En lançant dimanche une vague d’arrestations contre des journalistes proches de la confrérie de Fethullah Gulen, le président Erdogan a failli replacer la Turquie à un endroit qu’elle venait juste de quitter: la première place dans le classement des pays qui emprisonnent le plus de journalistes.
Cette année-ci, en effet, selon les chiffres établis par le Comité pour la protection des journalistes, c’est la Chine qui est le premier geôlier “médiatique” au monde. Sur les 220 journalistes actuellement en prison, 44 sont chinois. Ils étaient 32 l’année dernière. Ce « bond en avant » confirme que la liberté de la presse est le baromètre des autres libertés. Il témoigne de la crispation du pouvoir et reflète un durcissement plus général contre la dissidence, en particulier celle liée à des mouvements qualifiés de séparatistes, au Tibet et dans la province du Xinjiang.
L’Iran est en deuxième place. L’arrivée à la présidence de Hassan Rouhani, présenté comme modéré, ne s’est pas traduit par une réelle libéralisation. Même si le chiffre record de 2012 a diminué, 45 journalistes étant alors derrière les barreaux, la répression des journalistes et blogueurs indépendants ou d’opposition reste la règle. Une trentaine de journalistes sont actuellement incarcérés. Téhéran, qui prétend établir de meilleures relations avec l’Occident dans le cadre des négociations du dossier nucléaire mais aussi de la lutte contre l’Etat islamique, a même pris le risque d’emprisonner le correspondant du Washington Post, Jason Rezaian, pour des raisons qui restent inconnues.
Corne de brume pour la Corne de l’Afrique
L’Erythrée, la « Corée du Nord » africaine, est en troisième place, une position qu’elle occupe depuis des années. Royaume ermite de la Corne de l’Afrique, le régime reste muet sur les raisons et les conditions de détention de 23 journalistes et se montre insensible à toute forme de protestation internationale.
L’Ethiopie ne se comporte guère mieux. Le nombre de journalistes emprisonnés y est passé de 7 en 2013 à 17 en 2014. Le pays rejette lui aussi les critiques des ONG, car il fait figure de bon élève de la coopération internationale au développement et se sent « couvert » par son statut de « tigre africain ».
Vient ensuite le Vietnam, avec 16 journalistes, un chiffre qui contredit la volonté affichée de Hanoï de courtiser les pays occidentaux pour des raisons économiques mais aussi pour contrer l’influence régionale de la Chine.
La Syrie occupe la première place parmi les pays arabo-musulmans, avec une vingtaine de journalistes détenus par le gouvernement. Une vingtaine de journalistes y sont aussi portés “manquants”, la plupart vraisemblablement détenus par des groupes djihadistes. En Egypte, il est loin de temps de la Révolution de la place Tahrir. Douze journalistes y sont embastillés, dont trois appartenant à la chaîne qatarie al-Jazira. La Birmanie, dont on avait attendu une libéralisation plus rapide et plus solide, talonne le pays du général Sissi. Dix journalistes au moins ont été emprisonnés, tous sous l’accusation d’atteinte à la sécurité de l’Etat.
L’Azerbaïdjan, qui, jusqu’il y a peu assumait la présidence du Comité des ministres du Conseil de l’Europe (la Belgique vient de lui succéder) et devrait normalement respecter la Convention européenne des droits de l’Homme, maintient 9 journalistes en prison. Des animateurs de réseaux sociaux, notamment sur Facebook, sont aussi derrière les barreaux. Le régime de Bakou s’estime protégé par son statut d’Etat pétrolier et ne répond pas aux critiques, prudentes et diplomatiques, émises par le Conseil de l’Europe ou l’Union européenne.
Subversifs?
Pourquoi ces journalistes se sont-ils retrouvés en prison? La majorité, 60%, ont été accusés d’activités contre l’Etat, comme la subversion ou le terrorisme. Mais dans un grand nombre de pays, la diffamation ou l’insulte restent également pénalisées et sanctionnées par des peines de prison. Plus de la moitié d’entre eux, 119, travaillent pour des médias en ligne et près d’un tiers sont des freelance.
La menace de se retrouver en prison apparaît moins grave que le risque d’être assassiné. Les statistiques de journalistes tués constituent en effet la mesure la plus dramatique des pressions exercées contre l’exercice du journalisme et la liberté de la presse. Mais la perspective de se retrouver en prison suscite largement l’autocensure, tout comme les procédures judiciaires interminables ou extrêmement coûteuses qui ont pour objectif, non pas la justice mais l’intimidation et le silence.