Barack Obama, la Palestine et la communauté juive américaine

Une grande partie des organisations juives américaines ont accueilli avec une très vive satisfaction le discours de Barack Obama aux Nations Unies et son engagement à opposer son veto à la demande palestinienne d’acquérir le statut d’un Etat internationalement reconnu.
Les conseillers présidentiels espèrent que ce positionnement présidentiel désamorcera une fois pour toutes la campagne lancée par la droite républicaine qui n’a eu de cesse ces derniers mois de dénoncer un prétendu « antisionisme » de l’administration démocrate.
Le répit risque bien toutefois d’être de courte durée : les têtes d’affiche du Parti républicain, relayés par des centaines de bloggeurs et polémistes, ont, en effet, décidé de faire de leur appui inconditionnel à Israël, right or wrong, un enjeu crucial de la campagne des élections présidentielles et parlementaires de novembre 2012.
Mais Barack Obama avait-il besoin de donner autant de gages pour conserver l’appui de la communauté juive? Ces derniers mois, certains observateurs ont régulièrement évoqué une baisse de 10 à 20% de la popularité de l’administration démocrate parmi les Juifs américains. Ils ont également mis en exergue la victoire surprise, le 9 septembre dernier, d’un Républicain peu connu dans le 9ème district de New York, un fief traditionnel démocrate. Et ils ont rappelé qu’une majorité au Congrès était alignée sur les positions du gouvernement israélien, réduisant la marge de manœuvre du président sur la scène internationale et menaçant de compliquer davantage encore son action sur les enjeux politiques et économiques nationaux.
D’autres, au contraire, estiment que le Parti démocrate n’avait rien à craindre. « Les Juifs n’abandonneront pas Obama », prédisait Zev Chafets, le 2 juillet 2011 dans The Daily Beast, avant donc que Barack Obama ne prononce son discours à l’ONU et n’affirme aussi fortement son opposition à l’initiative palestinienne.
« Les Juifs n’abandonneront pas Obama », expliquait-il, parce que, s’ils ne représentent que 2% de la population américaine, ils occupent une place très importante au sein du Parti démocrate, dans ses structures (le Comité national démocrate est présidé par la députée de Floride Debbie Wasserman Schultz), dans ses équipes de campagne (Steve Israel dirige le comité électoral démocrate à la Chambre), au sein des cercles intellectuels qui conseillent le Parti et dans les milieux qui, traditionnellement, ont appuyé les candidats démocrates (syndicats d’enseignants, Hollywood, avocats, le secteur de la haute-technologie et ONG libérales). L’attachement de cette communauté juive libérale au Parti démocrate est « viscérale ». « Le Parti démocrate, écrivait Zev Chafets, est la maison émotionnelle de la plupart des Juifs américains ».
En dépit d’un certain malaise attisé par la « machine de bruit » républicaine, les électeurs juifs démocrates sont généralement persuadés que Barack Obama est attaché à la sécurité d’Israël. Newsweek et The Daily Beast viennent d’ailleurs de révéler que Barack Obama aurait vendu secrètement à Jérusalem des bombes anti-bunker au moment où les tensions semblaient dominer les relations entre la Maison Blanche et le gouvernement Netanyahou.
Par ailleurs, notent d’autres experts, les Juifs américains sont majoritairement favorables à un règlement équitable du conflit israélo-palestinien. Se démarquant ainsi en partie de certaines de leurs associations communautaires, comme l’AIPAC (America Israel Political Action Committee, fermement alignées sur Jérusalem, ils appuieraient largement la création de deux Etats indépendants vivant côte à côte, dans la ligne de l’appel de Genève ou du J-Call (deux initiatives lancées par des membres éminents des communautés juives européennes).
La création de l’association J-Street, pro-israélienne mais favorable à une solution pacifique et équilibrée du conflit, est l’un des indices de la volonté d’une partie de la communauté juive américaine de faire reposer son appui à Israël sur d’autres bases que l’adhésion automatique aux décisions du gouvernement à Jérusalem.
Les Juifs américains sont également attachés au Parti démocrate pour des raisons étrangères à la situation israélienne. Ils représentent en effet l’un des électorats les plus « libéraux » des Etats-Unis, c’est-à-dire dans le jargon américain, les plus progressistes et dès lors les plus soucieux de contrer les mouvements nationalistes, nativistes ou populistes qui s’expriment notamment au sein du Tea Party, fer de lance de la droitisation du Parti républicain.
Alors que la coalition conservatrice au pouvoir à Jérusalem accueille avec sympathie l’appui que les Evangéliques américains les plus conservateurs accordent à l’Etat d’Israël, une grande partie des Juifs américains s’en inquiètent, car ils ont toujours considéré ces milieux religieux intégristes et millénaristes comme un danger pour la démocratie et le libéralisme américains mais aussi pour la sécurité à long terme d’Israël.
Alors, pourquoi fallait-il que Barack Obama revienne sur ses promesses de campagnes et sur son discours du Caire, au risque de décevoir ses partisans et de braquer des populations arabo-musulmanes qui commençaient à regarder avec un peu moins de défiance la grande puissance américaine ?
Les considérations électorales ont pris le dessus. Même s’ils n’étaient pas loin de partager l’analyse selon laquelle les Juifs « fatalement » resteraient démocrates, les conseillers de Barack Obama n’ont pas voulu lancer les dés. L’électorat juif est certes réduit par rapport aux gros bataillons irlandais ou africains-américains, mais, concentré dans des Etats clés comme New York ou la Floride, il représente le pourcentage qui peut faire pencher la balance lors de scrutins serrés. Il est aussi l’un des électorats les plus généreux financièrement et l’un des plus actifs lors des campagnes électorales.
Abandonné par une partie de son électorat de 2008, en raison des déceptions qu’il a suscitées parmi les jeunes, les Hispaniques, les classes moyennes affectées par la crise et même les Africains-américains, Obama craignait également que ses adversaires républicains ne polluent la campagne en l’accusant de lâcher « le seul allié sûr des Etats-Unis dans le monde » et de mettre dès lors en danger les fondements de la sécurité nationale américaine. Cette accusation d'”antipatriotisme” hante les Démocrates, systématiquement et très injustement accusés par leurs adversaires républicains d’être des naïfs ou des Munichois.
Barack Obama savait aussi que dans un pays où la population est largement acquise à Israël, il ne prenait pratiquement aucun risque. Sauf celui d’apparaître, par rapport à ses promesses de 2008, inconstant et inconsistant…

