La Turquie étonne. Longtemps perçue comme un pays «pauvre et attardé » par une Europe qui ne voyait en elle qu’un gendarme de l’OTAN et un réservoir d’immigrés, elle fait figure aujourd’hui de puissance émergente, de « Tigre anatolien », d’acteur incontournable de la scène diplomatique du Moyen-Orient.
La Turquie dérange. Naguère encore alliée fidèle de l’Occident, elle n’hésite plus à vexer l’Etat hébreu, au risque de subir le courroux de Washington. Elle toise même l’Union européenne, qui lui mégote depuis des années son adhésion, en ironisant sur une « Turquie en expansion » face à une « Europe en contraction ».
La Turquie inquiète. Le processus d’ouverture et de libéralisation, qui s’était traduit par la réduction du poids de l’armée et par des avancées législatives significatives, patine voire régresse. Le pays est devenu la « première prison des journalistes au monde », selon le Comité pour la Protection des Journalistes, et nombreux sont ceux qui, à Paris, Bruxelles et Berlin, s’inquiètent d’un processus rampant d’islamisation, sous la houlette du Parti de la Justice et du Développement (AKP) et de son bouillant premier ministre Recep Tayyip Erdogan.
Un pays charnière
Mais où, donc, va la Turquie ? La question est essentielle, car elle concerne un pays de 74 millions d’habitants, placé au carrefour de l’Europe et du Moyen-Orient, qui constitue aujourd’hui la 17ème puissance économique mondiale et ambitionne de jouer un rôle de plus en plus actif dans les grands enjeux internationaux.
Ancien ambassadeur de l’Union européenne à Ankara et actuellement visiting scholar à Carnegie Europe et à l’Open Society Foundation, Marc Pierini offre ses réponses dans un livre qui mélange efficacement et agréablement les observations de terrain et les réflexions politiques. Et qui, surtout, fait preuve à tout instant d’une belle liberté de pensée à l’égard de toutes les composantes et de tous les tabous de la politique turque.
L’auteur propose une lecture complexe d’un pays, d’un Etat et d’une société en pleine mutation. Il se réfère à l’Histoire pour expliquer ce qui détermine aujourd’hui encore l’attitude de la Turquie face au monde : « la nostalgie de la puissance ottomane passée, les humiliations des Traités de Sèvres et de Lausanne (au sortir de la Première Guerre mondiale) et la dette morale envers Atatürk », qui alimentent « le désir collectif de retrouver sous d’autres formes la gloire passée ». Il note finement, en évitant les périls du stéréotype, des traits qui ne sont pas sans conséquence sur la tonalité des enjeux politiques, comme la déférence par rapport à l’autorité ou la fierté nationale.
Un réformisme opportuniste?
Abordant la dernière décennie, marquée par l’essor de l’AKP, il décrit les reculs de l’Establishment militaire et laïc qui, depuis la Révolution kémaliste, avait modernisé, occidentalisé et cadenassé le pays. Il dissèque les avancées réformistes et les tentations autoritaires d’Erdogan. Il identifie aussi la culture politique qui détermine la marche de la Turquie, sinon sa direction.
Marc Pierini met ainsi en exergue «une culture politique vigoureuse, portée sur le conflit verbal et l’exclusion de l’autre ». Il fait ressortir « la notion de revanche utilisée par les conservateurs par rapport à une période –récente – où leur vision et leurs intérêts étaient sous-représentés à leurs yeux, qui fait face à celle d’un inéluctable « déclin des valeurs laïques » décrit par certains partis d’opposition ».
Un désir d’Europe ambigu
Ces observations permettent aussi de mieux cerner le paradoxe de la candidature turque à l’Union européenne. Face à des Etats européens réticents, face aussi à sa propre population gagnée par l’euroscepticisme, Ankara prétend aujourd’hui pouvoir, s’il le faut, se passer de l’adhésion, alors que la réalité des chiffres du commerce, des investissements, des migrations, dit le contraire. Alors que la projection internationale de la Turquie dépend largement, vue des pays où elle s’exerce, de ses relations privilégiées avec l’Europe et de sa perspective d’intégration.
