Vladimir Poutine, que la paix soit avec vous

La réponse de Vladimir Poutine à la crise ukrainienne apparaît terriblement surréaliste en cette année où le monde commémore le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Comment expliquer qu’un chef d’Etat dont la nation s’effondra en 1917 n’ait tiré aucune leçon des arrogances matamoresques et des emballements dantesques qui, il y a un siècle, conduisirent l’Europe sur la voie de l’ensauvagement et de la guerre totale ?

Sans doute croit-il mener une fine partie d’échecs, alors qu’il joue dangereusement à la roulette russe. Sans doute ses conseillers l’ont-ils convaincu que ni l’Union européenne ni les Etats-Unis ne voudront « mourir pour Kiev », comme à la fin des années Trente, aucune démocratie ne voulait « mourir pour Dantzig » ou pour l’Espagne. Mais l’histoire, si lourde, si tragique, nous rappelle que les calculs prétendument les plus sophistiqués peuvent se transformer en des lancers de dés hasardeux. Certes, rien n’est joué, le barillet continue de tourner, mais si le pire n’est jamais sûr, le monde est incontestablement devenu l’otage d’une politique du pire.

La Realpolitik, nous assurent des analystes généralement avisés, guide et cadre le Kremlin, un monstre froid qui n’a que faire de la géopolitique des émotions. Mais en sommes-nous si sûrs ? Dans ce pays qui fut une superpuissance à quasi égalité avec l’hyperpuissance américaine, le réalisme ne fait pas toujours le poids face à l’humiliation et la rancoeur. L’économie non plus d’ailleurs, même si le coup froid sur la bourse moscovite a sans doute fait réfléchir Poutine. Rationnellement, Moscou n’a aucun intérêt à affronter l’Occident : l’interdépendance semble si étroite que chacun, à l’Est et à l’Ouest, se tient par la barbichette et que tout faux mouvement ferait mal à tous. Mais il y a des moments dans l’histoire où la raison se mue brusquement en une logique de l’absurde.

Les emballements maléfiques

La guerre 14-18, comme nous le rappelle l’émission Apocalypse, fut provoquée par un enchaînement maléfique de décisions insensées, nourries de l’orgueil des nations, de la suffisance des empereurs et du suivisme exalté des peuples. La boucherie se prépara sur les marges des Empires ou dans leurs colonies. Un siècle plus tard, le monde semble entamer la même « marche de la folie », titre du livre-culte que Barbara Tuchman, éminente spécialiste de la guerre 14-18, consacra à la philosophie de l’histoire. Sur ces routes défoncées du machisme et de la déraison, les nouveaux apprentis-sorciers s’abreuvent aux sources de nationalismes et d’impérialismes que l’on croyait d’un autre âge. Comme si l’homme n’apprenait jamais rien. Comme si un haut dirigeant d’une grande nation ne pouvait guérir de cette blessure de l’âme provoquée par l’implosion de son Empire tant regretté, l’Union des Républiques socialistes et soviétiques.

«  Le désir de faire de la politique est habituellement le signe d’une sorte de désordre de la personnalité et ce sont précisément ceux qui ambitionnent le plus ardemment le pouvoir qui devraient en être tenus le plus soigneusement à l’écart  », avertissait Arthur Koestler, auteur du Zéro et l’Infini. Cette remarque cinglante forgée dans la proximité du soviétisme stalinien revient hanter la Russie et le monde. Il faut se méfier des hommes avides de pouvoir. Il faut se méfier surtout des hommes et des peuples dont la psychologie a été profondément marquée par un sentiment de perte et d’opprobre. «  Vladimir Poutine vit dans un autre monde  », aurait dit Angela Merkel. Le Président russe semble appartenir en tout cas à cette caste d’hommes mus par le ressentiment et la revanche. Comme tant de responsables politiques qui, dans d’autres pays, pourrissent la vie de tous en ruminant des souvenirs d’humiliations passées ou en ressassant des rêves de grandeur perdue.

L’imprévision occidentale

Certes, les Etats-Unis et l’Europe, après la chute du Mur de Berlin, auraient dû avoir le triomphe modeste et se garder de vouloir imposer au forceps leurs conceptions économiques et politiques à des sociétés post-soviétiques désemparées. Dans une certaine mesure, Poutine est l’enfant bâtard de la libéralisation économique et de l’occidentalisation forcenées de la Russie à l’époque déjantée de Boris Eltsine et des nouveaux oligarques.

