Libye: la victoire du droit d’ingérence?

Samantha Power, membre du Conseil de sécurité nationale à la Maison Blanche, et le «nouveau philosophe » Bernard-Henri Lévy doivent savourer ces dernières minutes qui les séparent de la chute, que presque tous les observateurs disent imminente, du colonel Kadhafi.

Tous deux avaient pris fait et cause pour l’intervention armée voire pour la rébellion et, ces dernières semaines, marquées par des risques d’enlisement et de bavures par les forces de l’OTAN, ils avaient été la cible croissante des attaques et des sarcasmes de leurs adversaires politiques. Ils ont joué leur réputation et ils sont visiblement sur le point de gagner.

Leur pari pourtant était loin d’être évident. Leurs arguments pour l’intervention avaient d’abord paru « acceptables » – il fallait intervenir pour protéger les populations civiles de la ville rebelle de Benghazi – au point de permettre le passage d’une Résolution des Nations Unies, avant d’être dénoncés lorsque la mission de protection des civils adopta pour corollaire le renversement du régime.

Les critiques venaient de partout : des milieux nationalistes et « anti-impérialistes », mais aussi des groupes isolationnistes ou « réalistes », soit qu’ils étaient hostiles à de nouvelles opérations militaires dans un pays arabo-musulman, soit qu’ils étaient inquiets d’un risque d’infiltration islamiste au sein de la rébellion, soit qu’ils étaient lassés par le coût financier d’une nouvelle aventure extérieure.

Aux Etats-Unis, l’opération libyenne a rassemblé deux écoles de pensée qui ces dernières années ont constamment joué au « je t’aime moi non plus ». Les néoconservateurs, proches des Républicains, qui avaient orchestré la campagne pour l’invasion de l’Irak, et ceux que l’on appelle les « faucons progressistes » (liberal hawks), proches des Démocrates, et partisans d’une politique étrangère fondée, musculairement s’il le faut, sur la protection des droits de l’Homme et la promotion de la démocratie.

Auteure du best seller A Problem from Hell, une étude de la politique américaine face aux génocides du siècle dernier, ex-directrice du Carr Center for Human Rights Policy à l’Université de Harvard, Samantha Power s’était en particulier indignée de la passivité américaine lors du génocide du Rwanda en 1994. A partir de 2003, elle s’était mobilisée pour le Darfour, où les forces armées soudanaises et leurs supplétifs avaient mené une campagne contre-insurrectionnelle, qualifiée de génocide par l’administration Bush et le Congrès américain, contre des groupes rebelles.

Proche de Barack Obama, alors que celui-ci avait voulu se démarquer des tentations guerrières de son prédécesseur George Bush, elle a réussi à le convaincre d’appuyer la rébellion libyenne. Contre l’avis du secrétaire à la Défense de l’époque, Robert Gates, qui avait exprimé son scepticisme à propos de toute nouvelle intervention militaire américaine.

Victoire du “droit d’ingérence”? Samantha Power et ses alliés savent très bien que celle-ci ne sera réelle que si elle débouche sur un système politique plus démocratique, plus respectueux des droits de l’Homme, à même de gérer les dissensions tribales et régionales et de contenir le risque d’une avancée islamiste. A suivre donc de très très près…

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10 réponses à Libye: la victoire du droit d’ingérence?

  1. VELAERTS dit :

    L’ingérence est très ciblée…
    Et les ingérences précédentes (Afghanistan, Iran, …) n’ont pas vraiment installé des démocraties et la paix! A suivre de très très près est tellement vrai, mais inutile! Bien sur au début on récupérera le pétrole de Kadhafi… et puis il y aura les guerres tribales
    Mais où est-elle , l’ingérence au Soudan??? Où est-elle l’ingérence en Syrie???

  2. manumanu dit :

    Pour qu’il y ait victoire du droit d’ingérence, il faudrait une victoire sur le terrain. Et quel terrain? Celui qui veut que M. Kadhafi soit le grand méchant loup? Pourquoi deux poids, deux mesures si l’on repense à l’Irak de M. Hussein? Donc, sur le terrain des idées, l’opération est plus proche de la propagande classique et déjà connue des milieux occidentaux. Quant aux terrains des opérations, il est piquant de lire depuis des semaines que les “rebelles” ne cessent d’avancer…sans en voir réellement la preuve. À force d’être armés par l’Occident, peut-être en ont-ils obtenus aussi le matériel de Fitness et qu’à force de courir, ils font du sur place? N’importe quoi. Parmis ces fameux observateurs, lesquels ont été vraiment sur le terrain, je veux dire, à Tripoli? La population de Tripoli soutient Kadhafi, c’est indéniable. Et l’Occident ne fait que soutenir des rebelles qui n’ont rien d’amateurs et qui sont eux-mêmes soutenus par les milieux les plus conservateurs…

  3. Santi dit :

    Ce n’est pas seulement la victoire du droit d’ingérence, c’est la victoire du droit de neocolonisation. Les Eetats Unis et l’Europe vont payer leur crise avec le pétrole lybien et syrien.

