211 journalistes en prison. C’est aussi notre droit de savoir qui est embastillé

La liberté de la presse est le baromètre des autres libertés, l’un des indices les plus fiables de la réalité et de la vigueur de la démocratie. Le ranking des geôliers de la presse, établi chaque année par le Comité de protection des journalistes (CPJ, New York), confirme cette équation. Les “suspects habituels», comme l’Iran, la Chine ou l’Erythrée, se retrouvent au sommet de cette liste de 211 journalistes emprisonnés, le deuxième total le plus élevé depuis 1990.

Mais, comme l’année dernière, c’est un pays qui aspire à intégrer l’Union européenne, la Turquie, qui est en tête, avec 40 journalistes en prison. Comme si la reprise des négociations d’adhésion à l’automne dernier n’avait eu aucun impact. La légère chute du nombre de journalistes turcs emprisonnés, de 49 dans le ranking 2012 à 40 aujourd’hui, n’indique pas une volonté réelle de mieux respecter les droits de l’homme et l’Etat de droit. Les libérations de journalistes ont été « procédurières » et ne résultent pas d’un changement fondamental d’une législation restée par essence liberticide. Les manifestations du printemps dernier sur la place Taksim ne semblent pas avoir convaincu le premier ministre Erdogan de revoir ses méthodes autoritaires. La reprise des négociations avec Bruxelles, murmurent certains, pourrait même faire croire à Ankara qu’elle n’a pas à trop se soucier de ses politiques répressives.

“Atteinte à la sécurité de l’Etat”

Au 1er décembre 2013, le CPJ recensait aussi 35 journalistes embastillés en Iran, 32 en Chine, 22 en Erythrée, 18 au Vietnam, 12 en Syrie, 8 en Azerbaïdjan, 7 en Ethiopie, 5 en Egypte, 3 au Bahrein, 3 en Israël/Palestine et 2 en Russie. Près de la moitié des journalistes ont été condamnés pour « atteinte à la sécurité de l’Etat », subversion ou terrorisme. D’autres ont été jetés en prison sans même être accusés d’un crime ou être passés en jugement. C’est le cas, en particulier en Erythrée, la « Corée du Nord » africaine.

L’Union européenne ne compte qu’un seul journaliste emprisonné, en Italie, tandis que le continent américain échappe largement à ce fléau, avec un cas aux Etats-Unis et un autre à Cuba, un pays qui, il y a quelques années, avait régulièrement atteint le haut du classement.

Arrestations express

Cette liste de journalistes emprisonnés ne tient pas compte des cas d’arrestations et d’incarcérations “temporaires”, une pratique systématique de harcèlement des médias. Tout au long de l’année, des journalistes sont détenus pendant quelques heures ou quelques jours, une technique qui vise à intimider la presse et à la dissuader de couvrir de manière critique des manifestations de l’opposition ou des politiques gouvernementales. En Egypte, des dizaines de journalistes locaux et internationaux ont été arrêtés lors des troubles qui ont suivi le renversement par l’armée du président “frère musulman” Morsi, un président qui, lors de ses quelques mois au pouvoir, s’était lui aussi montré très peu amène à l’égard de la presse indépendante. Au Venezuela, un correspondant du Miami Herald, Jim Wyss, a été emprisonné 48 heures en novembre dernier quelques jours alors qu’il enquêtait dans la zone frontalière avec la Colombie.

La censure est contagieuse

Rappelons que la liste des journalistes emprisonnés n’est qu’un des indicateurs de la liberté de la presse. Dans de trop nombreux pays, comme le démontre le décompte publié par Reporters sans frontières, l’assassinat des journalistes (71 en 2013), notamment par des bandes de narcotrafiquants, leur enlèvement, en particulier en Syrie, par des groupes terroristes ou djihadistes ou encore la surveillance étatique mettent la liberté d’informer sous pression. Et cette liberté d’informer, rappelons-le, nous concerne tous. Dans un monde globalisé, où tous les événements se tiennent par la barbichette, la censure quelque part est la censure partout.

Note: une version précédente indiquait la place Tahrir à propos de la Turquie. Il s’agissait “évidemment” de la place Taksim. Un lecteur nous l’a aimablement signalé. Mille excuses.   

Ce contenu a été publié dans Analyse, droits de l'homme, Journalistes, Relations internationales, terrorisme, turquie, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à 211 journalistes en prison. C’est aussi notre droit de savoir qui est embastillé

  1. Iturba dit :

    Dans la référence à la Turquie, ce ne sont pas les manifestations sur la place Tahrir (place qui est située en Egypte), mais sur la place Taksim qu’il aurait fallu citer.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *