Le 8 avril dernier, un journaliste russe, Mikhail Beketov, est décédé dans un hôpital de Moscou. L’information est passée presque inaperçue. L’actualité internationale était dominée, ce jour-là, par les menaces matamoresques du président nord-coréen, les élections vénézuéliennes et l’affaire Cahuzac. Et pourtant, Mikhail Beketov incarnait lui aussi ce journalisme d’enquête et de dénonciation qui venait juste d’être consacré par Mediapart et par les révélations du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) sur l’évasion fiscale, l’Offshore Leaks.
Directeur d’un petit journal publié dans le faubourg moscovite de Khimki, militant écologiste, Mikhail Beketov avait fait vigoureusement campagne contre le projet de construction d’une autoroute qui menaçait de détruire une vieille forêt locale. Depuis le début de son enquête, il avait été menacé. En 2007, son chien avait été battu à mort et sa voiture incendiée. Le 13 novembre 2008, «comme il ne semblait pas comprendre», des assaillants le passèrent sauvagement à tabac. Emmené à l’hôpital, il fut amputé de plusieurs doigts et d’une jambe et perdit l’usage de la parole.
En octobre 2010, nous lui avions rendu visite dans un hôpital de Moscou avec une délégation du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Souriant, attachant, il nous avait presque convaincus qu’il pourrait reprendre son combat. Mais le 8 avril, il a été foudroyé par un arrêt cardiaque. «Mikhail est mort hier, mais il avait été assassiné il y a 5 ans», s’est exclamé un journaliste russe, exaspéré par l’impunité de ceux qui l’avaient brutalisé. Les journalistes d’investigation sont inévitablement en première ligne. Au cours des vingt dernières années, près de mille journalistes sont morts dans l’exercice de leur métier. Une majorité d’entre eux ont été assassinés non pas dans des zones de guerre, mais parce qu’ils enquêtaient sur des affaires de corruption, des violations de droits de l’homme ou la grande criminalité. Ces agressions n’ont pas seulement lieu dans des pays autoritaires ou des Etats faillis. En Europe aussi, des journalistes ont été exécutés, comme Veronica Gerin à Dublin en 1996. D’autres sont contraints à la clandestinité, comme Roberto Saviano, auteur du best-seller Gomorra sur la mafia napolitaine. D’autres encore sont menacés ou calomniés, comme Fabrice Arfi, le journaliste de Mediapart qui a enquêté sur les affaires Bettencourt, Karachi et Cahuzac.
Le 3 mai prochain, l’UNESCO organisera à San José, au Costa Rica, la Journée mondiale de la liberté de la presse. Les violences contre les journalistes seront au cœur des débats. Dans de nombreux pays du monde, ils sont la cible de gouvernements corrompus, d’entreprises prédatrices, d’organisations criminelles ou de groupes extrémistes. Et partout, l’impunité règne: 90% des crimes ne sont pas élucidés ou sanctionnés. La plupart du temps parce que les autorités n’en ont pas la volonté.
Les assassinats sont l’ultime forme de la censure. Ils ne visent pas seulement à faire taire les journalistes d’investigation. Ils envoient aussi un message sans détours aux sources tentées de témoigner ou aux magistrats qui veulent rendre la justice. Ecrire, parler, juger, c’est mourir. Et cette sentence, décrétée par des hors-la-loi, sonne aussi le glas de la démocratie et des libertés.
Partout, pourtant, des journalistes s’obstinent à débusquer la vérité. Au Mexique, les organisations criminelles ont pratiquement imposé leur loi aux journalistes de la zone frontalière qui borde les Etats-Unis. Les reporters qui sortent des passages cloutés sont liquidés. Mais malgré tout, des journalistes d’investigation comme Anabel Hernandez, Plume d’or de la liberté 2012, ou Lydia Cacho, lauréate du Prix mondial Unesco/Guillermo Cano pour la liberté de la presse 2008, refusent de se laisser censurer.
Au Pakistan, des groupes radicaux traquent les journalistes qui les dérangent. En 2002, ils enlevèrent et exécutèrent Daniel Pearl, grand reporter au Wall Street Journal. Depuis lors, des dizaines de journalistes locaux ont été tués. Mais en dépit des risques et des menaces, des journalistes, comme Ahmed Rashid, auteur du best-seller Les Talibans et Umar Cheema, lauréat du Prix international de la liberté de la presse du CPJ, défient les islamistes et leurs alliés au sein des services de sécurité. En Russie, douze années de «verticale du pouvoir», d’assassinats et d’impunité ont intimidé la profession, mais malgré les dangers et les pressions financières, Novaya Gazeta, le journal où travaillait Anna Politkovskaia, assassinée en octobre 2006, continue à informer sur l’arbitraire et les dérives autoritaires.
S’indigner de cette violence contre la presse ne relève pas seulement de l’altruisme ou de l’humanisme. Les informations sur la criminalité au Mexique, la corruption en Russie ou le radicalisme islamiste au Pakistan ne sont pas des «sujets étrangers». Même si «ça s’est passé loin de chez nous», ces événements nous concernent, directement, localement. «Le monde est de plus en plus intégré, écrit Lee C. Bollinger, le président de l’université Columbia (New York). Notre interdépendance est de plus en plus grande. Toute la presse, les médias locaux comme les nouveaux médias globaux, est notre presse. Quand les droits des médias étrangers sont muselés, ce sont nos propres droits qui sont menacés. Avec la globalisation, une grande partie des informations dont nous avons besoin dépend de la liberté et de l’indépendance de la presse dans le reste du monde.»
Dans cette recherche d’informations internationales qui déterminent le bien-être et la sécurité de tous, les muckrakers, les «racleurs de boue», comme les avait appelés le président républicain Theodore Roosevelt, sont à l’avant-garde. Partout dans le monde, les journalistes d’investigation fouillent et fouinent, appliquant à la lettre la fameuse formule de Lord Northcliffe, le baron de la presse britannique du début du XXe siècle: «l’information, c’est ce que quelqu’un cherche à vous cacher, le reste n’est que de la publicité.»
La semaine dernière, le jury du Prix Pulitzer, octroyé par l’université Columbia, a solennellement salué cette forme de journalisme, en récompensant, en particulier, trois enquêtes majeures du New York Times. L’une révélait l’enrichissement astronomique de la famille de l’ex-Premier ministre chinois Wen Jiabao; une autre dévoilait la corruption orchestrée au Mexique par le géant américain de la distribution Walmart; la troisième jetait une lumière crue sur Apple, son «ingénierie fiscale» et les pratiques antisociales de ses sous-traitants en Chine.
Au moment où la médiasphère est envahie par le bruit et le buzz, les tweets non vérifiés et les opinions péremptoires, le journalisme essentiel, celui qui cherche opiniâtrement, modestement, la vérité, est revenu ces dernières semaines sur devant de la scène. «La tâche du journaliste est d’informer, écrivait Anna Politkovskaia. L’important n’est pas de savoir ce que je pense, mais ce que je vois.»
Un bien bel exemple qui invite les journalistes du Soir à se distinguer, loin des communiqués prémâchés de Belga, des partis, des lobbys, de l’IBSR, des ministres, etc…. . Intéressez vous à ce que disent les gens et cessez de faire le lit de la pensée unique, des lobbys, des partis qui monopolisent l’information !