L’attentat contre Charlie Hebdo va-t-il déboucher sur l’autocensure des journalistes et des dessinateurs, par peur d’un attentat ou pour éviter d’être accusé de jeter de l’huile sur le feu? Aujourd’hui, la presse semble bien décidée à ne pas céder. Une édition de Charlie Hebdo sortira mercredi avec l’appui de Libération. Mais certains titres ont déjà fait un pas de côté, comme le quotidien danois Jyllands Posten, qui a préféré ne pas republier des caricatures de Mahomet parues dans Charlie Hebdo. Le journal qui, en 2005, avait commandé les Danish cartoons a estimé qu’il ne pouvait pas davantage encore mettre son personnel en danger. Dimanche, l’humoriste Nicolas Bedos évoquait « le risque que les satiristes et les médias ne s’autocensurent par peur de se faire tirer une balle dans la tête ».
Certes, des titres n’ont pas voulu publier pour des raisons plus nobles que la peur. Certains rédacteurs en chef, qui ont fermement condamné l’attentat, estiment que les dessins du journal satirique sont outranciers, agressifs, scatologiques voire islamophobes et que l’assassinat des caricaturistes ne justifie pas de changer d’avis et de politique rédactionnelle. Même si des collègues leur ont demandé de le faire pour exprimer leur solidarité et envoyer un bras d’honneur au terrorisme, ils ont refusé de revoir la ligne qui les inspire. Au risque de se voir accuser d’être des poltrons ou des « munichois » face à l’islamo-fascisme.
La vérité, surtout quand elle fait mal
L’islamisme a déjà démontré qu’il pouvait être l’un des censeurs les plus brutaux du monde. Partout où il règne, il étouffe l’information libre. Ses cibles sont les journalistes locaux et internationaux, mais aussi tous ceux qui, activistes ou simples citoyens, tentent de préserver un espace de libertés sur Internet et les réseaux sociaux. La méthode a été efficace: les prises d’otages et l’assassinat de plusieurs d’entre eux récemment ont conduit la plupart des rédactions à ne plus envoyer des reporters dans des zones entières où sévit le djihadisme le plus virulent, du Moyen-Orient au Nigeria. Silence, on décapite et on égorge.
Cette censure par la violence va-t-elle s’étendre aux sièges des rédactions ? L’enjeu, pourtant, est de continuer à informer, quels qu’en soient les risques. Une phrase revient hanter les rédactions. « Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, dis et meurs », s’était exclamé le journaliste algérien Tahar Djaout. Il fut abattu par les islamistes en 1993. Elle est un appel à la responsabilité et au courage d’informer.
La meilleure protection du journalisme restera sans doute l’appui des institutions et de l’opinion. Et cet appui dépendra de sa crédibilité et de sa capacité à décoder une information de plus en plus confuse. Elle dépendra de sa volonté de dire la vérité, envers et contre tout, « sans peur ni faveur », selon la formule que forgea il y a 120 ans le patron du New York Times. “De dire la vérité même quand elle fait mal, surtout quand elle fait mal », comme le déclara fameusement le fondateur du Monde, Hubert Beuve-Méry. Et les vérités, une fois passé l’émotion extraordinaire des marches de ce week-end, ne seront pas toujours faciles à connaître et à dire.