisée et placer l’OTAN au pied du mur?
Certains se réjouiront sans doute de cette apathie. Rassurés, ils y verraient même une caution populaire à leur postulat maintes fois répété qu’« il n’y a pas d’alternative raisonnable à Bachar el-Assad », remis en selle par ses alliés russes. Mais les autres, tous les autres, qui refusent toutes les barbaries d’où qu’elles viennent, où sont-ils? Terrés et atterrés, engourdis et paralysés, devant leurs écrans télé?
Un terrible sentiment d’impuissance semble s’être abattu sur nos sociétés. Il est dû sans doute à la complexité effarante du conflit syrien, avec ses fractures communautaires, ses sectarismes religieux, ses alliances internationales impies. Il s’explique aussi par l’immense difficulté, face à un pays où l’influence des « modérés » apparaît si frêle, de s’identifier à un camp, sinon à celui des victimes. La procrastination des Etats démocratiques a fait le reste. Incapables de définir et de mettre en oeuvre une stratégie qui soit autre chose que de l’improvisation et de la confusion, ils n’ont fait qu’accentuer ce repli face au conflit.
Le constat d’impuissance, cependant, ne peut pas être l’alibi de l’indifférence face aux civils broyés par la guerre. Il ne peut être le paravent d’une politique qui reviendrait à soupçonner ces derniers d’une faute collective, celle de ne pas être représentés par des groupes ou des mouvements “partageant nos valeurs de liberté ou de laïcité”. Comme si, parce qu’ils n’ont pas de Gandhi ou de Mandela, ils pouvaient être abandonnés. Comme s’ils ne méritaient pas notre solidarité parce qu’ils sont naufragés dans un océan d’inhumanité. Comme si, victimes, ils seraient en partie coupables.
L’impunité est totale
Aujourd’hui, aucun des acteurs du conflit ne sent la pression de l’opinion, sinon de celle qui veut clore les yeux ou fermer les frontières. L’impunité est totale. Dans les pays autoritaires qui interviennent en Syrie, la presse a été mise au pas: de Ryad à Téhéran, aucun crayon ne sort des rangs, aucune caméra n’est hors champ. Et, dans les pays démocratiques, le public semble ne pas avoir encore clairement intériorisé le lien entre ce « conflit pourri » et deux des enjeux les plus vivement débattus et les plus politiquement toxiques du moment: les migrations « incontrôlées » et les menaces du groupe Etat islamique.
Les intellectuels eux aussi paraissent absents. Quelques voix seulement s’élèvent et mettent la plume dans la plaie, comme Jean-Pierre Filiu récemment dans Le Soir, pour pour qui « l’abdication morale de l’Occident ne fait que nourrir deux monstres: Assad et Daech ». Mais la Syrie, trop compliquée, trop désespérante, n’est pas un sujet de prédilection pour des plateaux télé où, trop souvent, les causeurs cathodiques illustrent en direct la défaite de la pensée.
L’indifférence n’est pas seulement une question morale. « D’un charnier à l’autre, l’humanité n’apprend rien, ne retient rien », écrivait François Mauriac en 1938 à propos des coups de force successifs d’Adolf Hitler et des abandons tout aussi successifs des démocraties. Comme lors des années Trente, quand la guerre d’Espagne finit par se réduire à un face à face par procuration entre Hitler et Staline, la passivité des démocrates est une erreur stratégique, car elle laisse le champ libre à des pays, de la Russie à l’Arabie saoudite ou à l’Iran, qui sont tous hostiles aux démocraties, à leurs intérêts ou à leurs valeurs proclamées.
Elle est une faute politique car elle s’applique à un conflit qui n’a rien de local ou de limité. Si la cartographie des indignations s’obstine à le nier, Raqqa est aux portes de Paris, Alep est un faubourg de Bruxelles. Et face à cet enchevêtrement funeste de passions identitaires, de calculs géopolitiques, de folies personnelles, une autre phrase de François Mauriac, rédigée à l’intention de Chamberlain, le ministre britannique munichois, résonne comme un terrible avertissement. « La guerre éclate toujours, hélas. Nous y courons, les yeux ouverts ».
1. Ce n’est pas parce que la Russie et/ou le gouvernement syrien sont accusés d’avoir bombardé des hôpitaux que telle est la réalité. Il y a un précédent: le gouvernement syrien a été accusé d’avoir utilisé des gaz létaux. Or, il est aujourd’hui prouvé que les missiles qui les ont portés sont partis de zones contrôlées par l’opposition. Je suis inquiet du silence de la presse aujourd’hui à ce sujet. Apparemment, personne n’est intéressé à suivre les investigations qui s’imposent pour en avoir le cœur net sur l’origine de ces bombardements d’hôpitaux.
2. Les actions des occidentaux, USA en tête, au Moyen-orient ces dernières années, sont toutes apparemment foireuses. En réalité, elles ont eu pour conséquence d’affaiblir considérablement les gouvernements locaux. Certes, le caractère peu démocratique des gouvernements attaqués n’est pas contestable mais il n’est pas plus contestable que l'”après” est, à de rares exceptions, de loin pire que l'”avant”. Ou bien les Occidentaux sont particulièrement stupides, soit les résultats sont cohérents avec ce qui était voulu: empêcher la concrétisation d’une réalité politique forte autocentrée au Moyen-Orient.
3. En ce qui concerne la faiblesse des pays démocratiques, l’Europe en particulier, c’est, en effet, une réalité particulièrement préoccupante. Hélas, face à une Russie qui se reconstruit rapidement, il n’y a pas un seul homme politique européen qui ait un charisme suffisant pour fédérer les populations européennes autour d’un projet intégré défendu par des forces de polices et des forces militaires au service des valeurs européennes. Bien au contraire, ce sont les forces centrifuges qui sont les plus présentes. Si demain, dans le contexte que nous connaissons, si demain, la Pologne est envahie, comment l’Europe et chacun de ses membres réagiront-elles?
4. Sur le plan de l’organisation mondiale de la finance, Islande mise à part, il n’y a ni projet politique autonome des pouvoirs financiers privés, ni de moyens mis en œuvre pour réprimer les abus, ni même de volonté pour y parvenir. L’ensemble des gesticulations et exercices de musculation stériles dont nous sommes les spectateurs cache de plus en plus difficilement le vide intersidéral de la plupart de la classe politique actuelle, affairée, veule et aveugle, tristement égoïste et peu respectueuse de l’Humanité.
Merci Bruno pour tes commentaires qui au moins avancent des arguments a la différence de la plupart des moralisateurs creux comme Dominique jj qui se contentent de dénigrer et s’enliser dans le politiquement correct, consternants d aveuglement de jugement d’inertie et donc de.grande bêtise.