Levier de la modernisation économique et politique des dix dernières années, l’Europe embarrasse l’AKP, car après avoir très opportunément contribué à affaiblir l’armée, elle demande aujourd’hui à Ankara d’adopter de nouvelles réformes qui ne peuvent que brider l’ambition des « islamistes modérés » de diriger la Turquie selon leur bon plaisir. « Il faut administrer la preuve, écrit Marc Pierini, que la Turquie est capable de se doter des éléments fondamentaux (Constitution, ombudsman, cadre judiciaire réformé, presse libre) qui permettront au jeu démocratique de s’exprimer pleinement et aux citoyens de Turquie de vivre selon leurs choix personnels ».
La Turquie pourra-t-elle accepter les « abandons de souveraineté » que l’Union européenne exige de ses Etats-membres ? L’AKP peut-il, sans cabrer ses membres les plus conservateurs, se permettre d’adopter des normes européennes en matière des droits des femmes, de la liberté d’expression, de la place de la religion musulmane et du statut des minorités (kurde, alévie ou arménienne) aujourd’hui discriminées ? « Il se peut donc que la Turquie, ou plus exactement le parti au pouvoir », écrit M. Pierini, « atteigne bientôt un seuil critique, celui où l’affirmation de ses spécificités politiques, religieuses et culturelles entrera en conflit avec les critères essentiels pour la poursuite des négociations d’adhésion ».
Penser l’Europe
L’auteur croit, malgré tout, que la Turquie a besoin de l’Union européenne, comme il croit que l’Europe doit reprendre loyalement les négociations d’adhésion. Notamment parce que « les négociations sont, pour une large part, le moteur des réformes et de la modernisation de la Turquie ». Et l’Europe, « quoi qu’il advienne de l’adhésion », a tout intérêt à avoir à côté d’elle « un voisin en bonne santé économique, mais surtout en paix avec lui-même ».
Mais à sa question, Où va la Turquie ?, Marc Pierini en ajoute une autre, tout aussi déterminante ». « Où va l’Union européenne que la Turquie souhaite rejoindre ? » Si l’Union devient une « Europe à vitesses multiples », vers où l’UE et la Turquie voudront-elles aller ensemble ?, s’interroge-t-il. S’interroger sur la Turquie impose inévitablement de penser, de nouveau, l’Europe, de préciser non seulement sa géographie mais aussi ses valeurs et ses ambitions.
Le livre: Marc Pierini, Où va la Turquie ? Carnets d’un observateur européen, Editions Actes Sud, 2013, 153 pages.
L’événement: L’auteur présentera son livre ce mardi 5 mars à la librairie Filigranes (Bruxelles) entre 18 et 19h. Avec la participation de Daniel Cohn-Bendit.
il parle de discrimination envers les minorités… En France, en Allemagne ou en Italie et surtout en Grece on ne respecte pas les minorités comme les arabes, les musulmans, les roms et les noirs. Je pense que c’est pas mieux chez nous malgres les sois-disants lois qui interdisent la discrimination raciale, culturelle ……
Bien dit!
La turquie refonde petit a petit son empire ottoman. De son côté l’Europe va s’associer avec les USA.
Tout ceci débouchera par l’adhésion de la turquie, allier des USA a l’Europe. Qui leur ouvrira les portes du nouveau empire ottoman plus moderne, ayant la turquie comme modèle.
Ce qui promettrons à certains de dominer le monde. Ceci est la seul solution pour avoir la paix u moyen orient.
Très bon tour d’horizon géopolitique.
Le grand probleme est que l’occident n’a jamais réussi dans son histoire à consoler des civilisations. Mais à diviser pour mieux regner et surtout profiter des ressources de maniere deloyale. Il faut etre objectif et honnete avec soit même. La turquie tient à son histoire et a son identité qui ne date pas d’aujourd’hui. Les pays collonisé on beaucoup perdu. (Langues, histoire, familles, cultures, valeur). Peut-on comparer l’empire ottaman aux empires collonisateurs? Il faudrait quand même un sacré culot non ? On ne juge pas un peuple sur les actions des terroristes d’il y a 100 ans comparé a sa fabuleuse histoire de plus de 3000 ans. Vous ne croyez pas ? Il est temp que tout le monde se remete en question. On est plus en 1916! Malgré un referundum la voix des turkmens a été ignorée en son temp pour l’annexion à la turquie. Dans le but évident d’empecher le peuple turc de profiter de ces ressources. On se demande réelement qui était le vrai méchant dans l’histoire !
Ce n’est pas toujours celui qui a la meilleure arme qui a raison mais c’est un argument de poid utilisé. Mais peut etre qu’un jour ce sera le cas qui sais.