  4. Annah dit :

    Outre les points relevés par les commentaires précédents, je soulignerai que ce qui pose le plus question, du point de vue d’un “Européen pas trop avisé mais quand même un peu” est le pourquoi de la sélectivité de ce droit d’ingérence. Pourquoi a-t’il été justifié en Libye, mais pas en Syrie, en Arabie Saoudite, au Bahrein, et plus dans le passé, en Côte d’Ivoire ou au Soudan?
    On est en droit de croire que les enjeux économiques et politiques sont là intrinsèquement m^lés dans les justifications qui pourraient être avancées.
    La Libye est cependant un enjeu économico-politique de même envergure, mais je crois que parce qu’il est de notoriété publique qu’il s’agit du point BETA de passage de réfugiés depuis l’Afrique vers l’Europe (avec la Turquie qui est le point Alpha), l’Europe a dû exercer une pression considérable sur la décision de prise de contrôle.

  5. Paul-Emile Dupret dit :

    Sans doute une victoire du droit d’ingérence et une nouvelle défaite du droit international. Avec l’aviation de divers pays de l’OTAN engagée à fond, sans limites ou presque dans le choix de sa cible, avec l’argent du pétrole libyen comme motivation en toile de fond , l’issue ne laissait pas beaucoup de doute depuis le début. Le dilemme est que si les choses tournent bien d’un point de vue démocratique, -ce que nous souhaitons tous bien entendu-, c’est aussi un désastre pour les démocrates, car ce sera la voie ouverte à toutes sortes d’autres opérations similaires à tout qui s’oppose à Big Brother. Le plus probable pour la Libye est qu’on passe à un régime sous tutelle de l’OTAN, car cette organisation a dit qu’elle n’allait se désengager, et elle décidera du futur de la Libye, comme elle l’a fait par le passé à diverses reprises sur le futur de l’UE.

  6. Spetschinsky dit :

    La manœuvre opérée par les anglo-saxons, et au travers d’un président français aux ordres, est tout simplement monstrueuse. C’est une guerre coloniale comme une autre, joliment habillée comme bien des guerres précédentes. Il suffit de s’intéresser quelque peu à l’histoire pour convenir que bien des guerres s’affublaient de principes humanitaires. Il ne faut pas être un adepte des médias “pirates” d’Internet pour observer que dès novembre 2010 la France entreprenait de déstabiliser la Lybie en soulevant le Cyrénaïque. Fournissait en armes en recourant à des convois humanitaires. Même le Canard Enchainé en parlait dès février 2011.
    L’horreur, je pèse le mot, réside en ce que la presse occidentale, unanime, sans une nuance, nous vend cette guerre comme une libération, une protection. Ce comportement de la presse mine gravement nos démocraties, et à court terme. L’académicien Sakharov affirmait, lorsqu’il combattait la dictature soviétique, que “les sociétés fondées sur le mensonge n’ont pas d’avenir”. Nous y sommes. Cette fois la balle est chez nous…

  7. natinja dit :

    C’est en effet une question d’importance, ne fusse que pour savoir si cela serait le moment opportun pour une réactualisation du nom du ministère de la défense. Comme le notait Giambattista Vico dans son œuvre “La science nouvelle” (1725), l’Asie et l’Europe étaient des points cardinaux pour les anciens et non des lieux géographiques. À l’âge du village global, nous nous retrouvons tout comme eux à ne pas savoir où se trouve nos frontières. Et pour reprendre la théorie cyclique de l’histoire de Vico, la démocratie est la nouvelle héroïne, malheureusement cette fois dans tous les sens du terme.

  8. martingale dit :

    Ou la victoire de la terre brûlée ?
    1/ Il faudra faire la liste des infrastructures civiles détruites par l’Otan par effet de bon voisinage avec des cibles ‘militaires à la grosse louche’
    2/ il faudra voir comment un pays encore largement tribal pourra évoluer : la solution politique en Afghanistan n’est pas du tout convaincante par exemple. L’albanie, c’est aussi joli-joli.
    3/ Il parait manifeste que les ‘rebelles’ n’ont pas pu provoquer un soulèvement global du pays, qu’aujourd’hui Tripoli se soulève toute seule sans qu’on sache pour qui.
    4/ Et si Khadafi rebondit, là, on est mal avec notre ‘victoire’.

  9. Laul Luadib dit :

    Je dois dire que je suis sceptique : en partant du principe de servitude volontaire, si un peuple n’arrive pas à gagner sa liberté sans aide extérieure, est-ce que cela ne signifie pas qu’il ne la désire pas suffisamment pour cela ?
    Si le peuple ne désire pas cette liberté, cela signifie que sa liberté ne sera pas celle qu’il aurai s’il avait renversé seul le régime, risquant l’occupation ou la monté d’un autre régime dictatorial dès le retrait des forces étrangères.

    Cependant, les amoureux de la liberté tendent à être une minorité dans le peuple, la majorité tendant à s’adapter aux régimes en place, selon l’opinion minoritaire la plus forte.
    Cela peut se justifier comme le fait d’intervenir dans une famille où le mari terrorise celle-ci.
    Mais une guerre a aussi un coût.

    Enfin, il est tard, j’ai du mal à formuler mes phrases, moi aller dormir.

  10. Labrador dit :

    Libye, Crise financière: Remarquez l’amalgame croissant dans les médias sur “l’Occident” ou “The West” – pour mêler l’Europe aux responsabilités de l’impérialisme US. Les Européens sont complètement vassalisés, ils ont perdu leurs moyens, autonomie et volonté. Nous vivons sous une dictature “soft”, soumis à un pouvoir diffus et à peine discernable. Voyez le manque d’entrain autour de nous. Je rejoints totalement le message de Spetschinsky “les sociétés fondées sur le mensonge n’ont pas d’avenir”.

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