Ces derniers jours, Meles Zenawi s’est pavané dans les salons du Forum économique mondial à Davos. Le Premier ministre éthiopien est, en effet, l’un des dirigeants africains préférés de l’Occident et de l’”industrie du développement”.
Et pourtant, l’Ethiopie commence à irriter et à indigner beaucoup de monde. La Suède, notamment, qui demande depuis des mois la libération de deux de ses ressortissants, Martin Schibbye et Johan Persson, deux journalistes condamnés à 11 ans de prison alors qu’ils enquêtaient sur la rébellion de l’Ogaden et sur les exactions imputées aux forces armées éthiopiennes.
Selon le chroniqueur vedette du New York Times, Nicholas Kristof, présent lui aussi à Davos, les deux journalistes ont été jetés dans une cellule infestée par les poux et envahie par les rats. Ils doivent dormir tête-bêche sur un lit pourri et sont empêchés de communiquer avec l’extérieur.
Répression toute!
Ce traitement appliqué à des journalistes suédois donne une idée de la répression qui s’est abattue sur l’ensemble de la presse éthiopienne. Le régime qui, en 2007, n’avait pas hésité à jeter en prison un journaliste du New York Times, Jeffrey Gettleman, prend encore moins de gants avec ses propres ressortissants.
Ces dernières années, selon le Comité de protection des journalistes (New York), le pays est devenu un traquenard pour la liberté de la presse. Le nombre de journalistes éthiopiens forcés à s’exiler est le plus élevé au monde et 7 journalistes au moins croupissent dans les geôles locales, certes moins qu’en Erythrée, le voisin ennemi, qui en a incarcéré 28, mais un chiffre qui témoigne de la sévérité de la répression.
Même lorsqu’ils sont à l’étranger, les journalistes éthiopiens sont rattrapés par la « justice » de leur pays. La semaine dernière, Elias Kifle, rédacteur en chef du site d’opposition Ethiopian Review, basé à Washington, a été condamné in absentia à la prison à perpétuité par une cour éthiopienne. Cinq autres journalistes exilés aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas ont été également condamnés par contumace.
En Ethiopie même, la répression s’est intensifiée ces derniers mois. Eskinder Nega, un blogueur déjà emprisonné, va bientôt passer en jugement et il risque la peine capitale. Fin janvier, deux autres journalistes, Reeyot Alemu et Woubshet Taye, ont été condamnés à 14 ans de prison.Leur délit ? Le terrorisme ! Une accusation jugée sans fondement par les organisations de défense des droits de l’Homme. Comme l’écrit le CPJ, « la loi antiterroriste éthiopienne criminalise la publication d’informations que le gouvernement estime favorables aux groupes qu’il qualifie de terroristes, à l’exemple des mouvements d’opposition comme le Ginbot 7 et les séparatistes du Front de libération de l’Ogaden ».
Des pays occidentaux discrets
Or, en dépit de ces abus, le président Meles Zenawi ne fait pas l’objet de réelles pressions. Certes, les Nations unies et le Département d’Etat américain ont condamné l’application de la loi antiterroriste à des journalistes et à des dissidents et la Haute-représentante de l’Union européenne Catherine Ashton a exprimé « sa préoccupation à propos de l’arrestation des deux journalistes suédois et de l’état de la liberté d’expression en Ethiopie ».
Toutefois, les Etats-Unis, l’Union européenne et ses Etats membres, qui apportent une aide considérable à Addis Abeba, hésitent à prendre des mesures punitives. L’Ethiopie est considérée comme un pays à ménager, non seulement parce qu’elle est ancrée dans la région stratégique de la Corne de l’Afrique et qu’elle combat les islamistes radicaux somaliens, mais aussi parce qu’elle est utile dans des négociations multilatérales, comme le changement climatique, et qu’elle fait figure de symbole de l’efficacité de l’aide au développement.
Une mise en garde
L’image du régime est en train, cependant, de se dégrader. Les jugements d’Amnesty International et de Reporters sans frontières (RSF) sont sévères et ces derniers mois, plusieurs rapports ont mis en cause la politique du gouvernement en matière de développement. Human Rights Watch, en particulier, a dénoncé la politisation de l’aide au détriment des populations jugées hostiles au pouvoir central. « L’aide internationale soutient la répression », note HRW. Des familles et des régions entières seraient délibérément affamées jusqu’à ce qu’elles appuient le gouvernement. Une politique de villagisation forcée déplacerait des dizaines de milliers de paysans vers des villages dénués de tout.
« Pourquoi appuyons-nous la répression en Ethiopie ? », écrivaient déjà en novembre 2010, William Easterly et Laura Freschi, dans la prestigieuse New York Review of Books. Plus d’un an plus tard, rien n’a changé et on assisterait même à un accroissement de la répression.
« Monsieur le Premier Ministre, vous avez peut-être réussi à m’éviter à Davos », écrit Nicholas Kristof, un journaliste dont les chroniques sont attentivement lues à Washington. « Mais votre brutalité à l’encontre des journalistes suédois, américains ou éthiopiens ne réduira pas les médias internationaux au silence. Vous avez seulement réussi à attiser leur intérêt ».
Nicholas Kristof, qui, des mois durant, avait mené une véritable campagne pour dénoncer la répression au Darfour (Soudan), n’a pas l’habitude de lâcher ses proies. La chute de sa chronique sonne comme un “A bon entendeur, salut !”