Certes, les Etats-Unis et l’Europe auraient dû aussi se montrer plus prudents lors de crises qui braquèrent la Russie, comme récemment en Libye, lorsque l’OTAN interpréta à sa guise le mandat accordé par les Nations unies pour passer de la protection des populations civiles de Benghazi au renversement du régime de Kadhafi. Depuis lors, les pays occidentaux ne cessent de payer le prix, en Syrie ou en Ukraine, de ce « bon tour » qu’ils jouèrent à Poutine.

Toutefois, cette reconnaissance de la suffisance et de la légèreté occidentales, qui se sont de nouveau manifestées dans la gestion de la crise ukrainienne, ne peut disculper Vladimir Poutine. Comme les iniquités du Traité de Versailles ne pourront jamais justifier le bellicisme allemand des années 30 et l’essor du national-socialisme.

En fait, cette crise a révélé définitivement la nature réelle du poutinisme. Les défenseurs des droits de l’homme, brocardés pour leur naïvisme, avaient raison. L’autoritarisme russe n’était pas un gage de stabilité, mais une prime à l’aventure. La journaliste russe Anna Politkovskaïa avait elle aussi raison, lorsque, dans son Journal d’une femme en colère, elle décrivait sa «  douloureuse Russie  » et démontait le système mis en place par Poutine pour assurer sa «  verticale du pouvoir  ». «  Elle était l’un des rares grains de sable qui gênaient le processus de poutinisation des mœurs  », écrit la russologue Marie Mendras.

Les paroles prémonitoires de Vassili Grossman

C’est bien cette poutinisation de la société russe qui donne ce côté glaçant à la réaction moscovite. Poutine n’est pas seul. Ses revendications reflètent de profondes frustrations populaires. Elles sont aussi les seules à avoir droit de cité, tant la presse russe a été disciplinée. Elles surfent surtout sur ce « nationalisme réactionnaire » que dénonçait le grand écrivain soviétique et ukrainien Vassili Grossman (1905-1964) dans La Paix soit avec vous. «  Les réactionnaires s’efforcent toujours d’anéantir le fondement humain du caractère national, écrivait-il. Celui qui lutte pour une véritable liberté nationale lutte contre la déification du caractère national. Les véritables combattants de la liberté nationale sont ceux qui consolident l’immense diversité et la richesse des types humains d’une société donnée.  »

Ces phrases auraient dû être lues sur la place de l’Indépendance à Kiev pour mieux y séparer le bon grain démocratique de l’ivraie ultra-nationaliste. Elles devraient aujourd’hui être lues à Moscou, à Kharkov ou Sébastopol. «  Les Russes, concluait Grossman, doivent se convaincre que la véritable affirmation de la grandeur et de la dignité de l’homme russe, du peuple russe, se trouve dans le renoncement à l’idée de la suprématie de leur caractère national. La liberté nationale ne peut régner que sous une forme : la liberté humaine !  »

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2 réponses à Vladimir Poutine, que la paix soit avec vous

  1. Hulin Vincent dit :

    ”Ni ce petit garcon, ni sa grand-mere, ni des centaines d’autres enfants, de meres et de grand-meres ne savaient pourquoi c’etait a eux de payer pour Pearl Harbour et Auschwitz. Mais les philosophes, les politiciens et les journalistes ne se penchaient pas sur cette question.” V. Grossman, Abel le six Aout.

  2. André René dit :

    La Suisse, dont le président est également à la tête de l’OSCE tient un double discours en permettant à Poutine et ses proches d’investir leur argent d’origine indéfinie dans un projet pharaonique proche du milliard de francs suisses dans ses montagnes. Voir l’article de la Radio suisse romande ci-dessous…
    Un proche de Poutine reprend le méga projet immobilier d’Aminona (VS) – rts.ch – info – régions – valais
    http://www.rts.ch/info/regions/valais/5273443-un-proche-de-poutine-reprend-le-mega-projet-immobilier-d-aminona-vs.html#.
    Écœurant …

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