Bernie Sanders: loin des “trumperies” médiatiques

« Vous avez deux types sur une scène et l’un d’eux s’exclame : « J’ai une solution au problème du Moyen Orient ». L’autre type tombe dans la fosse d’orchestre. Qui des deux, selon vous, fera la « une » du journal télévisé? ». Roger Ailes, le patron de Fox News, n’a pas son pareil pour expliquer son modèle journalistique. Et c’est en suivant ce principe imparable que la plupart des chaines de télévision couvrent la campagne présidentielle américaine. Et c’est ainsi que, dans le camp républicain, il n’y en a que pour Donald Trump le brailleur et Ted Cruz le bretteur. Du spectacle de gladiateurs, de la controverse de saloon, des tonnes de mauvaise foi et de mauvais goût, ça marche.
Et Bernie? Bernie qui? Oublié du 20 heures, un septuagénaire aux cheveux gris, au sourire avare, au discours austère, est pourtant en train de bousculer la campagne. Beaucoup d’Américains l’ignorent encore, mais le sénateur Bernie Sanders est candidat à l’investiture du Parti démocrate. Certes, même si les sondages le placent aujourd’hui en tête pour les premiers tests électoraux de l’Iowa et du New Hampshire, peu de bookmakers oseraient parier un nickel sur sa victoire. Mais, au fil de discours interminables, d’interviews ascétiques et de documents arides, il est en train d’imposer les enjeux qui lui sont chers à un Parti démocrate englué depuis des années dans l’idéologie marshmellow.
Bernie Sanders est une exception au sein de la classe politique américaine. Longtemps député indépendant du Vermont, un Etat bucolique proche du Canada, aujourd’hui sénateur, il s’est souvent proclamé socialiste, une étiquette incongrue dans un pays qui confond facilement ce terme avec le stalinisme. Ses adversaires ne se sont pas privés d’ailleurs de rappeler son attirance, dans les années 1980, pour les sandinistes du Nicaragua, au point d’appeler ses partisans des Sanderistas. Ils n’ont pas non plus de mots assez durs pour le rôle qu’il voudrait confier à l’Etat, ce Moloch, pour réformer le pays.
Or, signe des temps, une partie significative de l’électorat démocrate accroche. En dépit d’un caractère que l’on dit grincheux, de son ambiguïté sur le contrôle des armes et d’autres peccadilles, plus de 2 millions de citoyens ont contribué financièrement à sa campagne et ses meetings affichent complet. Pourquoi? Parce qu’il est « authentique », disent ses partisans. Rien à voir avec les flip-floppers, les girouettes, qui ont les yeux rivés sur les sondages. Depuis son entrée en politique dans les années 1960, ce politicien atypique né dans une famille juive de Brooklyn n’a pas dévié d’un pouce de son engagement pour l’égalité raciale et la justice sociale.
Bernie Sanders, disent ses amis, n’est pas entré en campagne pour gagner, mais pour qu’il y ait un débat d’idées. Si beaucoup s’agacent de son « socialisme » et de ses leçons de morale, il porte aujourd’hui un message qui reflète davantage l’état de l’opinion. Une crainte sourde de déclassement social et de déclin économique, un sentiment d’insécurité, taraudent en effet une partie de la population. Un malaise qui explique aussi le succès des populismes de droite incarnés par Donald Trump et le Tea Party.
Pour ses partisans, la sympathie que suscite Bernie Sanders au sein de la classe moyenne, en particulier parmi les jeunes accablés par le coût débilitant de leurs études, témoigne du rejet du modèle économique sans pitié qui a débouché, selon ses propres mots, sur « une explosion grotesque des inégalités ». « Sanders n’hésite pas a nommer et à dénoncer les nouveaux royalistes économiques, la classe des milliardaires», écrit Simon Head dans la New York Review of Books.

La question sociale, la “question centrale”
Comparaison n’est pas raison, bien sûr, mais d’une certaine manière, le discours de Bernie Sanders rappelle les années 1930, au coeur de la Grande Dépression, lorsque, face aux « ploutocrates » responsables de la débâcle de Wall Street, le patricien démocrate Franklin D. Roosevelt opposait sa Nouvelle Donne progressiste, le New Deal, au mouvement ultra-conservateur et populiste incarné par le prêtre catholique antisémite Charles Coughlin.
Le contraste ne pourrait être plus grand entre Donald Trump et Bernie Sanders. Alors que le Républicain exploite les rancoeurs et désigne des boucs émissaires, mexicains ou musulmans, à la vindicte plébéienne, le Démocrate parle d’égalité et de solidarité. Alors que Trump fonde sa popularité sur sa richesse personnelle, Sanders dénonce l’érosion du statut social de la classe moyenne comme une source de corruption du système politique et de dégradation du Rêve américain. « Ensemble » est le mot clé de sa campagne. Bien qu’il partage les combats « culturels » (mariage homosexuel, avortement, etc. ) de la gauche issue de « mai 68 », Sanders, comme Roosevelt en 1932, replace fermement l’économie et la question sociale au centre de son projet progressiste.
Certes, l’histoire politique des Etats-Unis a régulièrement été agrémentée de candidatures progressistes éphémères. Mal vu par de riches donateurs habitués à s’acheter un président, assez peu connu des minorités noire et hispanique qui constituent les gros bataillons démocrates, surveillé de très près par l’équipe de sa rivale Hillary Clinton, Bernie Sanders « le socialiste » est aussi en porte-à-faux avec l’Amérique profonde qui accourt aux meetings de Trump et « adôôôre » Sarah Palin. Il n’en reste pas moins que, loin du cirque médiatique, il mène une vraie campagne politique qui parie sur l’écoute et la réflexion des électeurs. Est-ce trop demander à la démocratie?

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