L’annonce de la mort de Vaclav Havel est tombée comme une feuille d’un arbre majestueux. Lentement, élégamment, dans l’insoutenable légèreté de l’air. Comme si le dissident tchèque voulait s’éloigner sans bruit de ce monde , qui le força à sortir de son pays à lui, la littérature, pour entrer comme un Don Quichotte de la dignité et de la liberté sur les terres de la dictature et de l’arbitraire où il combattit sans relâche, jusqu’à son dernier souffle.
Havel a incarné la lutte contre le totalitarisme, au moment où, en Europe, des intellectuels s’entichaient encore pour Mao ou Castro. Il a dévoilé la réalité d’un système d’oppression implacable et rappelé que la lutte pour la liberté ne peut être borgne. Il n’a jamais cessé de croire à la force de l’individu face aux injonctions du pouvoir.
Ces derniers jours, quelques lueurs d’espoir l’ont peut-être convaincu que ses idées et ses valeurs avaient un avenir. Attaché à la force des sans-pouvoir, il est mort le jour où la revue Time consacrait le protestataire, de la place Tahrir au Zucotti Park, « personne de l’année ». Lui qui s’était battu pour la liberté en Birmanie a pu rêver que bientôt peut-être Aung San Suu Kyi réussirait, comme lui, une Révolution de velours après tant d’années de dictature. Lui qui avait vécu le printemps de Prague et subi l’invasion de l’Armée rouge a entrevu, à Moscou, les premiers frémissements de la protestation contre la “verticale du pouvoir” de Vladimir Poutine.
Mais il est mort aussi à un moment grave pour l’Europe. Havel, qui rêvait tellement d’un continent réconcilié, apaisé, éclairé, a sans aucun doute aperçu au crépuscule de sa vie les nuages sombres de la division, du ressentiment et de l’insignifiance sur le Vieux continent. L’émergence aussi des forces nationalistes et populistes qu’il avait toujours combattues, conscient des leçons tragiques de l’histoire européenne.
En sens contraire
Vaclav Havel est mort quelques heures après une autre personne qui incarnait elle aussi, mais de manière très différente, la « liberté de l’esprit » : Christopher Hitchens, le très talentueux et très controversé essayiste américano-britannique qui avait pris à partie les colonels grecs, Henry Kissinger, Mère Thérésa et les islamo-fascistes, avant de défendre, comme Havel et par détestation de Saddam Hussein, la guerre insensée de George Bush en Irak, a lui aussi fait sa révérence.
Tous deux pensaient différemment des hommes de pouvoir, ils étaient souvent à contre-courant, même si, parfois et de bonne foi, ils jouèrent le jeu du pouvoir, comme lors de la guerre en Irak. Tous deux, ils ont testé une question essentielle: peut-on encore être dissident quand on est président ? Peut-on être un « contrarian », le titre dont se réclamait fièrement Hitchens, quand on écrit pour la revue Vanity Fair et qu’on est la coqueluche du tout New York littéraire ?
Sans aucun doute. Vaclav Havel, avec son sens de l’éthique, Hitchens, avec l’audace de ses polémiques, ont contribué à rendre le monde un peu moins obscurantiste, un peu moins autoritariste. Et leurs œuvres littéraires resteront longtemps des sources d’inspiration pour ceux qui ont la fureur de lire et de vivre.
Ce week end, leur départ a été entouré des mélodies mélancoliques d’un autre grand personnage, la chanteuse aux pieds nus capverdienne, Cesaria Evora, qui est décédée, elle aussi, après avoir embelli notre monde de sa chaleur et de son talent. Après avoir démontré que des petits pays oubliés du monde peuvent créer des personnes universelles.
Et puis, comme s’il fallait que le contraste soit sans appel, la télévision nord-coréenne a révélé dimanche soir que le « grand leader » Kim Jong Il était lui aussi décédé et que l’un de ses fils allait lui succéder pour assurer la poursuite de la dynastie totalitaire. En Corée du Nord, l’armée s’est mise au garde à vous. La Corée du Sud a mis ses troupes en état d’alerte. ..
Alors que le Jurassic Park du communisme résonnait des pas de l’oie de son armée (im)populaire, trois au revoir, trois farewell, pour Vaclav, Chris et Cesaria, ont flotté dans l’univers de la liberté et de la beauté. Des fleurs et des pleurs d’anonymes sont furtivement passés sur les écrans de télé. Et, des milliers de personnes, nostalgiquement, ont passé une chanson de Cesaria Evora et ouvert le livre Les lettres à Olga.
Et Bernard Lavillers chante : Si la Saudade est dans les nuages – le parfum subtil de la nostalgie. Elle a le visage de lointains voyages – c’est un grand voilier qu’on a jamais pris – qu’on a jamais pris. Saudade, saudade…