Journée cruciale à Istanbul

Une pluie fine tombe ce matin sur Istanbul comme si les cieux voulaient sauver ses habitants de cette forme de pollution si particulière que sont les gaz lacrymogènes. Mais la pluie est aussi tombée sur le parc de Gezi , à côté de la place Taksim, répandant une ambiance déprimante parmi les occupants.

Comment comprendre que les autorités aient décidé un coup de force à la veille d’une rencontre avec des représentants de la société civile, censés agir comme des médiateurs entre le gouvernement et les protestataires? Quel est aujourd’hui la crédibilité de ces quelques intellectuels “libéraux” entre des camps de plus en plus séparés par la stratégie de la tension adoptée par le pouvoir?

Ces jeunes n’ont pas grand-chose à voir avec les groupuscules extrémistes et les casseurs dénoncés à tout propos et souvent hors de propos par Erdogan. Ils sont  essentiellement en attente d’un dialogue, d’une démocratie réelle, où l’adversaire n’est pas l’ennemi à détruire, où le pouvoir accepte les contre-pouvoirs. Et c’est pour cette raison qu’ils sont essentiels pour l’avenir de la Turquie car ce pays ne pourra progresser que s’il se dégage de sa tradition autoritaire et entre de plain pied dans une démocratie apaisée.

Hier soir à 7 heures, j’ai été frappé par les citoyens qui se dirigeaient vers la place Taksim. Ils n’avaient rien à voir avec les groupuscules d’extrême gauche, les « stals » et les ultra-nationalistes qui « tenaient » la place Taksim. Des jeunes semblables à des millions d’autres de par le monde, souriants, modernes, polis, venus proclamer leurs espoirs d’une Turquie tolérante, ouverte, plurielle.

Ces jeunes là, rejoints par d’autres générations, représentent une Turquie adulte, lassée d’être commandée, paternalisée, codifiée, hier par le républicanisme nationaliste laïque, aujourd’hui par l’islamisme « conservateur modéré ». Une Turquie fatiguée par la culture de l’affrontement, de l’exclusion, de la discrimination, hier au nom de la Nation, aujourd’hui au nom de la religion.

Les prochaines heures vont être décisives. Et s’il poursuit sur sa lancée, en comptant sur l’ »appui de la majorité silencieuse, sur le « petit peuple » des banlieues et de l’Anatolie profonde, le premier ministre risque bien de conduire son pays au bord du précipice. Plus que jamais, la Turquie a besoin de sortir de cette polarisation, de cette obsession d’un camp d’imposer à l'”autre » son propre style de vie et sa propre morale.

Erdogan semble convaincu qu’il est davantage menacé par la conciliation, qui impose de respecter des règles et de limiter l’arbitraire du pouvoir,  que par la confrontation, qui accorde un avantage crucial aux détenteurs du pouvoir d’Etat. Mais c’est ainsi qu’il risque de condamner le Turquie, en la fixant dans ses malédictions, l’intolérance et l’arrogance du pouvoir.

Note: une première version de ce blog utilisait l’expression “nouveaux jeunes turcs”. Je l’ai modifiée suite à la remarque judicieuse d’une lectrice soulignant l’ambiguïté de cette expression. Les Jeunes Turcs à la fin de l’Empire ottoman représentaient en effet un mouvement de nature très différente. Je vous réfère aux historiens dont Hamit Bozarslan pour plus de détails.

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5 réponses à Journée cruciale à Istanbul

  1. une lectrice dit :

    utilisé cette appellation “nouveaux jeunes turc”, avec tout ce qu’elle représente n’est pas pédagogique, et enclenche des quiproquos bien inutiles dans cette situations.

    • jean-paulmarthoz dit :

      remarque judicieuse, merci. J’aurai du sans dire dire les “nouveaux Turcs jeunes” pour ne pas lier à une histoire controversée

  2. Un lecteur dit :

    Je trouve que cet article chosifie le “petit peuple”, la “majorité silencieuse”. Or, elle est composée également de gens souriants, polis, modernes, qui soutiennent l’AKP parce qu’en réglant le problème kurde, en revoyant fondamentalement la constitution militaire actuelle, en travaillant sur une nouvelle constitution civile, en supprimant la mainmise de l’armée sur les affaires civiles, entres autres (et ce sont autant de dossiers sur lesquels l’ensemble des autres partis, sauf peut-être le parti kurde sur le dossier qui le concerne en particulier, ont résisté au changement), eh bien ce parti a justement permis, et continue, même difficilement, à permettre que la Turquie devienne plurielle, tolérante, ouverte.

    • jean-paulmarthoz dit :

      Merci de votre remarque, mais mon propos n’est évidemment pas de chosifier l’électorat d’Erdogan, même si la majorité populaire n’est jamais une garantie de démocratie ou de progrès.
      Dans un précédent article, publié dans Le Soir (papier) j’ai rappelé le rôle joué par l’AKP dans l’ouverture du pays et sa décrispation. Mais aujourd’hui, Erdogan est en train, comme le soulignait The Economist, de remettre en cause ces acquis des premières années de règne de son parti. C’est la raison pour laquelle une partie des électeurs de l’AKP, les plus attirés par son réformisme, s’en distancient voire même le critiquent et le quittent.
      Finalement, et c’est la fragilité du journalisme blogueur, il est difficile de couvrir holistiquement un sujet et de dépasser la formule du “blog-notes”.

  3. Jean-Paul de haeren dit :

    En ce moment, tout est clair que c’est un jeux des forces externe. Un paye qui évolue 3% au premier quatrimestre, evidament ce n’est pas une bonne nouvelle pour quelque paye comme l’amerique et l’israel. La Turquie va tout surpassé . C’est un paye de modernité, la paix , et la démocratie qui possède en ce moment.

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