Pour en savoir plus :
Célia Belin, Jésus est juif en Amérique, Fayard, 2011.
André Kaspi, Les Juifs américains, Plon, 2008.
Corinne Levitt, Les Juifs de New York à l’aube du XXIème siècle, Editions Connaissance et Savoirs, 2006.

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5 réponses à Barack Obama, la Palestine et la communauté juive américaine

  1. Mon impression est que ces prétendues « considérations électorales » ne jouent pratiquement pas de rôle dans la politique étrangère des Etats Unis ou de Mr. Obama. Les Etats Unis n’ont commencé vraiment à soutenir Israël que dans les années ’60, alors même que l’électorat Juif (prétendu entièrement et inconditionnellement pro-Israël) était déjà en déclin. Le fait est que les Etats Unis ont toujours été contre la politique du fait accompli dans cette région, y compris en ce qui concerne les implantations. Les Etats Unis veulent essayer de construire un accord entre les forces modérée Palestiniennes et Israéliennes, accord basé en gros sur la proposition Clinton de Janvier 2001. Ce projet d’accord est basé avant tout sur le tracé d’une frontière entre Israël et la Palestine.
    Une partie des palestiniens refuse cette perspective parce qu’elle est en fait basée sur la ligne de 1967 (avant la guerre des six jours) et donc il faut renoncer au rêve d’un « retour », à la reconquête des ce qui a été perdu pour eux après le désastre de la débâcle des force Arabes lors de leur invasion après l’indépendance d’Israël.
    Une partie des Israéliens refuse cette perspective parce qu’elle est en fait basée sur la ligne de 1967 (avant la guerre des six jours) et donc à des frontière (par endroit la largeur d’Israël ne serait que de quelque 15 km) dont la sécurité n’est en gros basée que sur le respect par le gouvernement Palestinien de cette frontière.
    Bien sûr il est impossible de décrire en quelques phrases dans un blog la complexités réelle des problèmes, mais avant tout il y a un réel problème de confiance qui ne pourra être résolu que par des gestes forts symbolique (par exemple la libération de Marwan Bargouti ? Ou de l’autre côté l’acceptation de la définition d’Israël comme « l’état des Juifs »?).

    Olivier

  2. Laurent Szyster dit :

    Il ne vous est pas venu à l’esprit que la reconnaissance d’un état palestinien dans des frontières non négociées était le plus sur moyen de relancer le conflit et que ce n’est pas dans l’intérêt des Usa?

    M. Obama, après avoir fait pression sur Israël pour obtenir un arrêt des constructions juives en Cisjordanie, à lui même fait l’expérience en 2010 du refus palestinien de négocier.

    Il a compris que chaque concession unilatérale faite aux palestiniens ne les encourage qu’à plus d’intransigeance.

    Ceci explique largement son refus de reconnaître un état palestinien dans des frontières non négociées.

  3. Claudine dit :

    L’instrumentalisation des religions dans le conflit israélo-palestinien …
    http://www.blog.paixjuste.lu/wp…/G.CORM_.TexteColloque20Nov-Paris.pdf
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    Intervention écrite de Georges Corm. La Palestine déversoir des passions

    La Palestine, déversoir des passions européennes et américaines
    http://www.blog.paixjuste.lu/?p=7443 – En cache
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    22 juil. 2011 – La Palestine, déversoir des passions européennes et américaines . Comité de … le 20 novembre 2010. Intervention écrite de Georges Corm …

  4. adam jacky dit :

    Je suis triste et déçu.
    Je croyais Obama un Homme, ce n’est qu’un pauvre homme…

  5. James dit :

    On parle beaucoup des frontieres de 1967, MAIS pourquoi ne pas revenir alors a 1948 quand la Palestine a ete divisee en 2 etats ??????
    – Un petit territoire (frontieres 1967) pour les palestiniens de religion juive, appelle Israel ET
    – La transjordanie (Grand territoire appele Jordanie aujourd’hui) pour les palestiniens de religion musulmane
    – Judea Samaria sous mandat britannique, envahi illegalement (non reconnu par les Nations Unis except UK) par les palestinians musulmans avant la guerre de 1967 pour tirer plus facilement sur les Juifs
    FACON LA PLUS JUSTE DE REGLER LA QUESTION !

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